Penser le Québec

La transformation des fantômes en éoliennes

Sur le discours à venir – Suivi de la chronique nécrologique de l'auteur

Penser le Québec - Dominic Desroches

« Il faut être rameur avant de tenir le gouvernail, avoir gardé la proue et observé les vents avant de gouverner soi-même le navire »

Aristophane
« Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va »

Sénèque
On aime avoir le vent dans le dos. On aimerait bien d’ailleurs que les fantômes et les vents contraires viennent hanter ceux qui ne partagent pas nos intérêts, et nous laissent vivre en paix avec nous-mêmes. Mais que faisons-nous en vérité pour cela ? Qu’est-ce que les Québécois et les membres de l’élite ont dit publiquement pour y arriver ? Quels sont les moyens concrets qu’ils ont pris pour transformer les courants d’air en vent ? Car ceux qui suivent l’actualité souhaitent secrètement que nous cessions de nous disputer pour favoriser le retour d’un vent capable de chasser les nuages lourds. Au fond d’eux-mêmes, ils veulent cesser de combattre des moulins à vent afin que, pour une fois dans leur histoire à découvrir, l’action collective devienne la priorité. Ils ont raison. Ils savent que le repliement ne peut pas durer infiniment. Et comme écrivait assez justement Cervantès, dans Don Quichotte : « Se retirer n’est pas fuir ». Cette contribution veut rendre hommage à tous ceux et celles qui mettent le meilleur d’eux-mêmes dans le Québec et qui veulent transformer nos moulins à vent du XVIIIe siècle en éoliennes.
I. La force du vent
Comme l’ont esquissé précédemment les réflexions de « spectropolitique » et la météorologie appliquée qui en émane, l’air est décisif, l’atmosphère est vitale (et changeant, donc plein d’espoir) et le vent, aussi subtil soit-il, appartient à la politique que nous souhaitons. En effet, la plupart d’entre nous cherchons à éviter l’asphyxie collective, à conjurer notre peur maladive de nous-mêmes pour, enfin, sortir vers l’extérieur et s’exposer, tel que nous sommes, au soleil qui brille sur le monde. Nous voulons cesser de vivre sous des nuages gris afin de connaître la brise qui, attendue, nous poussera en avant, entre le brouillard actuel et l’impossible tornade souhaitée par les plus impatients. Mais comment parvenir à chasser ces ombres qui planent au-dessus de nos têtes et qui nous empêchent d’obtenir la vitamine et l’énergie nécessaires au dernier combat, le seul qui importe, celui de l’esprit de la langue par lequel le peuple parvient à se dire tel qu’il est et tel qu’il se voit demain ?
La seule manière d’obtenir du pacifique la force du vent politique souhaité – et cela a été testé ailleurs - est de se réunir en direction de la sortie. Après avoir colmaté les portes et les fenêtres de notre maison, après avoir fait le ménage chez soi, il faut se réunir derrière les quelques personnes capables de sentir le courant, le courant marin de nos ancêtres, le même courant qui fera tourner nos futures éoliennes. Mais certains inquiets parmi la foule demanderont sans crier gare : « cher chasseur de fantômes, toi qui écris et qui veux mourir, cher lecteur de Hamlet et de Don Quichotte de la Mancha, toi qui parles avec des mots incompréhensibles aux mortels, comment faire pour trouver le sens du vent et atteindre notre but ? » À l’inquiet, je réponds que je comprends sa peur et que sa question, des plus légitimes, demande une autre explication.
II. Le sens du vent
Cette question difficile exige une herméneutique particulière du temps, c’est-à-dire une interprétation du temps qu’il fait et fera en accord avec les linéaments d’une climatologie politique des courants actuels et des perturbations à venir. Autrement dit, il faut développer l’art de comprendre les cycles. Il faut savoir interroger les précipitations, les vents, les marées afin de trouver la meilleure fenêtre pour sortir du grand manoir et trouver la liberté.
Si l’auteur n’en est qu’à ses balbutiements dans l’art politique tant recherché, il sait par contre qu’il existe des courants saisonniers desquels il faudra profiter. Il sait aussi qu’il existe des grands systèmes qui se prévoient sans se fabriquer à partir du sol. Il sait que le réchauffement agira sur les peuples. Il sait que le temps actuel n’est plus aux révolutions de l’époque moderne – nous sommes à la porte d’entrée de l’ère post-héroïque, celle-ci tributaire de la pensée de la fin de l’histoire qui a cours depuis plus de vingt ans – et que la saison des idées doit aboutir à la reconnaissance suivante : il existe des vents de face, des vents de côté, des vents d’ouest, des vents tourbillonnants, et des vents favorables à la navigation, comme l’avaient compris nos audacieux ancêtres qui avaient le français en partage et que nous ne voulons pas renier de notre vivant. S’il faut développer l’art de sentir la direction du vent, cela ne sera pas facile. Peut-être que le mieux est de contribuer, un à un, soit par des textes, des discussions et des mots d’encouragement, à participer, par nos talents individuels, au vent du changement, un vent collectif que l’élite saura reconnaître dans son peuple s’il se lève un jour.
III. Le vent du changement
Ce vent du changement peut émaner d’un fait banal, d’un lancement de livre, d’un coup du sort, ou d’un grand rassemblement post-24 juin. Le vent du changement sera celui qui soufflera au lendemain de la fête nationale et ne cessera pas son déplacement le 1 juillet suivant. Ce vent du changement se sentira dans les quotidiens et les journaux, dans institutions en crise et dans les discours publics. Si ce n’est pas tout le monde qui voudra souffler dans la même direction, le majorité devra, pour une fois, compter.
Le discours de la majorité – tant espéré par l’orateur Pierre Bougault - deviendra l’air que nous recherchons, passé de brise à vent de force 3 ou 4. Ce vent ne devrait pas tout briser, mais marquer une direction, un sens, une route, un destin. Le vent du changement correspondra à l’inversion de la force des nuages sur nous. Il ressemblera alors à l’attraction produite par le travail acharné de milliers de chasseurs de fantômes bénévoles décidant, ensemble et dans une synchronie improvisée, de combattre la même peur, celle qui, nous paralysant, nous empêche d’honorer nos ancêtres et d’aimer nos enfants.
IV. Savoir tirer profit du vent à venir
Ce savoir exigé désormais par les descendants des mariniers est un savoir du temps qui, allié de la prospective et de la futurologie politique, culminera dans la fabrication des « éoliennes » de demain. Ces éoliennes produiront l’énergie du corps québécois. Elles ressembleront à des ailes tournant à partir de ce que nous dirons de nous-mêmes : elles tireront profit du vent, des vents, de tous les vents, ceux que nous rencontrons et ceux qui nous pousseront.
Pour les impatients, les adeptes et ceux qui, depuis bientôt cent ans, travaillent à l’Action nationale, nous préciserons un détail. Il s’agit de savoir qu’il existe des vents et préparer les machines institutionnelles capables d’affronter nos peurs afin de nous pousser vers l’extérieur d’un manoir dont le discours est déjà articulé et étendu partout. Dit autrement, il faut travailler dès maintenant à produire le discours qui saura profiter des courants et des changements, un discours persuasif parce que situé au-delà de la peur. Il convient de former à même le peuple des artistes dévoués, des orateurs qui, ayant appris à chasser les fantômes, sauront reconnaître le discours de la peur, l’exorciser et, à même l’ambiance, trouver le tempo et les mots qu’il faut pour ne plus effaroucher les entendeurs. Ces orateurs de demain parviendront à lire, à écrire, à décoder, à utiliser des cartes pour parvenir à donner au discours ambiant l’inflexion désirée.
Ce discours se construit, se prépare, et nous avons hâte d’entendre souffler un vent ne partant pas d’Europe, des Etats-Unis ou de la Chine, mais trouvant, dans l’atmosphère collective du Québec, une raison d’espérer un monde meilleur. Savoir tirer profit du vent, c’est accepter de tenir, au bon moment, le discours qui rassure le peuple et lui donne le goût de vivre demain.
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Dominic Desroches - Le chasseur de fantôme

(14 mars 2007-25 novembre 2009)
« Il fut chasseur de fantômes dans la grande Nef »
Est décédé littérairement à Lille (France) le mercredi 25 novembre, à l’âge 1022 jours, l’auteur et chasseur de fantôme québécois Dominic Desroches. Il laisse dans le deuil huit lecteurs, dont sa conjointe, sa famille et sa belle-famille, et 44 autres lecteurs secrets. La famille, exceptionnellement, n’accueillera pas les visiteurs extérieurs. Les funérailles devraient avoir lieu en la Chapelle de Vigile le 26 ou 27 novembre prochain. Ses textes et ses meilleures clichés de fantômes seront exposés pendant quelques jours. Ses dernières cendres seront déposées dans une urne à son nom. N’offrez pas de fleurs. Pour les dons en argent, prière d'envoyer vos contributions au responsable du site Vigile.
L’auteur

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Dominic Desroches115 articles

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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