Un universitaire sans chaire. Ce qualificatif que se donne lui-même le professeur Dominic Desroches, ne m’était pas venu à l’esprit dans mes multiples tentatives de le décrypter. Depuis 2 ans, chacun voit passer ses textes touffus, qu’il a coiffés plus récemment du titre : Penser le Québec. Nous n’étions pas nombreux à nous arrêter, d’abord curieux des opinions d’un professeur de philo du collégial, puis intrigués par l’enveloppe qu’il utilise pour livrer sa pensée : l’allégorie, la métaphore, voire l’énigme. Encore récemment, je l’ai un peu provoqué dans cette trilogie que je complète ici sous le titre Un Québec foutu !
Voulant donner une seconde vie à son texte [ La politique spectrale->23225], j’en ai résumé les conclusions, peu optimistes sur le sort du Québec. J’ai souligné des phrases comme « nous sommes partis pour disparaître dans la joie du hockey révolu »… Ça me permettait de l’inclure dans un trio d’auteurs suggérant que le Québec est foutu ! Mais D.D. ne se laisse pas facilement classifier. Il réplique : « Je n’ai pas écrit littéralement que le Québec était foutu. » Pour éviter, sans doute, d’être qualifié de philosophe du désespoir. Il nous offre aussitôt : [« Le fantôme de Shakespeare - To be, or not to be... in French ? »->23642] Non timide dans ses interprétations impitoyables de nos peurs morbides, il glisse encore des idées sombres sur notre avenir mais sans jamais bloquer complètement l’horizon, sur le modèle de Shakespeare.
« L’esprit de la langue demande simplement s’il vaut la peine de poursuivre les efforts de nos grands-parents. L’esprit de la langue dit qu’il y a un prix à payer – politiquement - pour être libre chez soi. Il dit aussi, et sur cette question sans réponse se termine le quatrième acte : « To be, or not to be in French ? »
Des lecteurs l’interpellent, timidement disons, sur sa façon de ne pas s’exposer aux échanges familiers propres à la formule vigilienne « Écrire un commentaire ». Les phrases lapidaires comme Bravo je vous admire ou Seriez-vous un peu arrogant ? l’indisposeraient : il préfère qu’on formule une opinion plus structurée dans un article personnel. Il s’enflamme même un peu à ce sujet dans un commentaire : « Si les lecteurs passent outre mes contributions au nom de la métaphore et de mon style, et bien tant pis pour eux ! Je lis peu de contributions sur Vigile moi-même, alors pourquoi exiger des autres qu’ils me lisent ? »
L’universitaire sans chaire… sous-utilisé, donc. Écrire sans être lu, ce n’est pas universitaire… il n’admettra pas qu’on parle ici d’une légère amertume, mais peut-être d’une fierté souffletée. Au début, son statut de professeur de philo au cégep me suggérait un poste très considéré, mais à ses remarques, je me dis maintenant : peut-être pas à sa juste valeur… Les universités subissent peut-être des coupures de postes… pour lui, le collège… je ne supputerai pas, par considération pour ses étudiants, qu’il refuse d’impliquer.
Qu’à cela ne tienne : le professeur Dominic Desroches, on l’apprend au hasard des échanges de courriels, profite maintenant d’un congé sabbatique en Europe. Il peut s’y mesurer aux plus grands, qu’il a sans doute connus par les publications scientifiques, par les conférences internationales. Sa compétence est reconnue. Porté sur la main, il y flotte sur un nuage. Les jours n’ont que 24 heures. Il devra nous fausser compagnie mais ne sait comment nous le dire. Dans une touchante confidence en commentaire à la lettre de Catherine Doucet [(Collaboration spectrale)->23733], il bondit sur l’occasion d’une auteure qui l’admire pour lui offrir sa tribune :
Il(le prof) vous(Doucet) demande instamment si vous acceptez de prendre sa place. Acceptez-vous de poursuivre son travail ? En un seul texte, vous avez été plus loin que lui en 80 ! Il est prêt à vous laisser son espace car il ne gagne rien à expliquer, à coup de concepts et d’images, ce que la plupart refuse de sentir et d’envisager. Et s’il répond à ses lecteurs à l’extérieur de sa collaboration, il ne veut pas faire d’ombre aux siens et accepte de disparaître dans les brumes qu’il a contribué à exposer. Vous vous êtes adressé à un chasseur de fantômes cohérent.
Énigmatique, n’est-ce pas ? Autre tirade :
Arrivé seul et sans ambition, armé d’un style foudroyant et peut-être menaçant pour les apôtres, il repartira seul et sans amis dès que l’orage éclatera. Combattre des spectres qui apparaissent partout, parfois sur Vigile, vous savez, est une tâche exigeante, capable d’achever plus d’un homme. L’auteur, d’ailleurs, sait gré à Ouhgo et quelques autres correspondants de l’avoir vu et les en remercie spirituellement.
D’où mon affection maintenue pour le professeur Dominic Desroches, la vôtre aussi, sans doute. Ses collaborations sur Vigile, je l’ai déjà mentionné, lui servent d’exercice pour structurer sa pensée à des niveaux supérieurs. N'en prenons pas ombrage. Si nos actions directes, de terrain, l’agacent souvent, ça ne le freine pas dans son désir très québécois de s’exprimer sur notre but commun, la question nationale. Comme nous tous, peut-être, il observe la courbe ascendante de l’assimilation volontaire mais il refuse de jeter la serviette. S’il tourne en général ses conclusions pour garder de l’ouverture, il se laisse parfois aller dans des déclarations fort lucides :
« Un jour libres et souverains, plusieurs Québécois auront peur de la nouvelle réalité et chercheront à redevenir des sujets. La peur est inscrite au fond d’eux et ils ont appris à vivre en elle, à l’aimer et à la justifier électoralement. Ils ne pourront pas guérir parce qu’ils ne reconnaissent pas leur état et que leur maladie, comme disait le médecin Jacques Ferron, échappe à tous les dictionnaires et défie toutes les définitions. » Un Québec foutu, dis-je.
Cette allusion à la déception qu’éprouvent des citoyens des nouveaux pays, impatients des lenteurs de la première année, ce qui nous guette en effet si nous procédons avec une trop faible majorité du vote, il est un rare penseur à en faire une prédiction aussi crève-cœur. Pour des phrases comme ça, D.D. nous manquera. Il pensera : tant pis. Nous espérerons qu’il se ravisera.
Dès que j’ai lu son annonce de départ, en commentaire chez Catherine Doucet, j’ai réagi par cette allégorie, pour le prof :
Un Quetzal ! Ne bougeons plus ! Jumelles, silence, yeux au plus grand ! Marchant dans la forêt pluvieuse du Costa Rica, depuis tôt le matin, certains n’espéraient plus l’apercevoir malgré cette soif de voir, une fois dans la vie, le Quetzal. Or, après un vol furtif, invisible sous la ramée verte, il vient de se poser près de ses miniavocats préférés, les longs rubans verts de sa queue encore volant de son arrêt soudain. Il nous fait luire sa poitrine rubis, sa cape émeraude, sa huppe dressée qui fait ressortir l’œil noir et le bec de coq jaune… Il picore calmement. Visons-le, studieusement car il n’avertira pas avant de nous quitter. Ce pourrait être le seul Quetzal qu’il nous soit donné d’observer de notre vie.
Il y a plusieurs mois, j’ai découvert un Quetzal sur Vigile. Il a fait son nid. Il a nourri sa famille, discrètement. J’ai essayé d’attirer l’attention sur lui, avec précautions. J’ai voulu qu’on remarque son caractère resplendissant, ses mœurs secrètes. J’ai voulu en garder les meilleures photos et faire découvrir ses comportements typiques.
Mais aujourd’hui, je suis angoissé, triste. Le Quetzal ne trouve plus de nourriture, ou il craint des prédateurs, des braconniers, peut-être. Le Quetzal n’entreprend peut-être qu’une migration saisonnière, peut-être une modification de son aire géographique, à cause de changements du climat. Si c’est le cas, ne soyons pas trop accablés, nous le perdons, mais il va se perpétuer ailleurs. Le professeur Dominic Desroches nous quitte, il l’annonce aujourd’hui. Il nous laisse des photos, ses 80 articles sur Vigile.
Nous recevons aujourd’hui ce dernier article promis :
PENSER LE QUÉBEC
La transformation des fantômes en éoliennes
Sur le discours à venir – Suivi de la chronique nécrologique de l’auteurDominic DESROCHES
Collaboration spéciale
mercredi 25 novembre 2009
Je ne rapporte que sa finale:
Dominic Desroches - Le chasseur de fantôme
(14 mars 2007-25 novembre 2009)
« Il fut chasseur de fantômes dans la grande Nef »
Est décédé littérairement à Lille (France) le mercredi 25 novembre, à l’âge 1022 jours, l’auteur et chasseur de fantôme québécois Dominic Desroches. Il laisse dans le deuil huit lecteurs, dont sa conjointe, sa famille et sa belle-famille, et 44 autres lecteurs secrets. La famille, exceptionnellement, n’accueillera pas les visiteurs extérieurs. Les funérailles devraient avoir lieu en la Chapelle de Vigile le 26 ou 27 novembre prochain. Ses textes et ses meilleures clichés de fantômes seront exposés pendant quelques jours. Ses dernières cendres seront déposées dans une urne à son nom. N’offrez pas de fleurs. Pour les dons en argent, prière d’envoyer vos contributions au responsable du site Vigile.
L’auteur
Énigmatique, le prof?
Sachez pourtant, professeur philosophe, du haut de votre paradis littéraire, que les politiciens à courte vue auront toujours besoin de livres de chevet écrits par des penseurs. S’ils vous trouvent, ils pourront nous assurer que le Québec n’est pas foutu !
Merci. Ouhgo
ADDENDUM
Récent communiqué de Dominic Desroches: (courriel personnel)
"J'en profite pour vous signaler que votre interprétation de mon travail est fort intéressante et assez juste, mais que tous mes textes sont envoyés sans lien internet (ils sont nus pour ainsi dire) et que c'est le responsable du site qui fait l'accompagnement visuel et ajoute les liens et les images dans le texte. Je n'ai jamais proposé un seul lien internet pour mes textes et, la photo qui apparaît dans la chronique nécrologique, n'est pas ma proposition. Le lien à la Nef est issu de Bernard Frappier qui a appris à me lire et me donner une extension. L'idée d'intituler ma chronique ou ma collaboration spéciale Penser le Québec n'est pas de moi. Il est vrai toutefois que c'est sur ma proposition que le responsable du site m'a subtilement soustrait à la tribune libre puisque celle-ci ne rendait pas justice à mon travail et me soumettait aux commentaires immédiats qui ne pouvaient rejoindre ma série. SI vous voulez ajouter mes dernières précisions en réplique à votre essai - le Québec foutu 3, faites-le."
Je vous laisse juge d'utiliser ou non ce message (en tout ou en partie) à la suite du petit addendum à Qc Foutu (3) (livre de chevet aux politiciens à courte vue)
Merci, Ouhgo
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5 commentaires
Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre
28 janvier 2012Dominic Desroches ne chôme pas: il y a 2 jours, il nous offrait: "L'hiver de force" texte égal à ce qu'il a l'habitude de nous servir. Et il conclut:
"La liberté collective disparaît parce que les Québécois, abandonnés par les leurs, ont maintenant besoin des autres, comme s’ils n’étaient plus rien par eux-mêmes. Cela est d’autant plus triste que l’hiver, s’il n’était pas forcé mais choisi, pourrait mener au pays. L’hiver, on se rappellera Gilles Vigneault, pourrait être une si belle saison."
Encore une fois, il s'interdit le pessimisme fatal, comme philosophe. Cependant, il n'ouvre pas de grande porte sur l'avenir du Québec, ce pays que nous cherchons depuis la traîtrise des Plaines d'Abraham. Or, cet historique événement est toujours banni des médias québécois, propriété de l'Empire.
Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre
27 janvier 2012Bonjour Didier,
De cette trilogie (il y a plus de 2 ans) d'échanges avec le professeur Desroches, je reste aussi porté à croire que le Québec qu'on voulait est foutu. Mais D.D. refuse de baisser les bras, même s'il écrit ceci:
"L’importance de penser la politique de la peur
Ce passage de la Nef des fous, à la monarchie jusqu’à la passion du hockey professionnel repose sur une prémisse à double entente : les Québécois ont peur d’être et se trouvent toujours hantés par leur passé. Ils ont peur de réussir, ils ont peur de ceux qui réussissent et ils ont peur des autres, ceux qui, sans honte, tentent de réussir quelque chose et y parviennent par eux-mêmes. Le temps est aux fantômes, à ces étranges apparitions qui, à tous les jours, viennent faire peur aux Québécois en leur racontant leur passé et en leur signifiant leur faillibilité."
Il faut bien se reposer sur l'Histoire, qui nous rappelle les batailles de nos ancêtres: Patriotes, Groulx, Confédération et Conscriptions, Révol tranquille... Le danger qui nous apparaît nouveau est la vague d'immigration non intégrée... mais il y en eu d'autres avant.
Le futur? perte du souverainisme, oui, mais du progressisme? Les assimilés de l'Ouest, des ÉU, Louisiane, ne sont plus souverains, mais, comme tout vaincu de guerre, s'ils oublient leur histoire, ils s'intègrent, rentrent dans le rang et profitent du progrès de leur nouvelle société. Les nations se succèdent ainsi.
Et pourtant, l'année qui vient pourrait nous réserver des surprises... Continuons le combat!
Archives de Vigile Répondre
26 janvier 2012Que le Québec est foutu, il me semble que c'est une évidence.
Il se peut même que le coup de grâce ait été porté lorsque Gilles Duceppe a écarté la possibilité de prendre la direction du PQ.
Je pense qu'il s'agissait de la toute dernière carte des souverainistes et aussi des progressistes.
Par exemple, avec Duceppe comme chef, je pense que Québec solidaire aurait pu joindre une coalition avec le PQ parce que les chances de victoire étaient bonnes.
Mais maintenant, QS ne peut se permettre une défaite en se coalisant avec le PQ car la défaite serait double: celle de la souveraineté et celle du progressisme.
Ces deux courants (souverainistes et progressistes) sont donc appelés à disparaître du paysage politique québécois dans un proche avenir (malheureusement).
Ainsi, nous vivrons tous dans le chacun pour soi, dans une société multiculturelle, sans racines, sans nation et une société du haut plus fort la poche et de la loi de la jungle.
L'engagé Répondre
6 septembre 2011Merci pour cette découverte!
Je ne vais pas m'éterniser dans un commentaire inutile, mais me mettre à le lire de ce pas!
Archives de Vigile Répondre
26 novembre 2009Pour son avis de décès littéraire, D.D. nous fournit une autre image de son apparence physique. Au premier coup d’œil, je n’ai pas reconnu celui qui nous avait offert une image monastique : foulard olive drapé sous le crâne de Hamlet ; désormais rajeuni d’une repousse pileuse sur un tricot relâché.
Comme portraitiste de sa pensée, j’en fus interpellé : le sujet de mon étude se métamorphose… Qu’en serait-il alors du son de sa voix ?… Son accent lanaudois ? Ses tics ? Je veux presque le garder idéal… ne pas le rencontrer. Ne pas dissiper le mystère, contrairement à ce que j’ai osé faire lors de certaines manifestations, au lieu de me réjeanducharmiser : Bonjour, je suis Ouhgo.
Mais pour attirer l’attention, j’aurais dû commencer par le mot : Tabarnak !