La synagogue de la controverse

Actualité québécoise 2011


Quand je l'ai rencontrée, Leila Marshy s'apprêtait à faire du porte-à-porte dans son quartier. Dans son sac, des tracts qui exhortaient les citoyens à voter pour l'agrandissement de la synagogue hassidique Gate David, rue Hutchison, à la frontière entre le Mile End et Outremont.
Leila Marshy n'est pas juive hassidique. Elle n'est pas politicienne. Elle jure qu'elle n'a pas été embauchée par une boîte de relations publiques. Elle est avant tout une citoyenne indignée. C'est cette indignation qui l'a poussée lundi matin à fonder Les Amis de la rue Hutchison, un petit comité de résidants qui soutient publiquement les hassidim dans leurs efforts pour rénover et agrandir leur synagogue.
Un référendum sur ce projet a lieu demain. Et aux yeux de citoyens comme Leila Marshy, le débat n'a pas qu'une portée locale. Il ne s'agit pas simplement de dire oui ou non à l'ajout de 10 m2 à une synagogue qui existe depuis 60 ans. Il s'agit avant tout de défendre un certain esprit d'ouverture et de tolérance malmené par la tournure qu'a prise le débat. Un non au référendum «prouverait que nous sommes, collectivement, intolérants et craintifs, que nous avons l'esprit fermé et que nous tournons le dos à l'avenir», dit le tract.

Mayer Feig, porte-parole de la congrégation Gate David, fait visiter la synagogue à Leila Marshy, résidante du quartier qui soutient le projet d'agrandissement.
Photo: Alain Roberge, La Presse
«Je ne veux pas être témoin de ce genre d'intolérance. J'habite rue Hutchison depuis longtemps. Il n'y a pas de place pour ça ici», me dit Kathryn Harvey, qui a coécrit le tract distribué cette semaine. Voilà presque 20 ans qu'elle côtoie des hassidim. Elle n'a jamais eu le moindre problème avec eux. «Une fois, je suis tombée sur la glace. Ce sont deux hommes hassidim qui m'ont relevée! Une autre fois, j'étais prise dans la neige avec ma voiture. Des enfants hassidim m'ont offert de m'aider.»
Le discours de ces citoyens tranche avec celui de Pierre Lacerte, citoyen bien connu du quartier qui a créé un blogue provocateur au lendemain des audiences de la commission Bouchard-Taylor. Ex-journaliste, Pierre Lacerte y fustige les autorités, qu'il accuse de laisser-faire. Il dit vouloir dénoncer les «accommodements» que demande la communauté hassidique.
Les uns l'applaudissent. Les autres trouvent que son acharnement laisse transpirer de l'intolérance. Il s'en défend. «On m'a traité d'antisémite, de raciste, de renfermé sur moi-même. C'est peut-être de bonne guerre. Sauf que je suis très ouvert aux autres. Je parle cinq langues couramment, une sixième moyennement. J'ai vécu dans différents pays, j'ai des amis partout dans le monde, beaucoup de juifs, dont certains font partie du groupe qui veut empêcher l'agrandissement.»
«Ce n'est pas contre des individus hassidiques que je me bats. C'est contre les autorités et contre une communauté qui n'est pas du tout démocratique. C'est une communauté théocratique qui utilise la démocratie pour arriver à ses fins.»
Pourquoi ce citoyen est-il contre l'agrandissement de la synagogue Gate David? Parce que cela déroge au zonage strictement résidentiel de la rue, dit-il d'emblée.
S'il est vrai que cette synagogue soulève des questions légitimes quant à l'implantation de lieux de culte dans une zone résidentielle, sa présence n'est pas illégale pour autant. Il s'agit en fait de l'une des plus anciennes synagogues hassidiques à Montréal, établie avant même que le zonage résidentiel ne soit décrété.
Comme la synagogue est déjà là, qu'est-ce que cela peut bien changer pour les voisins qu'elle soit un peu agrandie? «On a déjà un problème d'achalandage», dit Pierre Lacerte, qui évoque entre autres choses les voitures garées en double. «Eux, ils disent qu'ils viennent à pied. Le jour du sabbat, c'est vrai qu'ils ne prennent pas leur voiture. Mais ce sont les six autres jours de la semaine qui nous causent problème. Quand ils font des fêtes, tout à coup, ils se retrouvent au milieu de la rue.»
On comprend en l'écoutant que, au-delà de la question de l'agrandissement de cette synagogue tout à fait légale, c'est la présence même de cette communauté ultrareligieuse en pleine croissance qui l'irrite. «La population hassidique va doubler dans les 15 prochaines années. On a une rue résidentielle que l'on veut préserver pour l'avenir.»
J'ai voulu voir de mes propres yeux l'état des lieux. Mayer Feig, porte-parole de la congrégation Gate David, m'a ouvert les portes de sa synagogue un après-midi. À l'intérieur, une salle de prière en décrépitude où étaient assis deux hommes. Une odeur de sous-sol d'église. Une série de longues tables alignées, sur lesquelles sont posés des livres usés par la prière. À l'étage, on entend un homme entonner un chant religieux.
Mayer Feig m'explique qu'une trentaine de familles fréquentent la synagogue. Il ne s'agit pas d'en accueillir davantage, plaide-t-il. Il s'agit d'y être plus à l'aise. De permettre aux personnes âgées d'avoir accès à des toilettes au rez-de-chaussée, par exemple. Ou encore d'avoir un vestibule où ranger les bottes et les manteaux en hiver.
«Dès le premier jour, nous avons fait les choses selon les règles», dit-il, en référence aux compromis consentis. L'agrandissement sera plus modeste. La terrasse sera beaucoup plus petite que celle qui était prévue dans le plan initial. Les fenêtres arrière ne s'ouvriront pas afin d'éviter que les voisins se plaignent du bruit...
«Les requérants ont suivi les règles à la lettre», confirme le conseiller municipal du Mile End, Alex Norris, de Projet Montréal, qui a voté pour le projet.
Même si les règles ont été suivies à la lettre, il semble que cela ne change rien dans l'esprit des opposants. Ils restent convaincus que la Ville octroie des passe-droits à la communauté hassidique afin de gagner son vote. «Cela a peut-être été vrai dans le passé, mais ce n'est pas le cas de notre administration, dit Alex Norris. Nous sévissons contre les agrandissements illégaux.»
Mayer Feig ne prétend pas, pour sa part, que les hassidim soient parfaits. Il concède que certains immeubles laissés à l'abandon donnent mauvaise réputation à sa communauté et qu'il faudra s'en occuper. Mais justement, pourquoi l'empêcher dans ce cas d'aller de l'avant avec un projet d'agrandissement qui permettrait d'embellir la synagogue?
Ce sera aux 1200 citoyens du voisinage de décider demain s'ils approuvent ou non le projet. S'ils disent non, ce sera la fin du projet. Mais certainement pas la fin de l'histoire.


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