La «septimana horribilis» de Harper

Politique étrangère et Militarisation du Canada


Parti du mauvais pied au Sommet de Saint-Pétersbourg en Russie, Stephen Harper est revenu à Ottawa, hier matin, passablement amoché. Sa première grande sortie internationale a tourné au désastre.
Plus grave encore pour l'avenir de son gouvernement, la polarisation de l'opinion publique canadienne, que son attitude résolument pro-israélienne a provoquée, risque de lui coûter sa majorité. Un sondage de Léger Marketing, cette semaine, a révélé que les Québécois sont mécontents de sa gestion de la crise au Moyen-Orient : 67 % «désapprouvent» sa décision d'appuyer l'intervention israélienne au Liban, et 62 % jugent ses efforts pour rapatrier les Canadiens d'origine libanaise «insuffisants».
Guy A. Lepage, le populaire animateur de Tout le monde en parle, a résumé ce que bien des Québécois pensent aujourd'hui : Stephen Harper s'est comporté comme «le toutou des États-Unis».
L'étape de Paris
Enfin, le chef du gouvernement canadien s'est considérablement éloigné de la Francophonie internationale. L'étape de Paris, après le Sommet du G8, n'était pas vraiment nécessaire. En fait, bien des observateurs pensent qu'il aurait dû rentrer directement à Ottawa pour diriger sur place les opérations de rapatriement des Libanais. Au lieu de cela, les requêtes en provenance de l'ambassade de Beyrouth, envoyées à Ottawa, devaient retourner à l'état-major du premier ministre en Europe, puis retourner à Ottawa et revenir enfin à Beyrouth, approuvées ou non. Des fonctionnaires se sont sentis «trahis».
Mais puisqu'il avait décidé de passer deux jours à Paris, une visite de courtoisie au président de l'Organisation internationale de la Francophonie, Abdou Diouf, s'imposait. Elle aurait fourni au chef du gouvernement l'occasion d'affirmer la solidarité du Canada - membre lui aussi de la Francophonie ! - avec un petit pays francophone dévasté par la guerre.
Isolé dans le camp de Bush
Comparons le silence glacial de Stephen Harper avec les propos de Jean Charest à Paris à propos des Libanais en fuite : «Ils viennent retrouver la paix chez nous», «ils rentrent à la maison». Voilà des mots justes pour ces néo-Québécois très actifs et bien intégrés ici.
Indépendamment de ce que l'on peut penser du conflit au Moyen-Orient, l'attitude de Stephen Harper - et surtout son entêtement à la maintenir tout au long de la semaine - l'a isolé dans le camp de George Bush.
Les gouvernements libéraux ne commettaient jamais de telles erreurs car les personnalités juives qui militent dans le parti - comme l'ancien ministre de la Justice, Irwin Cotler - sont «libérales» justement, et plus modérées dans leurs opinions. Souvenons-nous qu'un autre jeune premier ministre conservateur, Joe Clark, commit la même erreur en 1979, suggérant de déménager l'ambassade canadienne de Tel-Aviv à Jérusalem, ce qu'aucun pays occidental n'a jamais osé faire.
Image personnelle
Mal conseillé sur le fond de sa politique étrangère, le premier ministre a finalement eu l'air d'un politicien soucieux de son image personnelle. Stephen Harper aurait dû faire venir un Challenger pour rentrer seul et directement à Ottawa, et laisser son Airbus, vide, à la disposition des réfugiés libanais.
Au lieu de cela, tout en abandonnant à Paris les journalistes qui l'accompagnaient, le premier ministre a conservé avec lui sa directrice des communications, son attaché de presse et son photographe personnel.
La seule communication officielle que les membres de la Tribune de la presse parlementaire à Ottawa ont reçue jeudi, alors que Stephen Harper attendait en bout de piste l'arrivée des premiers réfugiés, fut une photographie le montrant, dans son avion, en compagnie du ministre des Affaires étrangères de Chypre. Cela ressemblait trop à une opération de relations publiques.
«Une bande d'amateurs !» a-t-on dit de son équipe, avec un mépris évident, dans les couloirs des ministères fédéraux et dans les salons des ambassades étrangères à Ottawa !
Le premier ministre a eu l'air d'un politicien soucieux de son image personnelle
«Ce n'est pas moi, c'est lui»
Dans l'avion qui l'emmenait à Londres, le premier ministre a commis l'erreur de se laisser aller à la confidence avec les journalistes, qualifiant de «justifiée» l'intervention militaire israélienne au Liban. Dès lors, Stephen Harper était engagé dans une spirale infernale...
Avant l'intervention militaire israélienne, en effet, le Hezbollah libanais avait enlevé, le mercredi 12 juillet, deux soldats israéliens à la frontière entre Israël et le Liban. Représailles israéliennes justifiées, donc?
Mais le Hezbollah disait quant à lui réagir à l'entrée des chars israéliens à Gaza, territoire palestinien reconnu «autonome» par la communauté internationale.
Israël dira qu'il a ouvert ce premier front pour répliquer à l'enlèvement, par le Hamas cette fois, de l'un de ses soldats, le 25 juin précédent.
Mais le Hamas prétend avoir voulu punir Israël pour le bombardement d'une plage de Gaza, le vendredi 9 juin, anéantissant une famille palestinienne...
De provocation en provocation
Mais où commence cette escalade ? On pourrait remonter, de provocation en provocation, jusqu'à l'origine même du Hezbollah, en septembre 1982. L'armée israélienne avait alors envahi le Liban. Et son commandant, Ariel Sharon, avait laissé des milices chrétiennes libanaises entrer dans les camps de Sabra et Chatila, provoquant le massacre de centaines de réfugiés palestiniens...
Est-ce la même opération qui se prépare aujourd'hui ? On comprend que la communauté internationale s'inquiète. La présence de caméras de télévision partout, ce qui n'était pas le cas en 1982, et la vision de populations civiles massacrées risquent d'embraser toute la région, le monde entier peut-être.
Populations harcelées
Une chose est certaine : les branches armées du Hamas palestinien et du Hezbollah libanais harcèlent les populations civiles d'Israël au sud et au nord. Et Israël répond en occupant à nouveau des territoires - Gaza et le sud du Liban - qu'il avait quittés il y a quelques années. Et des deux côtés, on fait «un usage excessif de la force», comme l'a dit le secrétaire général des Nations unies.
Mais qu'allait donc faire Stephen Harper dans cette galère ?


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