En 1977, après des années de mobilisation citoyenne instiguée notamment par les Sociétés Saint-Jean-Baptiste et le Mouvement Québec français, le gouvernement du Québec a fait adopter la Charte de la langue française. Ce fut un véritable geste historique d’affranchissement collectif. Un saut dans la modernité.
Aussi déterminante fût-elle pour le Québec, la loi 101 n’est pas pour autant un phénomène exceptionnel à l’échelle mondiale. La plupart des États occidentaux ont leurs lois linguistiques. Le bon sens veut que, sur un territoire donné, une seule langue commune s’impose, que ce soit pour l’éducation ou pour les services publics. Loin de susciter la division, il s’agit là d’un facteur majeur de cohésion nationale, essentiel à l’inclusion des nouveaux arrivants. Au-delà de la nécessité de pérenniser la francophonie en Amérique du Nord, faire du français la seule langue officielle au Québec, dans le respect des droits de la minorité historique anglophone et des Premières Nations, c’est vouloir « unir », « inclure » ; c’est favoriser l’harmonie et la réussite sociale.
Aussitôt adoptée, la Charte de la langue française fut combattue sans relâche, notamment devant les tribunaux. Le gouvernement fédéral interviendra de toutes les manières inimaginables pour faire prévaloir sa propre vision de l’aménagement linguistique, que ce soit par le financement généreux des groupes de pression anglophones ou la promulgation unilatérale en 1982 d’une Constitution pourtant rejetée par le Québec. Le bilinguisme institutionnel ainsi restauré, la vitalité du français s’en verrait largement diminuée.
Au regard des faits, la situation actuelle a de quoi inquiéter. Le pouvoir d’attraction de l’anglais reste largement supérieur à celui du français, qui ne parvient pas à s’imposer en tant que langue commune. Le français recule aussi comme langue d’usage à la maison, alors que le poids de l’anglais ne cesse d’augmenter. Sur l’île de Montréal, la proportion de gens parlant le français à la maison n’est que de 53 %, soit 8,8 points de pourcentage de moins qu’en 1986 (61,8 %). C’est énorme. Et si rien de sérieux n’est entrepris, les projections démontrent qu’en 2056, cette proportion chutera à 43 %.
Intégration à l’emploi
Pour éviter le pire, il y a lieu tout d’abord d’actualiser notre vision du rôle du système d’éducation, ce lieu névralgique d’intégration et de transmission de la langue et de la culture. En particulier, l’enseignement collégial et universitaire représente de nos jours une étape majeure de l’intégration à l’emploi et influe fortement sur la langue de travail et les transferts linguistiques.
À son époque, Camille Laurin n’aurait pas pu prévoir qu’en 2017, un si grand nombre de jeunes Québécois fréquenteraient les cégeps et les universités de langue anglaise. Alors qu’il n’y a que 8 % d’anglophones au Québec, plus de 11 % des élèves du primaire et du secondaire fréquentent l’école anglaise. Au collégial, 23 % des étudiants qui suivent la formation préuniversitaire choisissent de le faire en anglais. Au niveau universitaire, plus de 21 % des étudiants fréquentent un établissement anglophone.
Il a été démontré que, parmi les jeunes ayant fait le saut du secondaire français au cégep anglais, ceux qui souhaitent continuer leurs études s’inscriront presque systématiquement par la suite à l’université anglaise. Aussi, dans la plupart des cas, leur langue de travail sera l’anglais. Plus précisément, chez les allophones poursuivant des études postsecondaires dans la langue de Shakespeare, trois sur quatre occuperont ensuite un emploi en anglais. Chez les francophones, cette proportion est de l’ordre de 50 %, un chiffre préoccupant.
C’est pourquoi il est si essentiel que le champ d’application de la Charte de la langue française soit étendu au collégial, agissant ainsi en amont du monde du travail.
Équilibre
Aussi, il faut absolument rétablir l’équilibre dans le financement des établissements universitaires de langue française et ceux de langue anglaise à l’image du poids relatif des réseaux français et anglais des secteurs primaire et secondaire (89 %-11 %). Certaines mesures proposées par M. Lisée vont dans cette direction.
De plus, étant donné qu’encore aujourd’hui, plus de 200 000 Québécois issus de l’immigration ne parlent pas un mot de français, les cours de francisation devraient être obligatoires et les allocations pour ce faire, bonifiées.
Au-delà de l’éducation et de la francisation, il faut considérer comme prioritaire de mettre fin au bilinguisme institutionnel dans les services gouvernementaux. Entre autres mesures, il est plus que temps de mettre en vigueur l’article 1 de la loi 104, adoptée à l’unanimité en 2002. Cette disposition cruciale établit que, dans ses communications écrites avec les personnes morales établies au Québec, l’Administration publique utilise uniquement la langue officielle.
Ensuite, pour que le français devienne « la véritable langue de l’État », comme le souhaite monsieur Lisée, il faudrait tout d’abord qu’en matières judiciaire et législative, soit deux des trois composantes de cet « État », la langue française redevienne la seule langue officielle…
À un moment ou un autre, ces mesures ont presque toutes déjà fait partie du programme du Parti québécois. Certaines figuraient même dans la loi 101 originale. Or, on n’en retrouve pratiquement aucune dans la proposition principale présentée par le nouveau chef.
Cela est fort regrettable. S’il avait fallu, au moment d’adopter la loi 101, qu’on s’empêche d’agir par peur de « diviser », le Québec français serait aujourd’hui probablement à terre, et la nation québécoise, plus divisée que jamais. Afin d’éviter cette éventualité et de garantir à notre langue un avenir digne de ce nom, il faut parachever une bonne fois pour toutes la reconfiguration institutionnelle entamée par Camille Laurin en faisant du français la seule langue officielle et commune au Québec.
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