L'appétit des grands empires est sans limites. Quelqu'un peut-il citer l'exemple d'un grand groupe médiatique qui aurait réduit volontairement sa taille par crainte de trop contrôler l'information?
Il y a environ un mois se tenait devant le CRTC une audience publique sur la propriété des médias. Bien que des regroupements de citoyens et des groupes de journalistes aient fait valoir qu'au Canada on avait sérieusement besoin de plus de pluralisme et qu'une intervention gouvernementale pourrait être nécessaire pour stopper l'appétit des grands groupes, le président du CRTC a pratiquement fermé la porte.
Il hésitait à réglementer le fonctionnement des entreprises de presse, de peur d'être accusé de menacer leur indépendance, déclarait-il. «Empêcher une entreprise de posséder une chaîne de télévision et un quotidien dans un même marché, ou insister pour que les salles de rédaction des médias appartenant à un même groupe ne soient pas fusionnées pourrait avoir cet effet», ajoutait-il.
Pourtant, de telles réglementations existent un peu partout dans le monde. Tous les spécialistes qui se sont penchés sur cette question affirment que le Canada est un des pays où la concentration des médias est parmi les plus élevées au monde.
Même aux États-Unis, les règles de propriété des médias sont plus strictes. Remarquez que c'est peut-être à la veille de changer. Jeudi dernier, le New York Times nous apprenait en effet que la Federal Communications Commission, la FCC, l'équivalent du CRTC chez nos voisins du sud, s'apprêtait à tenir un vote, en décembre, pour libéraliser les règles de propriété des médias.
Il y a trois ans, la FCC avait tenté d'assouplir ces règles. Mais elle avait été déboutée en cour, après avoir reçu quelque trois millions de commentaires de citoyens inquiets que l'on ouvre ainsi la porte à une plus grande concentration des médias.
La réglementation américaine interdit à une entreprise de posséder un journal et une station de télévision, ou de radio, dans un même marché. Bon, ces règles sont complexes et présentent des exceptions, mais à tout le moins elles existent. Les grandes entreprises font évidemment pression depuis des années sur la FCC pour libéraliser ces règles, au nom de la liberté de marché et au nom d'une meilleure consolidation de leurs forces pour faire face à la mondialisation (un concept qui a le dos très large, comme on le sait).
Et au Québec? Le magazine Le Trente présente dans son édition du mois d'octobre un intéressant portrait de la «guerre des médias» (c'est le titre du numéro), une guerre à la fois psychologique et économique. Le paysage médiatique est dominé par quelques grands groupes, on le sait, mais on constate que l'information semble vraiment devenue une marchandise, malgré tous les beaux discours sur la démocratie, la pluralité des points de vue, et blablabla.
Dans ce numéro le président d'Influence Communication, Jean-François Dumas, a ce commentaire frappant et assez dur: la job du média, constate-t-il, «ce n'est pas d'informer, c'est de vendre de la nouvelle». Et l'information bénéficie d'une véritable mise en marché, où chaque média revendique son scoop, son enquête exclusive, son dossier choc. La concurrence est telle que l'exclusivité d'un média sera examinée avec méfiance par son concurrent, qui hésite à continuer le dossier à sa place.
L'exemple le plus spectaculaire de cette nouvelle commercialisation de l'information fut probablement la fameuse enquête sur les piscines à Montréal l'année dernière. Les deux médias phares de Quebecor, TVA et Le Journal de Montréal, avaient regroupé leur forces pour littéralement imposer cet enjeu dans l'actualité. Je ne dis pas que c'était un mauvais sujet: je constate simplement à quel point son marketing fut agressif.
Lorsqu'un concurrent, Radio-Canada ou La Presse, s'est interrogé sur la méthode de l'enquête, ces objections avaient soulevé l'indignation chez Quebecor. Bref, il ne semblait plus y avoir de dialogue possible, et aucune remise en question, ni d'un côté ni de l'autre, ne semblait acceptable.
Et lorsque TVA reçoit une concurrente du Banquier dans son téléjournal, lorsque Radio-Canada annonce dans son téléjournal la grossesse de Sophie Durocher, est-ce de l'information véritable, ou une tentative de «vendre de la nouvelle», comme le dit Jean-François Dumas, avec un marketing sensationnaliste?
Non seulement les grands groupes occupent un terrain considérable, non seulement l'information est de plus en plus mise en marché comme un produit, mais s'ajoute maintenant la concentration des ressources sur plusieurs plates-formes de diffusion. Le grand groupe qui possède plusieurs médias est irrésistiblement tenté de faire travailler les mêmes ressources journalistiques sur plusieurs supports.
La semaine dernière, par exemple, le comité de surveillance de Quebecor, mis en place lors de l'achat de Vidéotron-TVA en 2001, blâmait Le Journal de Québec pour avoir publié des photos prises par un caméraman de TVA, à l'encontre de la fameuse «séparation» des salles de rédaction.
On sait tous que Quebecor aimerait pousser encore plus loin cette fusion, mais on remarquera que ce n'est pas une invention de sa haute direction! Dans son programme d'austérité annoncé la semaine dernière, la prestigieuse BBC déclarait qu'à l'avenir les employés devraient travailler pour plusieurs médias, plutôt que de constituer des équipes séparées de journalistes, de producteurs et de techniciens pour leurs différentes stations de radio et de télévision. La pluralité des voix, l'accès à des sources d'information variées et multiples, c'est vraiment un des grands enjeux des prochaines années.
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