Courrier international, no. 840
"Les Québécois forment une nation au sein d'un Canada uni." Nul n'aurait prédit, il y a quelques semaines encore, l'adoption d'une telle motion par le Parlement canadien. Pas plus qu'on n'aurait prévu l'élection, le 2 décembre, d'un Québécois à la tête du plus puissant parti de la fédération, le Parti libéral, situé au centre gauche. Ces deux événements signent le retour en force de la province au centre de la politique canadienne.
Le débat sur la place du Québec au Canada a ressurgi à l'aube de la probabilité d'élections fédérales au printemps. Il avait été mis en sourdine après le référendum sur l'indépendance de 1995. A l'effroi du Canada anglais, le candidat à l'investiture libérale, Michael Ignatieff, lançait le projet d'inscrire la reconnaissance de la "nation québécoise" dans la Constitution canadienne. En reprenant l'idée à son compte, le Premier ministre conservateur Stephen Harper avait volé la vedette à ses adversaires avec une motion approuvée le 27 novembre par une majorité écrasante de députés.
Au Canada, la résolution provoque des réactions diamétralement opposées. De l'avis du Globe and Mail, la nature symbolique de la motion la rend inoffensive : elle ne comporte aucune notion de territorialité et satisfait, pour un moment, les revendications québécoises. Selon d'autres, la résolution menace l'unité du pays, qui se voit désormais exposé aux revendications similaires d'autres peuples - autochtones, notamment. De plus, le texte ferait la promotion d'un nationalisme ethnique de mauvais goût. Le mot français "Québécois" n'y est-il pas employé, dans la version anglaise de la résolution, à la place de "Quebecker" ? Le ministre des Affaires intergouvernementales, Michael Chong, recule : "Je crois en une seule nation, le Canada." Interrogés sur le sens donné au mot nation, les ministres conservateurs cafouillent.
Pour Le Soleil, le journal de la ville de Québec, la résolution de la Chambre basse ne règle pas les revendications autonomistes des Québécois. Elle a cependant le mérite de leur reconnaître une place à part dans le pays. "C'est peut-être la fin du grand sophisme qui consistait à considérer le Québec comme une simple pièce de la mosaïque multiculturelle canadienne, comme les Ukraino-Canadiens ou les descendants d'Ecossais. [...] Ils sont, comme le soulignait le Premier ministre Stephen Harper, ceux qui ont fondé l'Etat canadien il y a près de quatre cents ans."
En se montrant ouvert à la volonté de reconnaissance identitaire des Québécois, Michael Ignatieff courtisait ouvertement l'électorat de la province. En élisant Stéphane Dion, un partisan de la ligne dure antiséparatiste, le Parti libéral a préféré s'écarter d'un sujet aussi controversé. Considéré comme un candidat marginal au début de la campagne, le nouveau chef est la bête noire des francophones du Québec.
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