Lorsque Chrystia Freeland a remplacé Stéphane Dion comme ministre des Affaires étrangères en janvier dernier, elle aurait demandé à ce que les fonctionnaires francophones de son département s’adressent à elle en français. La ministre anglophone née en Alberta voulait bien sûr rehausser la qualité de son propre français, dont elle s’était peu servie durant les 25 ans qu’elle avait passés à l’extérieur du Canada jusqu’en 2013. Mais elle cherchait surtout à signaler aux francophones de son département qu’elle valorisait leur langue et tenait à ce qu’ils puissent travailler en français.
Ce sont de tels gestes qui expliquent en partie pourquoi le premier ministre Justin Trudeau a décidé de propulser Mme Freeland au premier rang de son gouvernement, faisant ainsi de cette néophyte en politique la première interlocutrice du Canada sur la scène mondiale. Dieu sait que M. Dion pouvait être brusque et difficile avec ses propres fonctionnaires. Son image terne et sermonneuse ne fut pas celle que M. Trudeau et son équipe voulaient que la diplomatie internationale retienne de son jeune gouvernement. Finie la main de fer de M. Dion. Voici le gant de velours de Mme Freeland.
Qui de mieux pour incarner cette nouvelle diplomatie canadienne que cette femme d’une intelligence émotionnelle surdéveloppée, toujours prête à aider et à écouter ? Ne s’agissait-il pas des qualités qui ont permis à Mme Freeland de bâtir un réseau on ne peut plus impressionnant de contacts parmi les économistes les plus influents et les milliardaires les plus puissants de la planète durant deux décennies de journalisme au prestigieux Financial Times de Londres et ailleurs ? Mme Freeland se disait « amie » avec tous les habitués du Forum économique mondial de Davos, en Suisse, toutes tendances confondues, du milliardaire américano-hongrois et bailleur de fonds du Parti démocrate George Soros jusqu’à Stephen Schwarzman, riche financier américain et républicain, devenu conseiller économique de Donald Trump.
Avec de tels contacts et de telles aptitudes interpersonnelles, Mme Freeland semblait être la femme parfaite pour mener les négociations avec le gouvernement Trump sur la refonte de l’Accord de libre-échange nord-américain, de loin l’enjeu numéro un pour le gouvernement Trudeau. La sauvegarde de l’ALENA passera inévitablement par une grande séduction auprès du président américain et de ses plus proches collaborateurs à la Maison-Blanche, qui ont besoin de traduire le slogan « America First » de la campagne en résultats tangibles pour l’électorat protectionniste qui a mis M. Trump au pouvoir. Le Canada doit ainsi permettre à M. Trump de déclarer victoire en obtenant des concessions de son partenaire du nord sans pour autant mettre en péril l’accès au marché américain pour les exportateurs canadiens ou créer des mécontents ici en trop cédant aux Américains. C’est un défi de taille.
Mme Freeland a beau multiplier les demandes canadiennes, exigeant par exemple que les États-Unis facilitent la syndicalisation des travailleurs, en espérant que les Américains deviendront moins exigeants en contrepartie, elle sait pertinemment que de telles demandes seront rejetées du revers de la main par le gouvernement Trump. De toute façon, de telles demandes relèvent du théâtre politique visant à impressionner les syndicats canadiens, dont la puissante centrale Unifor qui représente les travailleurs de l’automobile en Ontario et qui, en 2015, a placé la défaite du gouvernement Harper avant son appui traditionnel envers le Nouveau Parti démocratique.
Non, la survie de l’ALENA dépendra de la capacité de Mme Freeland à faire un deal politique avec Washington. Ses charmes ne suffiront pas à eux seuls, comme en témoigne Paul Magnette, le ministre-président de la petite région belge de la Wallonie. Il compte parmi ceux qui ont été laissés indifférents par la méthode Freeland.
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