On parle de plus en plus du présumé «bras-de-fer» qui se pointerait à l’horizon entre Québec et Ottawa sur la fameuse question des «frais accessoires» en santé.
Explication :
La semaine dernière, le ministre québécois de la Santé, Gaétan Barrette, annonçait qu’à partir du 1er janvier prochain, les «frais accessoires» chargés directement par certains médecins à leurs patients pour des services déjà assurés par la Régie d’Assurance-maladie du Québec (RAMQ) seraient abolis.
La raison ? La rumeur voulait surtout qu’au gouvernement Couillard, on craignait tout d'abord possible d’une requête judiciaire annoncée en mai dernier dans les termes suivants par la Fédération de l’âge d'or du Québec (FADOC) :
«Nous souhaitons forcer l’intervention de la ministre fédérale dans le dossier des frais accessoires au Québec, pour faire appliquer la Loi canadienne sur la santé (LCS) », clame le Réseau FADOQ, à titre de requérant, appuyé par des dizaines d’organisations de la société civile, syndicales, de patients, de médecins, etc. Une requête en mandamus a donc été déposée hier devant la Cour fédérale du Canada par Me Jean-Pierre Ménard Ad. E., avocat spécialisé dans la défense des droits des patients. Le but d’une telle requête est de forcer, par ordonnance d’un tribunal, une autorité publique (ici, la ministre de la Santé du Canada) à accomplir un devoir que la loi lui impose. Dans notre cas, la ministre a l’obligation d’empêcher la surfacturation de frais accessoires.»
Et pourquoi cette requête ?
Essentiellement parce que depuis de très nombreuses années, ces frais accessoires ont pu s’installer à demeure au Québec en grande partie grâce à la complaisance tacite des gouvernements péquistes et libéraux, des gouvernement fédéraux libéraux et conservateurs et enfin, de la RAMQ elle-même.
Pourtant, la Loi canadienne sur la santé édicte clairement ceci à son article 18:
«Une province n’a droit, pour un exercice, à la pleine contribution pécuniaire visée à l’article 5 que si, aux termes de son régime d’assurance-santé, elle ne permet pas pour cet exercice le versement de montants à l’égard des services de santé assurés qui ont fait l’objet de surfacturation par les médecins ou les dentistes.»
Puis, ceci à son article 20 :
«Dans le cas où une province ne se conforme pas à la condition visée à l’article 18, il est déduit de la contribution pécuniaire à cette dernière pour un exercice un montant, déterminé par le ministre d’après les renseignements fournis conformément aux règlements, égal au total de la surfacturation effectuée par les médecins ou les dentistes dans la province pendant l’exercice ou, si les renseignements n’ont pas été fournis conformément aux règlements, un montant estimé par le ministre égal à ce total. (...)
Avant d’estimer un montant visé au paragraphe (1) ou (2), le ministre se charge de consulter son homologue responsable de la santé dans la province concernée.»
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Le fédéral se réveille?
Traduction : facturés aux patients des frais déjà assurés par le régime public contrevient à la Loi canadienne sur la santé. Ce faisant, la province qui le fait néanmoins subira une pénalité financière dans les transferts fédéraux en santé.
Or, comme mentionné ci-haut, les deux paliers de gouvernement ont plutôt allégrement fermé les yeux pendant des années sur les frais accessoires au Québec. Cette pénalité ne fut donc pas appliquée. En l'absence de conséquences concrètes, la pratique des frais accesoires au Québec n'a cessé de prendre de l'ampleur.
La Presse nous apprend cependant que le gouvernement Trudeau «a fait des pressions sans précédent pour forcer le gouvernement Couillard à abolir les frais accessoires. Il entend même réduire ses transferts versés au Québec d'une somme équivalente à la facture payée par les patients depuis 2014-2015. La coupe pourrait dépasser les 80 millions de dollars pour chaque année concernée.
L'intention du fédéral envenime le conflit entre les deux ordres de gouvernement sur le financement des soins de santé. Selon le ministre de la Santé Gaétan Barrette, son homologue fédérale Jane Philpott joue «un jeu politique indécent».
Une semaine avant que M. Barrette n'annonce officiellement l'abolition des frais accessoires, Mme Philpott lui a écrit pour l'informer que son gouvernement ne tolérerait pas cette pratique en vigueur au Québec.
Dans cette lettre datée du 6 septembre, obtenue par La Presse, on apprend également que dès le mois de mars, la ministre Philpott a rencontré son vis-à-vis pour «discuter des questions concernant la surfacturation [...], en particulier la situation des médecins qui facturent des frais accessoires pour des services de santé assurés par l'État».
Gaétan Barrette venait de faire adopter, en novembre, la loi 20 qui visait, entre autres, à encadrer les frais accessoires. La Loi canadienne sur la santé interdit cette facturation, lui a-t-elle signalé en mars.
Pour Gaétan Barrette, «il n'y a absolument aucun rapport» entre les pressions du fédéral et sa décision. Il prétend que le chef de cabinet de Mme Philpott a «coulé» la lettre pour «se donner le crédit» de l'abolition des frais accessoires au Québec.
Il reconnaît toutefois que les démarches du gouvernement Trudeau dans ce dossier sont sans précédent. «Ça va faire bientôt 40 ans qu'il y a des frais accessoires au Québec. Pendant cette période, la Loi canadienne sur la santé a été en vigueur. Il y a eu de la part du fédéral des coupures de transferts dans les autres provinces et jamais au Québec.»
«Jamais le fédéral n'a envoyé une lettre ou suggéré ou évoqué quoi que ce soit en termes de coupures jusqu'à la lettre de Mme Philpott.» - Gaétan Barrette, ministre de la Santé du Québec»
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Zéro pénalité et zéro interdiction
Oui, vous avez bien lu : 40 ans de frais accessoires chargés à des patients au Québec de manière apparemment illégale et zéro pénalité appliquée par le fédéral de même que zéro interdiction imposée par les gouvernements au Québec.
On voit donc que la requête judiciaire de la FADOC s’apprêtait à ouvrir une boîte de Pandore qui inquiétait le gouvernement Couillard. Et aussi, que la nouvelle ministre fédérale de la Santé n’entendrait pas quant à elle poursuivre cette vieille tradition fédérale-provinciale d’aveuglement volontaire face aux frais accessoires chargés au Québec.
Bref, lorsque le ministre Barrette jure qu’il «n'y a absolument aucun rapport» entre les pressions exercées par Ottawa et sa décision d’abolir (enfin) les frais accessoires, il est tout au moins permis d’en douter.
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Derrière le bras-de-fer
À première vue, au Québec, la tentation est toujours de blâmer le fédéral dès qu’il est question de la protection d’une juridiction provinciale.
La tentation est de bonne guerre et souvent, il faut le dire, fondée. La santé est en effet une juridiction provinciale.
Or, qu’on le veuille ou non, le Québec fait également partie de la fédération canadienne.
À ce titre, qu'un gouvernement du Québec soit fédéraliste ou souverainiste, il existe aussi au Canada une Loi canadienne sur la santé. On a vu plus haut dans ce texte ce qu’elle dit clairement sur les frais accessoires.
Bien sûr, il est vrai que des négociations très dures s’annoncent sur les transferts fédéraux en santé consentis aux provinces.
Il est aussi vrai que le fédéral, au fil des ans, a réduit considérablement la proportion de sa contribution aux budgets croissants des provinces en santé.
Mais tout cela n’enlève rien à l’existence de la Loi canadienne sur la santé. Le vrai scandale étant que sur les frais accessoires, personne, ni au Québec, ni au fédéral, n'avait jamais osé bouger auparavant pour faire appliquer la loi.
La ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, semble donc vouloir sonner la fin de cette récréation coûteuse et inéquitable pour les Québécois. Et franchement, si elle le fait, ce sera tant mieux.
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Un bien drôle de fédéralisme
Selon La Presse, la ministre Philpot aurait écrit ceci au ministre Barrette :
«La Loi canadienne sur la santé exige aux provinces et aux territoires qu'ils déclarent annuellement à Santé Canada toute surfacturation et tous frais d'utilisation» (...)
En ce qui concerne les états financiers du Québec pour 2014-2015 qui seront présentés en décembre 2016, je m'attends à ce que votre ministère tienne compte des estimations fournies par le VGQ, ainsi que tout renseignement que vous aurez obtenu en ce qui concerne la surfacturation et les frais d'utilisation pendant cette période. Je compte sur une collaboration entre nos représentants officiels qui donnera lieu à une approche qui correspond aux montants réels de la surfacturation et des frais d'utilisation ayant cours au Québec.»
Le pépin étant que le ministre Barrette, toujours selon ce qui en est rapporté, refuserait de collaborer : «Je vais lui répondre que je n'ai pas de données à lui donner, parce ces données-là n'existent pas pour moi. Ces éléments n'apparaissent pas dans notre budget».
N’apparaissent pas dans le budget du ministère? Ah bon. Et le gérant de la boutique, il est où? Si ces données n’existent pas, serait-ce parce qu’on a préféré, tous gouvernements confondus, ne pas les voir?
Le ministre Barrette est même cité en ces termes: «Le Québec n'a jamais reconnu la loi fédérale sur la santé. Et le Québec considère toujours que même si on reconnaissait la Loi canadienne, on est légalement dans notre droit» avec les frais qui avaient cours jusqu'ici.»
Ouf...
Attendez. Le ministre de la Santé d’un gouvernement fédéraliste refuse de reconnaître la Loi canadienne sur la santé? Et qu’en pensent le premier ministre Couillard et sa collègue ministre de la Justice? Ce serait tout de même intéressant de le savoir.
Pis encore, le ministre Barrette ajoute qu’il serait même prêt à aller devant les tribunaux sur la question. Selon La Presse, il fulminerait également «à l'idée que les transferts soient amputés. «À la veille de la plus grosse coupure de transferts en santé depuis 2004, qui va nuire à l'accès aux soins, le gouvernement fédéral envoie une lettre pour nous menacer de couper encore plus!», dit-il. »
Ouf.
Attendez. Le ministre de la Santé d’un gouvernement qui, lui-même depuis deux ans, coupe sans broncher dans la santé et les services sociaux au nom de sa propre austérité budgétaire se scandalise d’une pénalité possible imposée par Ottawa pour cause de non-respect de la Loi canadienne de la Santé?
Plus ça va, plus on en perd son latin...
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Dindons de la farce
Pendant ce temps-là, une seule chose est sûre : les contribuables du Québec casquent depuis des décennies pour la complaisance béate exercée par les gouvernements du Québec, du Canada et la RAMQ face aux frais accessoires.
Ils continueront de casquer aussi pour les augmentations pharaoniques de la rémunération accordées à leurs médecins.
Et enfin, ils casqueront à nouveau pour la pénalité financière imposée possiblement par le gouvernement Trudeau. Une pénalité qui serait pourtant amplement justifiée.
Le problème étant qu’elle arrive quelques décennies trop tard. Ce qui n’enlève cependant rien à la nécessité de le faire. Enfin.
Bref, du début à la fin de cette trop longue saga des frais accessoires en santé, les contribuables et les patients du Québec auront été les premiers et les derniers dindons d’une très mauvaise farce.
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