Peu de temps avant Noël 2005, en pleine campagne électorale, ma fille qui est étudiante en relations internationales m'invite à un débat télévisé sur le 1er débat des chefs de la campagne fédérale. La journaliste de la SRC nous accueille dans un appartement d'étudiants au pied de l'Oratoire St-Joseph. Je lui dis que je travaille bénévolement pour le Bloc. Elle me répond que, dans les circonstances, elle ne pourra malheureusement pas utiliser mon opinion puisque je vais biaiser le résultat de sa démarche journalistique. Elle n'a pas prévu de partisans pour son reportage, juste des indécis, des étudiants et leurs parents qui donnent leur appréciation avant et après le débat.
Rapidement, je me rends compte que ces jeunes étudiants de "sciences politiques" ont organisé un jeu de rôle pour avoir la présence de la SRC dans ce salon. Un a prévu être libéral, un autre NPD, un troisième serait pour le Bloc, il y a même un vert et un qui a accepté de devenir conservateur au terme du débat, mais aucun n'est engagé officiellement dans une démarche citoyenne à l'intérieur d'un parti. Ils ne sont donc pas biaisés selon les critères journalistiques de la SRC.
Certains ont prévu, à l'avance, changer leur appréciation à la suite de la performance des chefs, même d'allégeance dans un cas ou deux. Je les vois même "dealer" entre eux sur ce sujet devant le personnel de soutien de la SRC, pendant que la journaliste recueille leurs impressions individuellement dans une autre pièce: professionnalisme oblige. C'est organisé avec le gars des vues pour donner une crédibilité au reportage de cette ancienne correspondante de Washington, aujourd’hui ombudsman à la SRC. Le sait-elle ? En tout cas, elle joue le jeu.
En fait, tout le monde joue le jeu sauf moi... et ma fille qui voit très bien mon malaise face à toute cette mascarade. Elle connaît mes convictions. Je suis un citoyen engagé qui croit dans "la force de l'exemple". Ce que je vois là est décourageant de bêtise, surtout de la part de "professionnels" et de "futurs professionnels " des sciences politiques. Pourtant, le seul à qui on ne pose aucune question ce soir-là est justement celui qui est engagé dans une démarche politique et qui est venu là avec une totale sincérité et intégrité.
Je me permets de demander à cette journaliste si sa démarche journalistique ne discrédite pas totalement le vrai engagement politique. Elle me répond que parce qu'elle n'a pas de partisan d'une autre opinion, je risque de donner "une image biaisée" de ce qui s'est réellement passé dans ce salon ce soir-là. Elle suppose que parce que je suis engagé dans une démarche "partisane", je ne peux avoir un regard objectif sur le débat des chefs. Aussi bien dire, comme je suis un partisan engagé, mon opinion ne peut évoluer. Elle pose l'hypothèse que je vais biaiser le débat parce que je suis un citoyen engagé alors qu’elle se satisfait de l’opinion de personnes dont l’éthique est élastique.
Or, en démocratie, ce sont justement les citoyens engagés qui font avancer les débats. [C'est la théorie de Serge Moscovici sur les "consensus durs "->12760]. Pour ce chercheur, il n'y a de vrais débats que s'il y a des citoyens bien informés et engagés dans la recherche de consensus dur. Pour lui, la polarisation est un préalable à la recherche de solutions durables. Les débats où les acteurs sont mal informés donnent en général des consensus mous, des débats où il y a peu de discussions... comme celui que Radio-Canada a présenté en marge du débat des chefs ce soir-là.
Alors que cette journaliste est préoccupée par "l'image" que projettera son reportage, celle que ses patrons attendent, moi j'accorde plus d'importance à la "force de l'exemple", celle du citoyen engagé. Qui a tort, qui a raison ? Pour moi la vraie nouvelle, c'est ce qui s'est passé dans ce salon ce soir-là, pas l'image instantanée qu'on a choisi d'en tirer !
Louis Lapointe
La campagne électorale fédérale de 2005-2006
La mascarade
Un jeu de rôle orchestré en marge du débat des chefs à Radio-Canada
Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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3 commentaires
Gaston Boivin Répondre
17 septembre 2008Dans la même veine et pour ajouter à l'excellente suggestion du dernier intervenant, cette sélection devrait se faire en deux temps: 1) Tirez au sort les gens inscrits sur cette liste des personnes ayant ainsi déclarées n'avoir aucune opinion politique; 2) Ensuite, faire marcher ceux ou celles ainsi retenu(e)s, les yeux bandés, sur une ligne droite afin de démontrer leur aptitude et leur capacité à faire de la politique. 3)Ne retenir comme canditat(e)s que ceux ou celles qui se seraient le moins éloigné(e)s de la ligne blanche lors de cette espèce d'investiture, un journaliste de La Presse, de concert avec un journaliste de Radio-Canada, décidant à ce propos, au nom des électeurs, dans chacune des circonscriptions du Québec.
Procéder de la même manière à leur élection, avec la nuance suivante: 1)Tirez au sort pour choisir la moitiée des candidats retenus pour chacune des circoscriptions; 2)Lors de la marche, sur la ligne blanche, des candidats retenus, les yeux bandés, ce serait les électeurs qui décideraient lequel des canditats s'est le moins éloigné de la ligne blanche, lequel, après compilation des votes, serait par la suite déclarée élu.
Après l'élection de tout ce beau monde, procéder de la même façon que lors de leur investiture, d'abord au choix de la formation politique dans laquelle ils oeuvreront, ensuite au choix du chef de chacune de ces formations politiques, puis à celui de la formation gagnante, à celui de l'opposition officielle, et pour le reste au rang de chacune des autres formations politiques qui se partageraient ainsi la balance de l'opposition. Finalement, de la même façon, procéder aux choix des ministres. Enfin, lors des débats à la Chambre, choisir les sujets de discussion et les motions à partir d'une liste des articles des journaux du matin en tirant au sort le sujet du débat et de toute motion. Lors de la mise au vote de toute motion, chaque député prendrait sa décision en jetant sur son bureau un dé à 4 côtés: 1) Pour; 2) Contre; 3) À moitiée pour et à moitée contre*; 4) Abstention. Après vérification de chaque dé qui aura ainsi été jeté sur le pupitre de chaque élu par un représentant autorisé de la chambre, qui aura été choisi de la même manière que la gent politique, et après compilation du résultat par ce dernier, celui-ci déclarera accueilie ou rejetée la motion.
Avec un tel système, il serait assuré que Desmarais vendrait ses journaux et que Radio-Canada pourrait recommencer à ressembler à ce qu'elle était il y a 35 ans.
*Deux moitiées de vote constituraient un vote non compilable, et , au cas d'égalité des voix, toute moitiée restante ne pourrait déterminer un choix, dans lequel cas la motion serait déclarée accueillie ou rejetée par le représentant autorisé de la chambre qui déciderait de la question en faisant tomber un huard sur son pupitre, étant entendu qu'après cette opération, si la face de la reine y apparaîssait, la motion serait déclarée accueillie mais que si c'était plutöt le huard qui y était visible, elle serait déclarée rejetée!
Archives de Vigile Répondre
17 septembre 2008J'ai bien compris ce que vous avez exposé monsieur Lapointe.
Pour ajouter un peu d'humour, je propose que les candidats à une élection soient tirés au hasard dans une liste confectionnée de gens déclarant n'avoir aucune opinion politique...
Georges-Étienne Cartier Répondre
17 septembre 2008Ainsi donc l`"objectivité " selon les pontes médiatiques, résiderait dans l`expression d`opinion par ceux qui n`en ont pas vraiment ?
Ça me rappelle cette réplique de Bonaparte à un des ses ministres qui venait de commettre une immense sottise et qui protestait "Mais je ne suis pas malhonnête!": "Et c`est bien dommage car si la malhonnêteté a des limites, la bêtise, elle, n`en a pas !"
Concluons à l`évidence: la nécessité absolue de briser le monopole fédéraliste sur l`information , et ce par tout moyen et sans scrupules aucun( À la guerre comme à la guerre!) , est VITALE !
Ce dont l`impulsion ne pourra venir que d`une Assemblée Nationale à majorité radicalement indépendantiste...