La maladie honteuse

Canada-Québec : "un dialogue de sourds"

Ça avait pourtant l'air d'une évidence. «Si nous voulons avoir un grand pays, déclarait, le mois dernier, le meneur dans la course à la direction du Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff, ce n'est pas correct d'avoir une province qui ne donne pas son accord à notre document primaire.» Et le voilà qui s'engage fermement à travailler à une réforme constitutionnelle qui reconnaîtra explicitement la nation québécoise.
«Sottise!», clame aussitôt un quotidien de Toronto. «Chimère!», s'empresse de renchérir Bob Rae, le principal rival d'Ignatieff.
Jusqu'ici, on avait réussi tant bien que mal à éviter d'aborder de front la question constitutionnelle. Or, l'universitaire de Harvard et de Cambridge lance un pavé dans la mare avec la reconnaissance constitutionnelle du Québec comme nation.
Ce qui frappe le plus dans cet épisode qui a failli mettre un peu de piment dans une campagne terne et interminable, ce ne sont pas tant les propos de Michael Ignatieff que la réaction apeurée qu'ils ont suscitée à l'intérieur de son propre parti.
Alors qu'on commence à peine à ranger dans les limbes le croustillant scandale des commandites, le Parti libéral fédéral n'a surtout pas envie de voir sortir un autre cadavre du placard.
«On a tout essayé, si Meech n'a pas réussi, que peut-on faire de plus ?» s'est encore lamenté Bob Rae, ancien premier ministre néo-démocrate ontarien et théâtral désoeuvré des batailles constitutionnelles des années 80.
Mais qu'ont essayé les libéraux fédéraux ? Après tout, c'est le conservateur Brian Mulroney qui a présidé les négociations de 1987. Et ce sont des libéraux bien connus comme Jean Chrétien et Clyde Wells qui ont travaillé le plus activement à saboter ce que Pierre Trudeau appelait un «accord de pleutres».
Quant à Stéphane Dion, pourfendeur implacable du nationalisme québécois, il ne va certainement pas se laisser émouvoir par l'ouverture d'Ignatieff. «Le pays marche bien», a-t-il dit jovialement en entrevue. Pour celui que le développement durable a récemment sorti du néant dans lequel l'avait plongé le dossier constitutionnel, seules importent maintenant les questions relatives à Kyoto, au bois d'oeuvre et à la sécurité.
Bien sûr, personne ne brandit de pancartes actuellement pour réclamer une réforme de la Constitution. Après tout, le rapatriement de ce vieux document sans l'accord du Québec, en 1982, n'a jamais privé un seul citoyen québécois de recevoir les chèques provenant du gouvernement fédéral !
Le «joker» Ignatieff
Que vient donc faire dans cette partie aux détails bien réglés le «joker» Ignatieff ? À l'époque de Meech, il parcourait le vaste monde, loin des querelles constitutionnelles canadiennes. Loin d'Ottawa aussi et de cette bureaucratie fédérale profondément imprégnée des ambitions centralisatrices de Trudeau, qui est devenue une formidable machine à broyer toute volonté politique le moindrement affirmée d'assouplir le système et de répondre aux demandes minimales du Québec.
Avec sa déclaration, l'enfant prodigue est presque devenu pour les siens l'idiot du village qui ramène à la surface, sans vraiment savoir ce qu'il fait, les secrets de sa famille. On avait en effet fini par croire que, puisqu'on n'en parlait plus, le problème n'existait plus.
Mais comme le disait, à la fin de sa vie, l'ancien haut fonctionnaire et ex-sénateur Arthur Tremblay, qui fut entre autres l'un des artisans de l'accord du Lac Meech, «Est-ce qu'une fédération comme la nôtre peut survivre indéfiniment si une des provinces fondatrices ne se considère pas comme partie prenante du rapatriement de sa Constitution (...) ?»
Aucun des gouvernements successifs du Québec, qu'ils soient souverainistes ou fédéralistes, n'a accepté de réintégrer la grande famille constitutionnelle canadienne depuis un quart de siècle. Et malgré deux défaites référendaires, il y a toujours un noyau dur de plus de 40 % de Québécois prêts à appuyer une démarche d'accession à la souveraineté. Il doit pourtant bien y avoir un problème dans ce pays !
C'est d'abord comme ça qu'on l'a vu, jusqu'à la fin des années 80. Puis, peu à peu, c'est devenu un sujet tabou... avant de devenir une maladie honteuse à laquelle on colle maintenant le qualificatif d'incurable. Si on ne peut la soigner, n'en parlons plus. Et comme on ne peut plus arroser le Québec de commandites ni ajouter de drapeaux rouges, faisons brûler des lampions pour empêcher que les méchants séparatistes ne reviennent au pouvoir à Québec. Chuuuuut !
Martine Tremblay
Autrefois directrice de cabinet du premier ministre René Lévesque, puis haute fonctionnaire, l'auteure est conseillère spéciale affaires publiques et analyse stratégique chez HKDP.

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Autrefois directrice de cabinet du premier ministre René Lévesque, puis haute fonctionnaire, l'auteure est conseillère spéciale affaires publiques et analyse stratégique chez HKDP et membre du conseil du Centre d'études et de recherches internationales.





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