La Maison Chevalier, vue du ciel
Photo : Gracieuseté Pierre Lahoud
L’historien Pierre Lahoud est de ceux qui s’inquiètent pour l’avenir de la Maison historique Chevalier. Selon lui, sa restauration, avec celle du secteur de Place-Royale, nous a permis de retrouver nos racines dans les années 1970, ce qui fait de sa vente à des intérêts privés un enjeu qui touche tout le Québec.
La sensibilité au patrimoine peut changer, selon les époques. Considéré comme un joyau aujourd’hui, le secteur de Place-Royale tombait littéralement en ruines à la fin des années 1950. Après deux siècles de négligence, on a failli laisser le berceau de la Nouvelle-France disparaître sous nos yeux. Ce qui prouve, une fois de plus, que rien n’est jamais acquis quand vient le temps de sauver nos vieux murs, souligne Pierre Lahoud.
Il aura fallu la ténacité d’une poignée d’historiens et d’amoureux du patrimoine, à commencer par Gérard Morisset, lancé dans une vaste recension de nos biens culturels depuis 1937, pour attirer l’attention du gouvernement sur le secteur, il y a plus d’un demi-siècle.
La Maison Chevalier a été la première à être sauvée, après avoir été acquise par le gouvernement, en 1956. On l’oublie souvent, mais la demeure construite en 1752 réunit en fait trois maisons, dont les parties les plus anciennes remontent au 17e siècle.
Selon l'historien de l'architecture Luc Noppen, un tel ensemble demeure extrêmement rare aujourd’hui, non seulement à Québec, mais à l’échelle de la province.
La plupart des maisons dites "anciennes" du Vieux-Québec datent plutôt d’après 1780. Presque toutes les maisons plus anciennes ont été sérieusement reconstruites après la Conquête de 1759. Je dirais qu’il doit rester, au plus, une quinzaine de maisons dont on peut dire qu’elles sont en bonne partie du régime français aujourd’hui.
Un véritable projet de société
Le chantier majeur qui a suivi la rénovation de la Maison Chevalier, dans le secteur de Place-Royale, a coûté des dizaines de millions aux gouvernements fédéral et provincial dans les années 1970. Un tel projet n’avait rien de banal. L’historien Pierre Lahoud y voit d’ailleurs beaucoup plus qu’un simple sauvetage patrimonial. On a retrouvé nos racines françaises à travers ce projet-là
, pense-t-il.
Place-Royale, c’était un projet de société. On venait de sortir de la Deuxième Guerre mondiale, on était en plein baby-boom, l’économie allait bien, mais le Québec se cherchait des racines. Et ces racines-là, on les a trouvées avec cet immense projet qu’a été la restauration de Place-Royale. Ç'a été majeur. Ça nous a permis de nous forger une identité bien à nous.
Le chantier, qui a rapidement pris une ampleur nationale, aura servi d’école à nombre de professionnels, en plus de remettre au goût du jour plusieurs professions qu’on avait un peu oubliées, ajoute Lahoud.
Presque tous les corps de métier touchant la restauration de monuments historiques ont connu un véritable essor par la suite. Les archéologues sont arrivés par dizaines. La profession s’est carrément développée avec l’arrivée de Place-Royale
On a aussi formé des ingénieurs, des architectes en restauration de monuments historiques, des artisans de la pierre, du bois, de la forge… Pendant des années, Place-Royale est devenue une école pour les métiers traditionnels. Et dans ce sens, ce projet national est devenu un projet très important pour nos racines
, analyse Lahoud.
À l’époque, je pense qu’on avait des rêves comme société et Place-Royale, pour moi, c’est un des rêves qu’on a réalisés. Ça nous situe.
Un chantier comme on n’en reverra plus?
Au-delà de l’enjeu de la Maison Chevalier, Pierre Lahoud est agréablement surpris de voir des centaines d’historiens défendre aujourd’hui l’ensemble de Place-Royale, ce qui n’a pas toujours été le cas. Cette dernière a longtemps été décriée par une bonne partie du milieu.
Car il ne faut pas se leurrer, la place Royale d’aujourd’hui n’est plus celle de nos ancêtres. Elle a été carrément reconstruite.
Au cours du 20e siècle, après avoir été modifiée ou masquée par de nombreux ajouts ultérieurs à la Conquête, l’architecture française des débuts avait presque disparu. La trame urbaine, quasi inchangée depuis le 17e siècle, était à peu près tout ce qu’il restait de l’époque.
L’endroit peut donc être vu à la fois comme une reconstruction du passé et un héritage des années 1970, contrairement à la Maison Chevalier, qui, elle, a plutôt été soigneusement restaurée. Ce qui la rend d’autant plus précieuse.
Le bâtiment demeure aussi le seul du secteur de Place-Royale auquel l’ensemble des citoyens ont encore accès aujourd’hui. Ce qui pourrait bientôt ne plus être le cas avec sa vente à des intérêts privés, après qu’elle soit restée dans le giron de l’État pendant plus d’un demi-siècle.
Pour Pierre Lahoud, l’enjeu de la Maison Chevalier dépasse donc largement les frontières de la ville. À ses yeux, elle est bien trop importante pour ne pas continuer d’appartenir à tout le Québec.
Cet héritage qui nous vient de nos ancêtres français, c’est le souvenir de cette immense épopée qu’a connue le Québec, il y a 400 ans. Mais il n’y en a plus beaucoup de traces, même à Québec. Alors chaque fois qu’on veut avoir une idée de l’allure qu’avaient ces maisons du 17e et du 18e siècle, on retourne toujours à Place-Royale. Et la Maison Chevalier demeure ce qu’il reste de plus exceptionnel de tout cet ensemble-là.