Tout au long de ma vie de syndicaliste à la FTQ, j’ai prôné la laïcisation de l’ensemble de nos institutions publiques.
On a fait une belle avancée, dans le Québec de la Révolution tranquille, lorsqu’on a sorti peu à peu l’Église de nos écoles et de l’État. Mais là où on a manqué le bateau, c’est qu’on n’a pas inscrit le principe de laïcité dans un texte de loi.
Le projet de loi 21 répond quant à moi aux exigences que pose la laïcité, à savoir la neutralité de l’État et sa séparation vis-à-vis des religions, la proclamation de l’égalité de tous les citoyens et le respect de leur liberté de conscience et de religion.
Qu’est-ce qui ne va pas pour que Québec solidaire — dont les députés ont été élus sur la base d’un programme prônant la laïcité — et autres groupes de gauche se retrouvent côte à côte avec le Parti libéral, les intégristes islamistes et autres doctrinaires pour dénoncer cette avancée historique ?
Profilage ?
Certains opposants ont qualifié malhonnêtement et odieusement le projet de loi de discriminatoire et raciste, parce qu’il favoriserait selon eux le profilage des juifs, des sikhs mais surtout des femmes musulmanes.
Ces accusations contre les partisans de la laïcité dissimulent que de très nombreux citoyens québécois, de croyance musulmane, soutiennent le projet de loi 21. Ces derniers nous mettent d’ailleurs en garde contre les sectes djihadistes et salafistes se réclamant de l’islam politique, qui menace toutes les libertés.
Le Québec moderne et démocratique dans lequel nous vivons a déjà prévu la reconnaissance de l’ensemble des droits et libertés dans sa Charte québécoise. Cette dernière sera bonifiée lorsqu’elle reconnaîtra dans ses règles la pleine laïcité de l’État.
Il est bon de rappeler qu’un pays comme la Turquie, composée presque à cent pour cent de musulmans, s’est doté dans les années 1920 d’une constitution proclamant sa laïcité et interdisant le port de signes religieux dans l’espace public. Mais aujourd’hui, en Turquie comme dans de nombreux pays, les opposants à la laïcité, de plusieurs confessions, tentent d’y créer des brèches.
Droits des femmes
Une société laïque et démocratique se fait le devoir de respecter les droits des femmes, au contraire de sociétés archaïques qui permettent la lapidation, la condamnation et l’emprisonnement des femmes lorsqu’elles veulent affirmer des droits bien élémentaires comme celui de ne pas porter de voile, d’aller à l’école, de pouvoir choisir librement leur conjoint, d’avoir le choix à l’avortement ou même, de pouvoir conduire !
C’est malheureusement ce qui arrive lorsque les Églises et les religions s’occupent des affaires d’État, et lorsque les extrémistes utilisent leur religion à des fins politiques, haineuses et intolérantes.
Rappelons-nous qu’il y a quelques années, le gouvernement ontarien a tergiversé pendant plus de deux ans avant d’abandonner, sous la pression populaire, l’idée d’instaurer des tribunaux islamiques fondés sur la charia. Au même moment, Monseigneur Ouellet prônait le retour de l’enseignement religieux dans les écoles, autrement dit le retour de l’influence catholique dans l’espace public.
Évidemment, tout le monde a le droit de manifester et de critiquer. Mais la manifestation anti-laïcité du 7 avril dernier, appelée par Adil Charkaoui — imam accusé par plusieurs familles musulmanes d’avoir radicalisé des jeunes qui sont ainsi partis faire le djihad en Syrie avec l’État islamique — me préoccupe.
Paix sociale
Il y a déjà quelques années, des musulmans laïques rendaient publique leur crainte de voir se développer encore plus l’islamisation au Québec, face à l’émergence de groupes qui, sous prétexte de la liberté religieuse, veulent imposer un mode de vie d’un autre temps. Cette crainte vaut pour toutes confessions religieuses confondues, y compris, bien sûr, le catholicisme.
La meilleure façon d’éviter une telle situation est de proclamer la laïcité pleine et entière des institutions publiques, tout en réaffirmant les principes de la liberté de conscience et de religion pour l’ensemble des individus. La laïcité est la seule façon d’assurer la paix sociale, car elle permet aux communautés de différentes religions de vivre ensemble dans le respect de leurs différences.
En terminant, je tiens à saluer la volonté annoncée de retirer le crucifix de l’Assemblée nationale, ainsi que de recourir éventuellement à la dérogation. Le recours légitime aux dispositions de dérogation aux Chartes canadienne et québécoise est opportun, car il appartient à l’Assemblée nationale d’édicter souverainement le principe de la laïcité sans que la démocratie parlementaire soit contestée par les tribunaux.
Un bémol toutefois : pour ma part, le projet de loi ne va pas assez loin. Il devrait s’appliquer au personnel de l’ensemble des institutions publiques ainsi qu’aux écoles privées subventionnées à 70 % par l’État.
Henri Massé, ancien président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) de 1998 à 2007