Lisa-Marie Gervais - De houleux débats sur le port du voile et d'éloquents exposés sur le cours d'éthique et de culture religieuse... On se serait cru en pleine séance de la commission Bouchard-Taylor hier au pavillon J.-A.-DeSève de l'UQAM. Organisé par la revue À bâbord, le colloque intitulé «Le Québec en quête de laïcité» n'aura pas su faire aboutir la réflexion, mais il aura néanmoins eu le mérite de «détabletter» le controversé rapport Bouchard-Taylor pour remettre au goût du jour des questions incontournables demeurées irrésolues.
Ce colloque d'un jour, qui se déroulait dans une atmosphère tantôt bon enfant tantôt agitée, aura surtout permis à différents individus et regroupements politiques — pourtant de la même mouvance de gauche — de proposer et de défendre chacun leur modèle de laïcité à adopter: celui d'une laïcité dite «ouverte» (nomenclature récusée par les tenants de l'autre camp), qui reflète plutôt les idées du multiculturalisme mis de l'avant par le vaste chantier consultatif Bouchard-Taylor, et celui d'une laïcité qui emprunterait davantage aux idées républicaines et qui ne ferait aucun compromis sur la présence de signes religieux ostentatoires dans les institutions étatiques. «En organisant ce colloque, on voulait participer à la grande conversation démocratique sur des questions importantes. Et malgré nos positions similaires sur nos valeurs, on parvient à des réponses différentes sur la laïcité», a indiqué Normand Baillargeon, membre du collectif de rédaction de À bâbord et coorganisateur de l'événement.
Devant un auditoire en grande majorité formé de baby-boomers, les deux visions diamétralement opposées ont été défendues en début de journée par les deux invités d'honneur, Françoise David, codirigeante de Québec solidaire, et l'éminent sociologue Guy Rocher. Ce dernier a livré un plaidoyer pour rappeler que ce n'était pas à l'État de déterminer si Dieu existe, en d'autres termes, que la religion n'a pas sa place dans l'espace public. Mme David a soutenu en essence que le fait d'interdire tout signe religieux dans l'espace public ne constituait pas un tort aussi grand que celui de l'interdire et qu'il fallait davantage réfléchir aux conséquences de l'exclusion.
Le cours ECR au coeur du débat
Parmi les trois grands thèmes discutés, soit les modèles de laïcité, la religion dans l'espace public et le cours Éthique et culture religieuse (ECR), ce dernier a particulièrement déchaîné les passions. Marie-Michèle Poisson, présidente du Mouvement laïque québécois, déplore l'existence de ce cours et souhaite son abolition. Elle estime que par rapport à l'ancien système, la religion prend plus de place dans le cursus scolaire, ce qui va à l'encontre du principe de laïcité. Elle déplore également le fait que ce cours soit obligatoire, ne laissant plus la possibilité aux parents de choisir pour leurs enfants. «Pourquoi ne pas faire un programme sur les droits humains? Je préférerais un enseignement philosophique, éthique ou sociologique, mais pas religieux», assure-t-elle. Elle estime que le contenu du cours donné aux élèves du primaire ainsi que du secondaire est une forme de propagande et qu'il constitue un endoctrinement au multiculturalisme.
Conscient des limites du cours ECR, Louis Rousseau, professeur en sciences des religions à l'UQAM, croit quant à lui à la nécessité d'un cours sur les religions à l'école. «Il ne faut pas confondre avec les études religieuses. La religion est un fait social et culturel. Il est important de développer des connaissances sur ces pratiques afin de mieux appréhender l'autre et diminuer les craintes identitaires», affirme le professeur. Pour lui, il est encore trop tôt pour juger ce programme. «C'est un outil formidable, mais pas parfait. Il y aura des ajustements à faire. Il faut nous donner une chance», concède Louis Rousseau, qui a déjà préparé des cours de perfectionnement pour les enseignants.
Des consensus
Au terme du colloque d'un jour, après quelques gentils affrontements autour du voile qui ont fait ressurgir la fibre féministe de plusieurs, tous avaient le sentiment d'avoir vidé la question. Malgré les quelques flèches décochées, tous s'entendaient sur une chose: le débat ne devait pas déraper et verser dans l'insulte, comme lors de la commission Bouchard-Taylor. Et ce ne fut pas le cas. «Je suis content parce que c'est un sujet sur lequel on peut facilement se prendre aux cheveux, il n'y a pas eu de dérapage, bien que les positions étaient très distinctes», s'est réjoui Normand Baillargeon.
L'idée d'une charte, surtout proposée par les laïques appartenant à la tradition républicaine, a semblé rallier les deux camps. Les tenants d'une laïcité dite «ouverte» y mettent cependant un bémol. «La simplification sur ces questions-là n'est jamais bonne conseillère. Il faut se donner du temps», a dit Mme David.
Pour Guy Rocher, devant deux positions aussi tranchées, il faut être prudent dans la recherche d'un consensus. Il a rappelé qu'un débat similaire avait embrasé la société québécoise à la suite de la création du Mouvement laïque de langue française, au début des années 1960, qui réclamait des écoles «neutres». «Il n'y avait pas eu de guerre sainte», a souligné le sociologue. Une crainte qui, malgré l'émotivité du débat, ne risque pas de se produire 50 ans plus tard, a-t-il conclu.
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