La Cour suprême n’a pas fermé la porte à l’interdit des signes religieux

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Tout employé de l’État est soumis à des restrictions concernant l’expression de ses convictions

Plusieurs commentateurs ont cru voir dans le récent jugement de la Cour suprême du Canada sur les prières municipales un avis défavorable à l’interdit du port de signes religieux ostentatoires de la part des employés de l’État ou l’envoi d’un message accessoire (obiter dictum) en ce sens.


Ils citent à l’appui cette perception une portion de phrase disant que « la neutralité est celle des institutions et de l’État, non celle des individus », mais sans citer la phrase précédente dans laquelle la Cour précise « qu’un espace public neutre ne signifie pas l’homogénéisation des acteurs privés qui s’y trouvent » (par. 74).


Les individus concernés par ce paragraphe sont donc les « acteurs privés », c’est-à-dire les usagers du service public et non les fonctionnaires qui dispensent le service. Dans un entretien récent, la juriste Julie Latour m’a fait remarquer que la jurisprudence à laquelle réfère la phrase en question, et que les commentateurs empressés n’ont pas consultée, est celle d’une musulmane ontarienne qui voulait témoigner en cour en portant un niqab lui masquant le visage. Il s’agit donc d’une citoyenne face à un service public et non d’un agent du tribunal. Et même dans le cas d’un usager, l’arrêt en question permet au tribunal d’ordonner le témoignage à visage découvert si les circonstances l’exigent. Me Latour en aura plus à dire sur le sujet sous peu.


De plus, au paragraphe 84 du jugement sur les prières, la Cour suprême écrit explicitement ce qui suit :


« l’État ne peut, en raison de l’obligation de neutralité religieuse qui s’impose à lui, professer, adopter ou favoriser une croyance à l’exclusion des autres. Il est évident que l’État lui-même ne peut se livrer à une pratique religieuse; celle-ci doit donc être celle d’un ou plusieurs de ses représentants, dans la mesure où ils agissent dans le cadre de leurs fonctions. Quand, dans l’exercice de leurs fonctions, les représentants de l’État professent, adoptent ou favorisent une croyance à l’exclusion des autres, les deux premiers critères de la discrimination mentionnés plus haut, soit l’existence d’une exclusion, distinction ou préférence fondée sur la religion, sont établis. »


Difficile d’être plus clair et limpide : si des représentants de l’État (catégorie à laquelle on peut assimiler les fonctionnaires exerçant auprès du public) professent par quelque façon que ce soit une croyance religieuse, il y a atteinte à l’obligation de neutralité religieuse de l’État.


L’ensemble du jugement montre que le paragraphe 74 vise des situations comme celle vécue récemment par une musulmane portant un hidjab et qu’une juge a refusé d’entendre parce que l’intimée voulait conserver son voile religieux. Il ne concerne pas l’interdit du port de signes religieux ostentatoires par les employés de l’État comme le prévoyait l’ex-projet de charte de la laïcité, une situation qui n’a jamais été soumise à la Cour suprême. Les propos du constitutionnaliste Henri Brun vont dans le même sens.


Droit à l’égalité ou à la liberté de conscience?


Dans cette cause, le Mouvement laïque québécois a misé sur la défense du droit à la liberté de conscience du plaignant Alain Simoneau. À la lecture du jugement, certains, dont le professeur Jocelyn Maclure, ont fait valoir que le MLQ aurait plutôt dû miser sur le droit à l’égalité du plaignant. C’eut peut-être été une avenue possible si la plainte avait été déposée après l’adoption du règlement de Saguenay demandant aux citoyens qui ne veulent pas participer à la prière de sortir de la salle. Mais même dans un tel cas, le traitement inégal devient discriminatoire parce qu’il heurte la liberté de conscience de citoyens et parce qu’il est contraire à la neutralité de l’institution publique, en l’occurrence la municipalité.


On peut donc se demander à quoi bon miser sur le droit à l’égalité plutôt que sur le droit à la liberté de conscience. La réponse est dans le fait que les tenants de la « laïcité ouverte » renient le droit à la liberté de conscience de la part des usagers des services publics. Ils craignent que cette avenue ne conduise à l’interdit du port de signes religieux par les employés d’institutions publiques.


Georges Leroux et Jocelyn Maclure, des figures de la « laïcité ouverte », ont en effet déjà affirmé en substance dans les pages du Devoir (23 janvier 2014 que le droit pour un employé de l’État d’afficher ses convictions religieuses prime sur le droit à la liberté de conscience de l’usager, ce qui revient à nier ce dernier droit dont ils réduisent les atteintes à un simple « malaise ».


Dans la même veine, leur collègue Michel Seymour a déjà affirmé dans un débat à RDI (15 janvier 2014, à la 15e minute) «qu’il n’existe pas de droit de ne pas être dérangé par des symboles religieux ». Dans le contexte d’un service étatique, oui un tel droit existe : c’est le droit à la liberté de conscience et la violation de ce droit est plus qu’un simple « dérangement ».


La Cour suprême vient de donner tort à ces trois philosophes. L’ex-juge à la Cour suprême Claire L’Heureux-Dubé a pour sa part déjà répondu à la vision débridée de la liberté de religion en pareille circonstance en précisant que ce qui était en cause dans le port de signes religieux relève de la liberté d’expression et que tout employé de l’État est soumis à des restrictions concernant l’expression de ses convictions (Le Devoir, 1er février 2014).


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Daniel Baril46 articles

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Anthropologue de formation, ex-rédacteur à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal, administrateur au Mouvement laïque québécois et à l’Association humaniste du Québec.

Auteur de Aux sources de l’anthropomorphisme et de l’idée de Dieu et codirecteur des ouvrages collectifs Heureux sans Dieu et Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec.





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