La protection accordée aux crucifix dans la Loi sur la laïcité de l’État est une nouvelle preuve de l’incohérence du gouvernement Legault dans ce dossier, selon le Mouvement laïque québécois (MLQ). Le Devoir a révélé samedi que le gouvernement Legault avait discrètement mis les crucifix à l’abri d’actions judiciaires qui auraient pu forcer les institutions publiques à les retirer. La loi n’empêche pas, non plus, une institution publique d’accrocher de nouveaux symboles religieux.
« C’est vraiment un non-sens, a dénoncé le vice-président du MLQ, Daniel Baril, en entrevue. C’est une contradiction incompréhensible qui mine la crédibilité de la loi. »
Un amendement ajouté à la dernière minute dans les heures précédant l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État, en juin, empêche tout citoyen de demander le retrait d’un symbole religieux. Des citoyens athées ne pourraient donc pas aller devant les tribunaux pour forcer les écoles publiques ou les hôpitaux à les décrocher. Cet amendement du gouvernement a été déposé lors du bâillon en juin et n’a donc pas pu être étudié par les partis d’opposition avant le vote.
L’article 17 stipule que le principe de laïcité de l’État ne peut être interprété pour exiger que les institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires retirent ou modifient les symboles religieux dans leurs immeubles — crucifix, croix, statues —, qu’ils soient amovibles ou non.
« Ça donne une teinte de catho-laïcité à cette loi, a critiqué M. Baril. L’idée de la laïcité, c’est pour les autres. Nous, on garde nos symboles religieux. »
Celui-ci avait été témoin expert dans la cause qui opposait Alain Simoneau à la Ville de Saguenay, en 2008, pour mettre fin à la prière à l’hôtel de ville. Or, la plainte concernait également le crucifix et une statue du Sacré-Coeur disposés dans les salles du conseil municipal, mais la question des symboles religieux n’a jamais été tranchée par la Cour suprême, faute d’enquête. La Commission des droits de la personne avait seulement choisi de mener une enquête sur la prière. « La Commission ne s’est jamais expliquée, a rappelé M. Baril. En fait, ça nous a paru comme un laxisme. »
Pour le spécialiste de l’histoire religieuse Louis Rousseau, le geste du gouvernement évite que soient lancées de longues batailles judiciaires et, par conséquent, permet de maintenir une certaine paix sociale par rapport à cette nouvelle loi controversée. « Un temps de calme s’impose pour qu’on ait le temps de digérer tout ça, a-t-il dit en entrevue. Au fond, le principe de laïcité n’est pas un principe d’exclusion automatique radical de tout signe d’appartenance religieuse. »
Il note que le gouvernement donne tout de même le choix aux organismes publics de décrocher ou non les crucifix de leurs murs, comme cela a été fait discrètement par l’Assemblée nationale la semaine dernière.
Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, et la ministre de la Santé, Danielle McCann, ont choisi, au lendemain de l’adoption de la loi, de ne pas donner de directives pour qu’on décroche ce symbole religieux, à l’inverse de leur collègue Sonia LeBel qui a demandé qu’on retire les 17 crucifix accrochés dans les salles d’audience des palais de justice québécois.
Les partis d’opposition se sont abstenus de commenter la portée de l’article 17, à l’exception du Parti libéral qui s’est limité à rappeler que le gouvernement avait refusé de répondre à ses questions sur les crucifix dans les édifices publics en commission parlementaire. Les libéraux n’ont plus de porte-parole en matière de laïcité depuis que des changements ont été effectués dans leur équipe en début de semaine.
L’Assemblée des évêques catholiques du Québec a également refusé de faire des commentaires. « C’est au gouvernement de décider », a affirmé son secrétaire général, Mgr Pierre Murray.