Depuis trois semaines, un débat a cours au sujet du degré approprié d'immigration pour le Québec. Mario Dumont, chef de l'opposition, argue que le niveau actuel d'environ 45 000 immigrants par année correspond à la limite de la capacité d'accueil de la province alors que les deux autres chefs de parti favorisent des niveaux supérieurs compte tenu de la faible natalité et du vieillissement de la population, qui grèvera les budgets de retraite et de santé.
Les discussions devant la commission Bouchard-Taylor sur les pratiques d'accommodement soulèvent aussi des interrogations sur le bon degré d'immigration pour le Québec. Ce débat présuppose que le gouvernement québécois a la capacité d'influencer la migration nette. Est-ce véritablement le cas?
Le changement net de la population au Québec provient de l'évolution de trois variables: les changements naturels associés aux naissances et aux décès, les mouvements migratoires internationaux et les mouvements migratoires interprovinciaux. Les personnes migrantes se déplacent pour améliorer leur sort, et c'est tout à fait normal. Ceci implique que la population totale du Québec est déterminée à long terme par sa situation économique. Les immigrants -- soit des autres pays, soit du reste du Canada -- viennent ici pour accroître leur bien-être économique; à l'inverse, ceux qui partent espèrent vivre mieux ailleurs. C'est le mécanisme qui détermine la population totale sur le territoire québécois.
Le gouvernement québécois partage avec le gouvernement fédéral le contrôle de l'admission des nouveaux arrivants en provenance des pays étrangers; par contre, il ne contrôle ni l'émigration internationale ni les mouvements migratoires interprovinciaux. Un immigrant québécois peut tout aussi bien provenir du reste du Canada que d'un pays étranger; également, un immigrant québécois peut simplement être en transit. Un contrôle de l'immigration internationale brute (nouveaux arrivants de l'extérieur du Canada) n'implique pas un contrôle de l'immigration nette (entrants moins sortants) qui s'ajuste à long terme en fonction des conditions économiques.
Nous assistons actuellement à des manifestations évidentes des mouvements migratoires découlant de modifications des conditions économiques. Ainsi, selon Statistique Canada, seulement deux provinces ont connu des soldes migratoires interprovinciaux positifs au cours de la période 2002-06, soit l'Alberta (+111 929) et la Colombie-Britannique (+19 824); ce fut négatif pour toutes les autres provinces. Les pertes relatives les plus élevées sont survenues dans les provinces de l'Atlantique. Les liens avec les conditions économiques sont manifestes.
Le même phénomène est également observé à l'intérieur du Québec: selon l'Institut de la statistique du Québec, les régions administratives de la Capitale-Nationale, de l'Estrie, de l'Outaouais, de Laval, de Lanaudière, des Laurentides et de la Montérégie ont affiché un solde migratoire interrégional positif au cours de la période 1996-2002 tandis que toutes les régions périphériques ont subi des pertes.
Les pertes relatives les plus élevées se retrouvent en Abitibi-Témiscamingue, en Côte-Nord, dans le Nord-du-Québec et en Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. La majorité des personnes qui se déplacent entre les régions du Québec appartiennent au groupe d'âge des 20-34 ans. Ce sont les plus mobiles, et elles ont le plus à gagner sur leur cycle de vie à la suite d'une relocalisation.
Même si le Québec contrôlait seul l'immigration internationale sur son territoire, c'est-à-dire les entrées brutes, il ne contrôlerait ni les entrées des autres provinces ni les sorties; il n'aurait donc aucun contrôle sur le solde migratoire qui contribue à la population totale. Cette dernière demeure déterminée par les conditions économiques.
Les discussions en cours sur la capacité du gouvernement québécois à maîtriser son immigration en fonction de quelques critères sociaux désirables sont sans fondement et des interventions à cet égard seraient sans effet. Il serait possible d'implanter des programmes favorisant l'immigration internationale; ceux-ci auraient finalement peu d'effets à long terme sur le solde migratoire, et c'est ce qui compte pour la population totale.
En résumé, les soldes migratoires ne sont pas contrôlés par les politiques mais par les conditions économiques, comme l'histoire et les observations actuelles nous le rappellent. C'est une leçon qui est oubliée dans le débat en cours.
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Jean-Thomas Bernard, Titulaire de la Chaire en économie de l'énergie électrique
Gérard Bélanger, Professeur au département d'économie de l'Université Laval
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