Futile politique nataliste

17. Actualité archives 2007


Depuis 1970, la fécondité au Québec est inférieure au taux qui permet le renouvellement de la population. Au cours des 30 dernières années, le nombre d’enfants par femme selon les conditions de fécondité d’une année donnée s’est situé entre 1,4 et 1,7; le seuil requis pour avoir un renouvellement de la population est de 2,1.
Face à cette situation, des mesures favorables à la natalité sont proposées et adoptées comme ce fut le cas pour l’amélioration des congés parentaux. Une étude de Finances Québec affirmait : « En ce qui a trait aux naissances, au moins une dizaine d’études économiques ont démontré (sic) que certaines politiques familiales, au Québec comme ailleurs, ont eu des impacts positifs sur la natalité. Comme les naissances sont, de loin, la principale composante positive de la variation de la population, elles méritent une attention particulière afin d’atténuer les chocs du vieillissement et de la décroissance de la population. »
Une augmentation de la natalité est-t-elle nécessairement associée à une augmentation de la population future? Si la réponse est négative, quel est le facteur vraiment important?
De la difficulté à garder sa population
Au cours du dernier siècle et demi, le Québec a eu de la difficulté à garder sa population. Deux références servent d’illustration. Dans son étude sur l’émigration des Québécois aux États-Unis, Yolande Lavoie conclut :
« Les ravages de l’émigration sur la population autochtone du Québec ont été particulièrement importants au XIXe siècle, mais on ne peut négliger leur ampleur au début du XXe siècle. Au total, de 1840 à 1930, près d’un million de Québécois auraient quitté leur sol natal pour s’établir aux États-Unis. Le mouvement de rapatriement et l’immigration au Canada des descendants des émigrés nous auraient rendu plus de 100 000 des nôtres, mais les pertes démographiques restent considérables pour le Québec, amputé qu’il est non seulement de ceux qui sont partis, mais aussi de leur descendance, qui se chiffre actuellement à environ deux à trois millions. »
Dans une rétrospective de la démographie québécoise au vingtième siècle, Louis Duchesne estime un impact nul ou très légèrement négatif de la migration nette :
« On peut évaluer l’impact global des migrations en faisant des simulations d’évolution de la population. Il s’agit en fait de faire des "projections" de population à partir de 1901 en utilisant la mortalité et la fécondité observées et de comparer les résultats obtenus en 1996 avec la population estimée cette année-là. Ainsi, en partant du 1,6 million de Québécois recensés en 1901, on obtient après 95 ans de projections de population sans migration un effectif de 7,4 millions d’individus, soit un nombre très proche de l’estimation de 7,3 millions pour 1996…
En l’absence de migrations interprovinciales et internationales, l’effectif et la structure de la population du Québec auraient donc été à peu près les mêmes. » Une hausse importante des naissances ne pourrait-elle pas s’accompagner d’une baisse future du solde migratoire?
Le facteur fondamental à considérer
Tout phénomène, si élémentaire soit-il, implique une multitude de dimensions ou d’aspects qui en compliquent la compréhension. Un modèle constitue par définition une simplification de la réalité. Il devient un instrument pour cerner les relations importantes du réel. Dans le présent cas, il faut considérer l’aire économique dans laquelle s’insère la population.
L’ouverture très grande des économies régionales implique que l’ajustement entre les régions s’effectue en longue période par la mobilité des produits et des facteurs de production et très peu par les prix. Les composantes immobiles, dont le sol est l’exemple par excellence, constituent des exceptions. Les données ajustées pour les différentiels du coût de la vie montrent qu’à l’intérieur des États-Unis et du Canada, l’intégration économique permet une forte égalisation des rémunérations réelles régionales. Cette égalisation a lieu par l’ajustement du marché du travail, en particulier par le choix de résidence des immigrants.
Si la rémunération réelle à long terme est fixée par les conditions extérieures à la région, comme c’est le cas pour le Québec, l’emploi sera déterminé par la demande de travailleurs et donc par la dynamique globale de cette économie. Une pénurie de main-d’œuvre sera comblée par une hausse du solde migratoire et un surplus de main-d’œuvre par une baisse de ce solde migratoire.
La question posée plus haut reçoit sa réponse : une hausse importante des naissances va s’accompagner d’une baisse future du solde migratoire si l’économie demeure inchangée. Il est permis de conclure que la politique la plus favorable à une hausse de la population au Québec s’identifie à une politique de croissance économique qui permet de stimuler la demande de main-d’œuvre.
Une illustration de cette proposition nous est fournie par l’évolution actuelle de l’économie canadienne. La population en Alberta est en forte expansion, alors que celle des maritimes stagne. Cette tendance est très peu influencée par les taux de natalité de ces deux régions, mais par leur développement économique respectif.
Gérard Bélanger et Jean-Thomas Bernard
Professeurs d’économique, Université Laval, Québec


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