De toute évidence, Shell ne voulait pas vendre. Selon toute vraisemblance, la pétrolière ne voulait pas que la capacité de raffinage de Montréal-Est (incluant celle de l'ex-Petro Canada) survive. Il lui appartient désormais de convaincre du contraire, de démontrer sa bonne foi.
Dès la première annonce d'une fermeture définitive de la raffinerie de Shell à Montréal-Est, en janvier dernier, ils étaient plusieurs spécialistes des secteurs énergétique et environnemental à conclure que la pétrolière ne voulait pas vendre. Qu'au demeurant Shell vendrait, mais à un repreneur dont le plan d'affaires aurait prévu l'utilisation des installations à d'autres fins, à la transformation en biogaz notamment. En clair, ces spécialistes faisaient la lecture que Shell voulait poursuivre dans ce mouvement d'industrie impliquant une réduction généralisée des capacités de raffinage afin de créer une rareté artificielle et d'augmenter les marges bénéficiaires dans ce segment. La suite des choses semble leur donner raison.
Shell a mis en vente sa raffinerie de Montréal-Est en juillet 2009. À défaut de trouver un acheteur crédible, la pétrolière a annoncé la fermeture de ces installations et leur transformation en terminal en janvier dernier. La décision était alors irrévocable. Mais visiblement, Shell s'est livrée à un jeu de relations publiques en accordant un délai aux syndiqués et en laissant le comité de relance s'activer. La suite des choses semble lui avoir donné tort. Certainement contre les attentes de la pétrolière, un acheteur sérieux s'est présenté. De toute évidence, Shell a sous-estimé la capacité des Québécois à se mobiliser lorsque l'enjeu est important. Du mois, elle a été surprise par l'ampleur et la vigueur de cette mobilisation.
Car si Shell n'en est pas à sa première fermeture à l'échelle mondiale, l'importance de l'enjeu est réelle à l'échelle locale. Rappelons que ces installations représentent 800 emplois directs et 3500 indirects, dont certains ont survécu à la fermeture d'Esso en 1983. Les retombées économiques sont estimées à 400 millions annuellement pour une région, Montréal, qui a vu son industrie pétrochimique s'effriter avec la disparition de Petromont et de PTT Poly Canada, au début de 2009. Cette fermeture touche également le quart de la capacité de raffinage du Québec, soit 130 000 barils par jour. Elle pose la question de la survie économique de l'autre raffinerie de Montréal-Est, celle de Suncor (ex-Petro Canada), élargissant l'impact potentiel à la moitié de la capacité québécoise, menaçant d'autant la sécurité d'approvisionnement du Québec.
Mais derrière cet enjeu local, l'ingénieur financier derrière l'arrivée d'un acheteur potentiel pour les installations montréalaises (voir texte ci-contre) met à l'avant-scène la bonne foi de Shell. Car dans l'industrie, l'heure est à la refonte des capacités de raffinage afin d'accroître les marges bénéficiaires dans ce segment. D'une part, la tendance est à la construction de mégaraffineries ayant des capacités d'au moins 400 000 barils par jour, situées près des activités des grands sites de production.
D'autre part, les capacités de raffinage sont retirées du marché afin de jouer la carte de la rareté en vue de la reprise économique, et donc d'une hausse de la demande. Déjà, en 2009, des installations de la taille des 200 000 à 275 000 barils par jour ont été fermées dans nombre d'États américains. À la fin de 2009, l'on s'attendait à une disparition additionnelle de 15 % de la capacité de raffinage aux États-Unis seulement.
Shell avait repris ce chiffre pour elle. Au cours d'une conférence téléphonique tenue en février dernier, le grand patron de Royal Dutch Shell évoquait cette cible de réduction de 15 % de ses capacités mondiales. «Nous voulons clairement réduire la capacité de raffinage, et cela va se faire à travers des ventes, des conversions en terminaux ou des fermetures mondiales», peut-on lire dans un texte du Devoir publié le 2 juillet dernier.
Selon un tel plan mondial, la fermeture des installations montréalaises de très petite taille, loin des activités en amont, et leur transformation en un terminal alimenté par bateaux formant un tout cohérent avec le réseau de stations-service de Shell au Québec, allaient de soi. Et si cette fermeture entraîne celle de Petro-Canada, on fait d'une pierre deux coups.
Il revient donc à Shell de faire la preuve de sa bonne foi. Si la pétrolière est souhaite véritablement vendre, et si Delek souhaite vraiment l'acheter, quelque chose devra se produire. C'est ce qu'espère l'ingénieur financier.
Du moins, voilà pour la dimension économique de ce dossier. Quant à son volet environnemental...
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