Tous les reportages et les témoignages attestent que les exigences de la Troïka ont provoqué une catastrophe humanitaire en Grèce. Les diktats de cette Troïka ont été imposés par des technocrates sans légitimité démocratique, et souvent en violation avec la législation internationale en vigueur. Le soutien au peuple grec justifie que l'on se batte pour que ces fauteurs de misères soient poursuivis et jugés.
Désastre humain
Trois millions de Grecs sont sans couverture de santé (sur 11 millions d'habitants). Le taux de chômage atteint 29 % de la population active (60 % chez les jeunes). Un tiers de la population est en dessous du seuil de pauvreté. 400 000 foyers n'ont aucun revenu, les prestations sociales ont été réduites, les allocations de chômage supprimées pour de nombreux chômeurs. Des enfants font des malaises à l'école car insuffisamment nourris. Des tickets alimentaires ont dû être édités pour les plus pauvres. 40 % des hôpitaux ont été fermés. Plus de la moitié des médecins du secteur public ont été licenciés : sur 5000, il n'en reste plus que 2000. Les dépenses de santé qui représentent 10 % du PIB en Allemagne, 8 % en moyenne européenne, peinent à arriver à 6 % en Grèce (et sur un PIB qui a fondu, aussi vite que la dette croissait). Des consultations externes doivent être organisées par des médecins et secouristes bénévoles. Des médecins attestent que des centaines de Grecs meurent chaque mois faute de soins. D'autres sont affamés, les indigents sont pléthore. Le nombre de sans-abri a considérablement augmenté. Des familles vivent dans des caves. Des commerçants sont ruinés. Des charrettes de fonctionnaires se sont retrouvées sur le pavé. Les salaires et pensions de retraite ont baissé le plus souvent de 30 %.
Tout cela sur pression de la Banque centrale européenne, du FMI, et de l'Union européenne : la Troïka. Dans un documentaire diffusé sur Arte le 24 février (Puissante et incontrôlée : la troïka, de Harald Schumann), véritable réquisitoire, acte d'accusation terrible, Yanis Varoufakis, interviewé sur fond d'Acropole l'été dernier, les accuse de "crime contre l'humanité".
En réduisant ses dépenses d'un tiers en 4 ans, l'État grec a pourtant réalisé l'"exploit" d'être en excédent budgétaire, hors service de la dette. Mais la dette, quant à elle, a explosé (175 % du PIB, bien davantage qu'au début de la crise). C'était prévisible, les économistes sérieux l'avaient annoncé. Je ne parle pas de nos "experts", ceux qui sont à la botte des multinationales et des technocrates ultralibéraux européens, qui s'ingénient à insulter les Grecs, les accusant de tous les péchés du monde, obtenant, il faut bien le dire, un certain écho auprès du Français moyen qui croit pouvoir faire de l'économie en chambre. Samir Amin, interviewé dans Debtocracy (documentaire de 2011), déclare : "Les Grecs sont-ils paresseux ? C'est du racisme pur et simple". Mais les Dominique Reynié, Nicolas Beytout, Arnaud Leparmentier (Le Monde) et autres Philippe Dessertine, n'ont cessé de le colporter, comme ils ont tourné en dérision Syrisa. Ne parlons pas de Marc Fiorentino qui a beaucoup milité pour que la Grèce "coupable" soit exclue de la zone euro, tandis que Carl Meeus (Le Figaro Magazine) répète sans cesse que Syrisa veut désormais y rester par pur opportunisme après avoir longtemps annoncé le contraire (ce qui est faux).
Ces "économistes", qui roulent pour le "parti de l'étranger", l'Allemagne, s'offusquent lorsque Syrisa rappelle le pillage de la Grèce par l'Allemagne nazie, et l'assouplissement de la dette allemande en 1953 ; ces "économistes", qui ne se contentent pas de livrer une opinion, mais militent délibérément en faveur de l'oligarchie financière, n'ont cessé de tresser des lauriers à une Allemagne, travailleuse, ingénieuse, économe, se gardant bien de relever ses points faibles. S'il est vrai que sa réussite doit beaucoup à ses innovations, la durée moyenne de travail en Allemagne était en 2009 inférieure à la France, et, pire encore, à la Grèce (selon Patrick Artus, de Natixis).
Mais surtout, l'Allemagne a mis à genoux, sans vergogne, ses partenaires européens en pratiquant un dumping social, "en déclarant la guerre à sa classe ouvrière" (extrait de Debtocracy). En bloquant les salaires dans son pays, l'Allemagne a joué ouvertement la perte de compétitivité dans les autres pays d'Europe (alors même que son intérêt à long terme n'est pas de saigner à blanc ses partenaires, avec lesquels elle fait les 2/3 de son commerce extérieur). Des économistes de l'Ofce le disent depuis longtemps, Alternatives économiqueségalement, Mediapart aussi, mais cela horripile souverainement les Ghislaine Ottenheimer (Challenges), Agnès Verdier-Molinié (Ifrap) et autres Jean-Marc Daniel, qui veilleront toujours à bien dissimuler le fait que la crise de la dette publique est d'abord une crise de la dette privée, encouragée par les financiers pour compenser la baisse du pouvoir d'achat voulue par le grand capital, dans une course effrénée qui, finalement, a débouché sur les subprimes.
Tout a été fait pour nous inculquer que les Grecs étaient globalement responsables de ce qui leur arrivait. Il ne fallait pas préciser que la troïka imposait la récession et donc la misère, ni dire que, dans ce contexte, France et Allemagne vendaient encore des armes à la Grèce (frégates, chars, sous-marins) pour plusieurs milliards d'euros : il fallait bien lui prêter pour qu'elle rembourse !
La boucle du cynisme
De même qu'il était plus efficace de traiter tous les Grecs de "fainéants", de "corrompus" (propos d'un directeur du FMI auprès d'un ministre grec, humilié), plutôt que de révéler la "liste Lagarde", c'est-à-dire une liste de 2062 Grecs évadés fiscaux, dont six seulement ont fait l'objet d'un contrôle, Madame Lagarde, alors ministre des finances en France, refusant de donner cette liste qui prouvait un détournement de 2 milliards d'euros.
Et pour boucler la boucle du cynisme, rappelons que DSK, à la tête du FMI, n'hésitait pas à violer la conscience humaine en se réjouissant de la réforme des retraites en Grèce, du blocage des salaires (cité dans Debtocracy). En tant que futur candidat à la présidentielle en France, s'il veillait à ce que la Grèce soit renflouée, c'était non pas pour la sauver, mais pour qu'elle rembourse les banques françaises (et allemandes), comme cela est précisé dans le documentaire d'Arte.
Les actions illégales de la Troïka
Or, non seulement, une part non négligeable de la dette en général, et de celle de la Grèce en particulier, est abusive (taux d'intérêt exorbitants, baisse d'impôts pour les plus riches), mais encore, dans le cas de la Grèce, des actions illégales, menées par les technocrates de la Troïka, ont mis le pays à terre.
Tout d'abord, le FMI a dû changer à la dernière minute ses statuts pour pouvoir prêter à la Grèce en sachant qu'elle ne pourrait pas rembourser (ce que le règlement du FMI ne permettait pas auparavant). C'est un directeur exécutif du FMI, Paulo Nogueira Batista, qui le dénonce dans le documentaire diffusé sur Arte.
Par ailleurs, le mémorandum (le MOU, memorandum of understanding, qualifié de "masturbation intellectuelle de la part des thuriféraires de la pensée unique", selon le député européen Philippe Lamberts) n'y va pas de main morte : non seulement ce sont des milliers de pages détaillant par le menu, de façon souvent humiliante, tout ce sur quoi le pays doit économiser (comme licencier les femmes de ménages des ministères), mais il a imposé, par exemple, le licenciement de médecins : de quel droit, la Troïka pouvait se positionner ainsi ? Qui lui a donné mandat pour le faire ? L'idéologie de ces technocrates était, selon un médecin condamné à travailler gratuitement : "celui qui a de l'argent peut vivre, celui qui n'en a pas peut mourir". Une députée du groupe "socialistes et démocrates" au Parlement européen déclare que la Troïka c'est "un monstre qu'on a créé".
La Troïka a également imposé la suppression de conventions collectives en Grèce (et aussi au Portugal, où pourtant même le patronat y était opposé). En Grèce le salaire minimum est passé de 757 € à 586 par décret, sans consultation du parlement. D'après le traité de Maastricht, la Commission européenne, partie dans ce bras de fer, n'a aucune compétence pour intervenir sur les salaires et les conventions collectives.
Enfin, la Troïka a couvert des opérations suspectes, comme la vente d'une banque de Chypre, la BPN, au profit d'une banque grecque, la banque du Pirée : les épargnants chypriotes ont perdu 3,4 milliards d'euros, encaissés par cette banque grecque. "Un des plus gros scandales de la zone euro", dit un député chypriote. Et tout ça avec la complicité des ministres des finances de la dite zone. Si Chypre avait refusé ce tripatouillage, la Troïka menaçait ce pays d'être exclu de la zone euro : "c'était marche ou crève", dit un ministre dépité. Moins que les petits retraités floués.
Des banques grecques ont été vendues selon les mêmes procédés. L'Union européenne a exigé également de la Grèce qu'elle privatise ses actifs à hauteur de 50 milliards d'euros. Ainsi des biens publics ont été vendus aux conditions dictées par l'acheteur, sans mise en concurrence (Syrisa vient d'obtenir de pouvoir au moins vendre au prix du marché, et sous réserve qu'il y ait plusieurs candidats à l'achat). Les technocrates ont imposé à la Grèce de consacrer 4,5 % de son PIB au remboursement de sa dette pendant 20 ans : or c'est impossible, aucun état ne l'a jamais fait et n'est capable de le faire. Le député européen belge Philippe Lamberts dit que des officiels de l'UE et de la BCE lui ont avoué en privé qu'ils savaient que c'était impossible, que le taux au final sera forcément plus bas. On joue manifestement avec les nerfs des peuples pressurés, ce qui suffirait, en soi, à faire condamner ces tortionnaires.
Il va de soi que les dirigeants politiques européens qui sont directement complices ou qui ne font rien pour empêcher ces exactions, sont tout autant coupables.
La résistance s'organise
Yannis Youlountas, réalisateur, qui sillonne la France pour expliquer ce qui se passe en Grèce, défendre Syrisa et faire connaître son film Ne vivons plus comme des esclaves, montre que le peuple grec a déjà fait beaucoup : l'élection de Syrisa vient après des années de révoltes, significatives d'une exaspération à son paroxysme (300 agences de banques auraient été attaquées et brûlées). Fin des discours, la résistance s'organise.
Des projets sociaux autogestionnaires ont été lancés dans des quartiers : des militants ont mis en place des dispositifs de solidarité (comme l'expérience utopique d'Exarcheia au cœur d'Athènes). Des coopératives sont créées. Des chômeurs inventent leur emploi dans le cadre des réseaux des "espaces sociaux libres". Des productions "sauvages" reprennent dans des usines abandonnées par leurs propriétaires. Des actes de désobéissance civile prolifèrent. Des sites magnifiques en voie de privatisation sont devenus de véritables ZAD, pour empêcher cette dilapidation du patrimoine grec. Des grillages clôturant les zones bradées ont été arrachés par la population révoltée. Des luttes sont menées contre la privatisation de l'eau, contre les coupures d'électricité. De simples citoyens, parfois très âgés, ont confectionné eux-mêmes des affiches et vont les apposer sur les murs. Les réseaux sociaux ont fonctionné à haut régime, dans une utilisation subversive. Cette société en mouvement, qui ne veut pas mourir, est tolérante, solidaire, ouverte aux étrangers. Parfois, les fascistes ont cherché à contrer ce bouillonnement, et ont attaqué violemment ces différentes initiatives. Mais les militants progressistes savent se défendre et l'extrême-droite (dont Aube dorée) reste minoritaire. Cependant, elle utilise les mêmes méthodes que le FN en France : "un loup revêtu d'une toison de mouton pour entrer dans la bergerie", dit un militant dans le film Ne vivons plus...
Syrisa est obligée de faire quelques compromis avec l'Union européenne. Certains le lui reprochent, craignant que, comme souvent, les meilleurs s'écrasent une fois arrivés au sommet. En fait, Tsipras cherche à gagner du temps. Cela suppose que le reste de l'Europe le soutienne, en Espagne, Italie et Portugal. Et aussi en France. Si François Hollande, de façon opportuniste ou par conviction, a marqué ses distances, entre autres pour gagner les bonnes grâces d'Angela Merkel, le peuple de France devrait réagir, pour dire qu'il refuse ce qu'on impose au peuple grec, affirmant ainsi sa solidarité. Ne serait-ce que pour ne pas subir un jour le même sort.
Un rêve : la Troïka devant un tribunal international
Enfin, il ne serait que justice que des démocrates de toute l'Europe se liguent pour dénoncer, y compris devant un tribunal international (pourquoi pas), les exactions des technocrates non élus de la Troïka. Ils ont prétendu vouloir sauver la Grèce, en fait ils n'ont fait que l'enfoncer davantage, en agissant dans les seuls intérêts des oligarchies ultralibérales, sans pitié, sans foi ni loi, imposant froidement leur diktat à des populations injustement condamnées.
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Epouvantail :
A noter que si Syrisa réussit, ce sera la preuve qu'il existe une alternative à la pensée unique (libérale), prônée par la droite ou les "socialistes", indiquait le député Vert et belge Philippe Lamberts, sur France inter le 26 février. D'où l'intérêt des libéraux à contribuer à l'échec de Syrisa : ce qui signifierait sortie de l'euro, non remboursement de la dette, et incitation pour les Grecs de tenter l'autre alternative : Aube dorée, le parti nazi. La Grèce servant d'épouvantail en Europe. Yannis Youlountas explique que, selon lui, l'entrée de la Grèce dans l'Europe avait cet objectif pour les "libéraux" : créer le dumping social et, en effet domino, provoquer dans tous les pays de la zone euro des restrictions drastiques. Aujourd'hui, le discours dominant (colporté par les valets des oligarques, nos "experts" que je citais plus haut et qui squattent les plateaux de télévision) est : "attention, si vous ne faites pas les réformes, vous finirez comme la Grèce".
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Les manipulations des "experts" :
Un exemple : Jean-Marc Daniel, économiste libéral, prétend que les Grecs n'ont pas à se plaindre, car, selon lui, le niveau de vie des Allemands de l'ancienne RDA serait inférieur à celui de la Grèce ! Du coup, ces Allemands considéreraient les Grecs "comme des enfants gâtés" (dixit J.M. Daniel sur France inter le 21 février, dans On n'arrête pas l'éco). Or le PIB par habitant en Allemagne en 2013 était de 44 999 €, et celui de la Grèce de 21 857 €. En admettant qu'en ancienne Allemagne de l'Est le niveau de vie soit légèrement inférieur à celui de l'ex-RFA (à 85 ou 90 %), il reste à près du double de celui de la Grèce. Evidemment, si les Allemands de l'Est (d'où sont originaires la chancelière et le président de la République) sont soumis à la même propagande, il est possible qu'ils se croient plus misérables que les Grecs.
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Plages et îles grecques bradées :
Taiped : site sur internet pour la vente, bradée jusqu'alors, des biens du patrimoine grec (plages, îles), profitant à des margoulins comme en Russie après la chute de Gorbatchev. Ci-dessous, photo sur une annonce de Taiped.
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. Sur le caractère abusif de la dette publique en général (taux d'intérêts exorbitants, baisse des impôts pour les plus riches), voir l'étude du Collectif pour un audit citoyen de la dette publique.
et article de Laurent Mauduit sur le sujet : Sous la dette publique, l'arnaque néolibérale.
et autre article de Laurent Mauduit : Sous la dette publique, la tyrannie de la pensée unique
. Voir article fouillé de Gérard Filoche et J.J. Chavigne : La Grèce résiste au rouleau compresseur de l'Union européenne
. Voir article de Christian Salmon : Grèce contre Europe, la guerre des récits
. Voir billet de Françoise Degert, La Tourmente Grecque, où elle présente le film éponyme de Philippe Menut : bande-annonce.
Les documentaires :
Puissante et incontrôlée : la troïka, film de Harald Schumann (2015), visible ici.
Debtocracy, film de Aris Chatzistefanou et Katerina Kitidi (2011) : à voir ici.
Ne vivons plus comme des esclaves, film de Yannis Youlountas (2013) : magnifique, passionnant, alliant explications, témoignages, et images diverses, bariolées, attachantes, de ce foisonnement d'idées et d'actions qui s'expriment en Grèce aujourd'hui.
Site : www.nevivonspluscommedesesclaves.net
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