Disons-le en bon québécois. L’usage du Bonjour-Hi dans les commerces, c’est vraiment gossant. Tellement qu’il s’est vu menacé d’une intervention législative pour l’interdire. Le ministre Simon Jolin-Barrette, responsable entre autres de la langue française, disait y songer. Quelques jours plus tard, il changeait fort heureusement d’idée. Impossible de légiférer contre les paillassons.
Mais d’où nous vient cette obsession pour le Bonjour-Hi ? À mon humble avis, elle nous sert surtout de hochet collectif. Elle nous distrait du vrai problème : l’affaiblissement du français comme langue nationale. Cette langue, on nous l’avait pourtant promise rassembleuse bien au-delà de nos diverses origines.
Or, quand un simple mot comme « Bonjour » ne peut plus exister seul sans un chaperon dénommé « Hi », il y a péril en la demeure. Le nez bien enfoncé dans leur déni, certains s’en amusent de quelques pointes d’ironie. Tant qu’à y être, rigolent-ils, pourquoi ne pas légiférer contre tout ce qui nous agace ?
Ne servir à rien
D’autres parlementent avec les commerçants. D’autres quittent les commerces fautifs. D’autres refusent de s’en offusquer. Les plus téméraires, eux, osent demander la lune. Soit qu’après 25 ans d’inaction, la loi 101 soit enfin renforcée. Incluant dans les milieux de travail.
Les téméraires comprennent l’essentiel. Sans une volonté politique concrète portée par des lois publiques efficaces, les initiatives individuelles ne servent à rien.
Parce que le Bonjour-Hi n’est qu’un symptôme et rien d’autre. Chercher à l’interdire ou boycotter un commerce, c’est comme se prendre une pastille de miel pour combattre une pneumonie.
Le Bonjour-Hi, c’est le voyant rouge dont le rappel est brutal. Il nous dit ceci : majoritaire au Québec, le français est de plus en plus minoritaire au pays. Son poids démographique et politique régresse sans cesse. Même à Montréal, il perd des plumes.
Indice de taille
De fait, on ne demande jamais aux vraies majorités de parler « en bilingue » comme on le fait au Québec, y compris pour des jobines au salaire minimum. Parler « en bilingue », c’est ce qu’on exige des minorités. Au Canada anglais, où moins de 10 % à peine des anglophones connaissent le français, on ne dit pas Hi-Bonjour. On dit Hi, tout court.
Le véritable rapport de forces d’une langue face à une autre ne dépend pas non plus de sa maîtrise parfaite. Il repose avant tout sur son pouvoir politique, législatif et économique.
En d’autres termes, même si chaque francophone, de souche ou pas, récitait du Balzac tous les matins, du moment où le Québec n’est qu’une province dénuée de toute reconnaissance constitutionnelle particulière, la force d’attraction de sa langue est celle, sans plus, d’une grosse minorité.
Le Bonjour-Hi, c’est un canari parmi d’autres dans la mine. Chaperonné, le français n’est plus une langue de culture. C’est un outil parmi d’autres pour fonctionner. À ce compte-là, chez les jeunes francophones et non francophones, le glissement de l’indifférence au mépris pourrait être plus rapide qu’on ne le pense.
Alors, que faire ? La réponse repose maintenant entre les mains du gouvernement Legault.