Filles et fils de baby-boomers, né(e)s dans un monde où tout a été dit, vécu, essayé, vérifié et contrevérifié. Né(e)s après le rejet de l’église et du mariage. Après le refus global de toutes formes d’autorité sur nos vies aléatoires. Après l’échec du marxisme, du socialisme et bientôt du capitalisme. Né(e)s après deux révolutions avortées (l’une dans le sang, l’autre dans le confort) et deux référendums perdus.
Filles et fils d’Internet, né(e)s en apesanteur dans l’univers du Web, submergé(e)s d’information et abreuvé(e)s de pornographie hardcore.
Filles et fils de l’éducation démocratisée, lâché(e)s dans le monde bardé(e)s de diplômes, mais criblé(e)s de dettes.
Force est de constater que nous sommes, les 25-35 ans, une génération très qualifiée, des plus critiques, mais somme toute démobilisée.
Peu de chose nous lie en dehors de nos amitiés et de nos relations de travail. Et, quand il est question de se faire une place, chacun est laissé à lui-même ou à son couple.
Spectateurs du monde, commentateurs de ce qui s’y passe, nous liquidons notre vitalité intellectuelle à critiquer plutôt qu’à agir.
Le cynisme l’emporte trop souvent.
Quelle différence de voter pour un parti ou pour un autre ? Quelle différence de changer une loi par une autre ?
Nous voyons à notre confort immédiat et à celui de nos proches. Tout notre sens de la communauté (et de la patrie donc) tient dans cette idée.
Comment vaincre ce « cynisme » qui nous neutralise ? Comment entrer dans le monde sans trahir notre identité ? Comment renouer avec le sens de la cité ? Voilà les bases du questionnement qui nous anime, membres du collectif Identité québécoise.
L’identité est au coeur de l’action humaine. Pour agir, un individu a besoin de « fixer » dans son esprit une certaine idée de lui-même (image de soi).
La raison en est simple :
« Le corps ne peut se mouvoir que dans un cadre d’évidences. Nous sommes donc condamnés à donner quotidiennement sens à notre vie, pour fermer l’infinité des possibles de la réflexivité. » (1)
Ainsi donc :
« L’identité est ce qui ferme le sens, et crée les conditions de l’action. » (1)
Pour que cette identité ait un sens, elle doit trouver un écho dans le passé (récit des origines), se matérialiser dans le présent (us et coutumes), puis se prolonger dans le futur (projets d’avenir). C’est en assumant cette triple exigence qu’un individu acquiert sa liberté et prend son envol.
À grande échelle, l’identité collective est ce qui permet à un groupe de joindre le geste à la parole, afin de mener rondement les projets collectifs qui l’enthousiasment.
Pour y parvenir, le groupe doit préalablement se doter d’un certain nombre de repères communs. Bouchard et Taylor eux-mêmes le reconnaissent dans leur rapport :
« (...) toute société a besoin de quelques symboles forts qui lui servent de ciment, de point de ralliement, qui nourrissent une solidarité au-delà de la raison froide (...) toute société donne un sens à ce qu’elle est ou voudrait être, se crée des fidélités, une respectabilité, s’identifie à des rêves, à des idéaux, à des réalisations méritoires dont elle fait le récit édifiant et dont elle aime célébrer les héros qui les incarnent. » (2)
Ces repères sont essentiels à la cohésion du groupe : ils rendent la communication efficiente ; ils génèrent de nouvelles solidarités ; mais aussi, et surtout, ils servent de guide au moment d’entrer en action.
Que penser du Québec à la lumière de ces notions ? [Existe-t-il des représentations de nous-mêmes rassembleuses et porteuses de sens (image de soi) ?->27682] Existe-t-il un tissu culturel capable de nous mettre en relation les uns les autres (us et coutumes) ? Existe-t-il un avant (récit des origines) et un après (projets d’avenir) livrant l’esquisse d’une direction à prendre ? Existe-t-il, finalement, une identité collective digne de ce nom ?
Le collectif Identité québécoise pense que oui. Voyez pourquoi.
Nous sommes en présence d’une identité manifeste (manifeste : caractère de ce qui ne peut être nié), une identité forte de ses 400 ans d’histoire, une identité qui, somme toute, « ne sait pas mourir ».
Grand et vaste fleuve propre à porter nos projets, l’identité québécoise ne s’est pas formée par la volonté du Saint-Esprit. De toutes les rivières qui l’alimentent, ne nommons que les plus évidentes : autochtones, françaises, anglaises, canadiennes, irlandaises, écossaises, italiennes, juives et autres sources plus récentes.
Est-ce à dire que tout est fixé d’avance ? Au contraire !
Les commentateurs de notre histoire ont vu en Jeance Mance une pieuse colonisatrice. Ils ont ensuite vanté les mérites du corsaire impitoyable qu’était Pierre d’Iberville. Ils ont plus tard fait le portrait d’un peuple à la courte vue, replié dans son quant-à-soi, avec des personnages tels que Séraphin Poudrier.
De Canayens à Canadiens à French Canadian à Canadiens français à Québécois...
Que de changements d’attitudes !
L’identité collective telle que nous la concevons est un système de références en continuel redéploiement, un système qui demande, à chaque génération, une réactualisation de sa dialectique.
Notion complexe d’entre toutes, l’identité n’est pas pour nous une liste d’épicerie ni le top cinq de nos naufrages appréhendés. Pas plus qu’il ne saurait être question de répéter le mantra habituel : à savoir que nous sommes francophones, laïques, pacifiques, que sais-je... Notre vision se déploie en apnée, dans les zones troubles de la conscience humaine. Notre vision se déploie en altitude, portée par nos déraisons communes.
Pour nous, l’identité québécoise s’incarne à travers toutes les manifestations culturelles de la nation, qu’elles soient grandes ou petites, banales ou extraordinaires. Dans nos fiertés comme dans nos travers, par la bouche de Céline ou de Mailloux, de Lepage ou de Mara. Par le geste habile du flécheur. Par le poing pesant de la boulangère.
Un pays se réinvente à chaque dégénération, par le labeur de ses habitants. Le récit de nos origines reste encore et toujours à préciser, notre culture, à parfaire. Il n’y a pourtant pas une seconde à perdre... Nos projets d’avenir, nombreux sur le tarmac, ne demandent qu’à décoller. Quels thèmes choisir ? Environnement, réussite individuelle, justice sociale, indépendance... Quels désirs embraser !
À une autre époque, alors qu’il s’adressait aux gens de sa propre génération, Victor-Lévy Beaulieu posa le choix crument :
« L’écrivain québécois actuel a deux choix : ou il tourne carrément le dos au passé et s’invente totalement un présent, donc un futur, ou il croit suffisamment aux choses qu’il y a dernière lui, s’y plonge, les assimile, leur donne un sens nouveau, celui d’une oeuvre qu’il bâtit en fonction du nouvel univers qu’il voudrait voir s’établir ici. » (3)
De ces deux voies, nous empruntons la seconde.
Le collectif Identité québécoise se donne la mission d’explorer, de réfléchir et de participer à la création de l’identité québécoise.
Explorer
L’identité est une notion complexe. Plutôt que d’en chercher le plus petit dénominateur, nous faisons le pari inverse : explorons la culture dans toute sa vastitude, pour en saisir les différents visages. Comment s’y prendre ? En écoutant la parole d’un Ancien, en plongeant dans un livre, en découvrant le Québec et ses habitants.
Réfléchir
L’identité fait appel à la conscience de soi. Il faut chacun pour soi-même, construire sa propre idée du Québec. Comment faire ? En questionnant les versions officielles de l’histoire, en confrontant le discours de nos élites, en s’abreuvant à différentes sources d’information, au Québec comme ailleurs.
Participer à la création de l’identité
L’identité ne saurait vivre en vase clos. Elle doit subir l’épreuve du réel. Les membres du collectif IQ l’ont bien compris et sont en action. Nous produisons des oeuvres artistiques s’appuyant sur une réflexion identitaire. Nous diffusons de l’information sur le Québec. Nous intervenons sur la place publique pour faire connaître notre vision du Québec.
Notre démarche s’inspire de celle des Anne Hébert, Pierre Perrault, Victor-Lévy Beaulieu, qui, en s’inspirant de l’histoire et du folklore, ont composé des œuvres colossales de savoir et de liberté.
Nous lançons un appel à l’action. Patriotes de tous les horizons, engageons-nous dans un pèlerinage salvateur. Retrouvons le goût d’apprendre en toutes circonstances. Retournons le pays sens dessus dessous, à la recherche de nos sciences centenaires.
Nous lançons un appel à tous : jeunes, vieux, hommes, femmes, métèques et autochtones, sans égard aux allégeances politiques.
« Est Québécois qui veut l’être » disait avec raison René Lévesque. Eh bien devenons Québécois plus souvent, autrement que par naissance, et autrement que par défaut. Parlons québécois dans toutes les langues et dans tous les états. Enquébécoisons-nous lentement, mais sûrement.
***
Auteur : Philippe Jean Poirier ; cosignataires : Simon Beaudry, Mathieu Gauthier-Pilote, Alexandre Faustino.
(1) - Kaufmenn, Jean-Claude. Voir l’article « Identité », p. 595, Dictionnaire des sciences humaines, Éditions PUF, 2006.
(2) - Rapport final intégral de la commission Bouchard-Taylor. Voir le chapitre 4, section C, « Une identité québécoise », 123-124.
(3) - Extrait tiré du Devoir, 13 janvier 1973.
L'Identité manifeste
Manifeste du collectif Identité québécoise
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