Le non des Irlandais au Traité de Lisbonne observé, la saison des marchandages a débuté. Tel membre veut la lune, tel autre convoite le soleil... L'Union européenne (UE) fait penser à ce chirurgien qui assure que l'opération fut un succès malgré le décès du patient.
Pour Nicolas Sarkozy, l'équation politique conséquente au rejet irlandais se résume comme suit: si Lisbonne n'est pas ratifié d'ici aux prochaines élections européennes en 2009, il n'y aura pas d'élargissement. Si tel est le cas, la Croatie serait la première victime de cette règle que son auteur entend défendre au cours des six prochains mois alors qu'il assumera la présidence de l'UE.
Énoncée lors du sommet des vingt-sept chefs d'État, la règle en question, c'est à noter, a été avalisée notamment par la chancelière allemande, Angela Merkel, mais immédiatement récusée par le chef de file des eurosceptiques, le président tchèque Vaclav Kraus pour lequel l'addition de la Croatie relève des intérêts stratégiques. Paradoxe des paradoxes, Kraus tient mordicus à ce que la Croatie se greffe à l'UE alors que lui espère un jugement de la Cour constitutionnelle de son pays favorisant un retrait de... l'Union.
En brandissant une éventuelle fermeture de la Maison Europe à ceux qui veulent la rejoindre, Sarkozy et certains poids lourds de l'UE escomptent une ratification du Traité par 26 des 27 membres. Attention! Ils espèrent une ratification rapide pour se tourner ensuite vers l'Irlande en lui demandant de revoir sa copie. En adoptant cette position, les responsables politiques de l'UE accordent encore une fois une prime à la surenchère. Plutôt que de tirer un trait, plutôt que d'accepter le verdict populaire, ils favorisent le chantage.
On ne répétera jamais assez qu'après le non des Irlandais au Traité de Nice en 2001, l'UE avait alors convenu d'accorder au récalcitrant certains avantages et certaines dérogations à condition qu'il organise un deuxième référendum. Et ce, selon l'exemple de l'épisode danois lors de l'adoption du Traité de Maastricht en 1992. À l'époque, on avait demandé aux Danois, moyennant certains cadeaux évidemment, de tenir un autre scrutin sur le même sujet.
Plus près de nous, en 2005, les Français et les Néerlandais ont giflé, c'est le cas de le dire, le Traité constitutionnel. Qu'ont fait les politiques, les dirigeants? Ils en ont extrait la substantifique moelle, ont retiré l'essentiel et ont maquillé le tout en le rebaptisant Traité de Lisbonne. Et ce, en prenant un soin méticuleux à éviter que le sujet soit soumis au verdict des populations. Il faut rappeler que seule l'Irlande avait l'obligation, selon sa constitution, de soumettre ce texte au peuple.
Simultanément à ces entourloupettes politico-juridiques, on se souviendra que la Grande-Bretagne a annoncé que son engagement à adopter l'euro en 2006, puis en 2008, a été remis aux calendes grecques. Quoi d'autre? Au milieu de la semaine dernière, on annonce qu'après le Parlement de sa majesté, la Chambre des Lords avait dit oui à Lisbonne avant qu'une autorité versée en droit ne précise que le tout est suspendu à un jugement de la Haute Cour qui a accepté d'entendre la requête des eurosceptiques britanniques. Leur ambition? Que Lisbonne soit soumis à l'avis des Britanniques. Tout un chacun sait que si un référendum est tenu sur cette question, une forte majorité de Britannique dira non.
En fait, si des référendums étaient organisés en France, en Allemagne, en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas et en Pologne, l'humeur respective des populations étant ce qu'elle est, le non à Lisbonne l'emporterait largement. Peut-être même qu'en Italie, où un regain du nationalisme a été confirmé lors des dernières législatives, le non aussi serait vainqueur. C'est dire.
On s'en doute, le nombre de raisons et de causes à l'origine du sentiment de morosité des Européens à l'égard de Bruxelles est passablement imposant. Si l'on fait abstraction des variables strictement nationalistes qui ont causé la faillite constitutionnelle observée depuis maintenant trois ans, on retient que l'objectif allemand et anglais d'élargir rapidement et avec amplitude en acceptant de passer d'un coup de 15 à 25 membres s'est révélé un échec. On ne dira jamais assez qu'en agissant de la sorte on a réduit une ambition politique, un rêve culturel, à une stricte histoire de marchandages menés par des épiciers sans envergure.
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