L’État québécois a besoin d’une Charte de la laïcité,
et non d’une laïcité « ouverte » à la Bouchard-Taylor
Par Guy Rocher
Texte tiré d'un dossier spécial consacré à Guy Rocher à l'occasion de la remise du prix Condorcet-Dessaulles, Revue Cité Laïque no 16, printemps 2010.
L’édition complète de la revue est disponible à cette adresse :
Une autre raison que j’ai de revenir à ce rapport Parent, c’est
que j’y retrouve ma position personnelle encore aujourd’hui.
C’est encore de cette manière que je pense la liberté de conscience,
les rapports de l’État avec les religions et avec les citoyens,
croyants et incroyants.
Ce qu’il nous faut, c’est un État vraiment laïque laïque, dont la laïcité est nettement affirmée.
Ce qui veut dire que cet État ne
se réclame ni d’une religion, ni d’aucune
religion, qu’il ne prône ni une religion ni
l’athéisme, qu’il respecte tout autant les
athées que les croyants, qu’il respecte toutes
les convictions.
Il est important que l’État n’entreprenne
pas de nous convaincre d’une vérité
plutôt que d’une autre en cette matière.
Ce n’est pas à l’État à faire le départage
entre la conviction qu’il y a un dieu ou
qu’il n’y en a pas, entre ce qui est scientifique
et ce qui ne l’est pas. Voilà donc ma
position là-dessus, elle me vient de cette
longue période de réflexion des années
soixante.
Non à la laïcité « ouverte »
Ce qui veut dire aussi que si un jour une
Charte de la laïcité est proclamée au Québec,
on mettra de côté la notion de laïcité
ouverte qui nous est proposée dans le rapport
Bouchard-Taylor. Dès 1963, Charles
Taylor évoquait déjà cette notion dans la
revue Cité libre de l’époque pour expliquer
son adhésion au Mouvement laïque
de langue française (1) : « En tant que catholique,
disait-il, j’ai adhéré au MLLF
parce que je crois en une laïcité ouverte. »
On retrouve à peu près la même notion
dans le rapport Bouchard-Taylor 45 ans
plus tard…
Je crois qu’il n’est pas rassurant pour
l’avenir d’adopter une éthique qui peut
être plus ouverte ou moins ouverte, dont
l’ouverture peut être presqu’ouverte ou presque fermée, où les balises deviennent
vagues, où l’on tombe pratiquement dans
le cas par cas. Et c’est précisément ce cas
par cas qu’il faut éviter maintenant. Il est
nécessaire d’avoir des balises claires pour
les institutions publiques, qui en ont besoin,
et pour les administrateurs de ces
institutions : écoles, collèges, universités,
établissements de santé, etc.
Je ne crois qu’en une sorte de laïcité,
que malheureusement le rapport Bouchard-
Taylor qualifie de « rigide » ou « sévère
», c’est une autre erreur du rapport.
L’utilisation d’adjectifs n’est jamais innocente
: laïcité « ouverte » pour qualifier
sa propre position, laïcité « rigide » ou
« sévère » celle des autres… Lorsque la lumière
se fera un jour à Québec et qu’on
pensera à affirmer clairement la laïcité de
l’État québécois, j’espère que les autorités politiques ne s’inspireront pas des conclusions
du chapitre 7 du rapport Bouchard-Taylor.
Le travail n’est pas fini
Me souvenant d’où nous sommes partis
dans les années soixante, il m’arrive parfois
de m’étonner du chemin parcouru
durant toutes ces années. Par exemple,
la déconfessionnalisation des institutions
scolaires aux niveaux primaire et secondaire
s’est échelonnée sur une quarantaine
d’années, comme l’a raconté dans
son rapport de l’année dernière votre président
sortant, Henri Laberge, dans Cité
laïque.
Mais c’est une évolution qui est encore
en cours. Il reste à clarifier la laïcité de
l’État québécois, à le faire de façon constitutionnelle,
ou quasi constitutionnelle,
dans une Charte de la laïcité qui ressemblerait
peut-être à la Charte de la langue
française ou à la Charte des droits et libertés.
Et il reste, comme le fait régulièrement
le MLQ, à contester les anomalies qui subsistent
encore dans nos institutions publiques
: des prières dans les conseils municipaux,
le crucifix à l’Assemblée nationale,
etc. Donc le travail n’est pas fini.
Je vous remercie encore une fois pour
ce Prix Condorcet-Dessaulles que j’apprécie
beaucoup, merci au MLQ d’être ce
qu’il est et de continuer, car il est essentiel
à l’avenir du Québec.
(1) Dans cet article, l’opposition de Charles Taylor à la «
laïcité intégrale » préfigurait déjà sa position actuelle en
faveur de la « laïcité ouverte ». Il y écrivait : « Si on me
réplique que ce n’est pas la laïcité mais autre chose, je
suis prêt à me passer du mot ». (Charles Taylor, « L’État et
la laïcité », CITÉ LIBRE, XIVe année, no 54, Février 1963,
page 6). N’ayant pas réussi à se débarrasser du mot,
les opposants à la laïcité ont depuis ajouté l’épithète «
ouverte» afin de diluer la laïcité elle-même de son sens
véritable.
L’État québécois a besoin d’une Charte de la laïcité
et non d’une laïcité « ouverte » à la Bouchard-Taylor
Laïcité — débat québécois
Guy Rocher8 articles
Professeur au département de sociologie et chercheur au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal
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