La campagne électorale a débuté avec une montée des libéraux, les Canadiens réalisant que Justin Trudeau n’était pas un intrus dans cette course, mais qu’il avait bel et bien sa place parmi les prétendants au poste de premier ministre. Depuis, les sondages se suivent avec les trois principaux partis au coude à coude, les variations s’effectuant dans la marge d’erreur. On est à 30-30-30 ou à peu près depuis un mois.
Est-ce à dire que nous nous dirigeons vers un parlement tricéphale et un gouvernement minoritaire qui aura à peine plus du tiers des sièges?
Je ne le crois pas. Je crois plutôt que la pression s’accumule derrière l’embâcle et que la glace va bientôt céder. Rappelez-vous 2011, la vague orange. On l’a vue venir en fin de parcours, à une dizaine de jours du vote. Nous allons probablement vers un dénouement de la sorte, mais pas nécessairement en faveur du NPD.
Un
sondage publié hier, Ipsos Global News, donne à penser qu’un mouvement s’amorce. Il est le premier depuis un bon moment à dénoter des écarts statistiquement significatifs, qui débordent de la marge d’erreur (plus ou moins 2,5 %). Selon ce coup de sonde, les libéraux sont en tête avec 33 % des intentions de vote, suivis des néo-démocrates avec 30 % des appuis et des conservateurs à 27 %.
Les libéraux seraient ainsi dominants en Ontario, qui concentre le tiers des sièges du parlement, avec la faveur de 41 % des électeurs suivis des conservateurs à 32 %. Le NPD est donc toujours troisième dans cette province clé à 24 %.
Ce sondage pourrait aussi apporter du réconfort au Bloc québécois. Au Québec en effet, Ipsos vient tempérer la domination du NPD. Chez nous le NPD est ainsi toujours premier, mais à 37 % d’appuis, les libéraux sont seconds à 23 %, et le Bloc juste derrière à 22 %. À ce niveau moyen d’appui, le Bloc peut espérer faire des percées dans certaines régions et éviter la disparition.
Si ce sondage présage effectivement d’un mouvement dans l’électorat, comment peut-on l’analyser?
Comme dans la plupart des élections, l’électorat est tiraillé entre le changement et la continuité. La continuité, c’est évidemment les conservateurs. Mais le changement, quel est-il? Pour les libéraux et les néo-démocrates, l’enjeu d’incarner le changement se présente fort différemment.
Les néo-démocrates n’ont jamais gouverné sur la scène fédérale. L’Ontario est encore traumatisée du gouvernement néo-démocrate de Bob Rae et de ses déficits record. Ce parti, qui était avant Thomas Mulcair une sorte d’équivalence fédérale de Québec solidaire, doit se donner une crédibilité de bon gouvernement. Il doit donc jouer le jeu du changement dans la prudence, comme en fait foi son engagement à maintenir l’équilibre budgétaire coûte que coûte, malgré l’économie chancelante.
Dans ce positionnement du changement responsable, on s’étonnera notamment des promesses du NPD en santé : de l’argent pour réduire les délais en santé mentale, pour construire des cliniques, pour embaucher des médecins et des infirmières. C’est bien beau... mais la santé est un domaine de compétence provinciale! Si le fédéral veut aider, il n’a qu’à augmenter les transferts, pas dire quoi faire avec l’argent. Que ces promesses soient mises de l’avant par un chef de parti qui est un ancien ministre québécois est pour le moins étonnant et suggère que dans son évolution, le NPD demeure un parti
centralisateur.
À l’inverse, les libéraux qui se sont longtemps perçus comme le parti naturel de gouvernement (l’expression est plus courante en anglais :
natural governing party), doivent jouer d’audace pour émerger de leur rang de troisième parti à la Chambre des communes et se dégager des ornières du passé. La jeunesse de son chef permet au PLC de jouer cette carte.
C’est ainsi que les libéraux présentent les propositions les plus audacieuses. Augmentation d’impôt pour les 1 % les plus riches, réduction d’impôt pour la classe moyenne, investissement massif dans les infrastructures pour secouer l’économie apathique au prix de trois déficits, révision des dépenses militaires...
Les libéraux misent donc plus gros en faisant le pari que les Canadiens sont prêts pour un changement d’envergure dans la conduite du pays et le rôle du gouvernement. S’ils conservent une position de force en Ontario et s’imposent comme le parti le mieux à même de déloger les conservateurs, les Québécois pourraient reconsidérer leur appui au NPD qui n’a pas de racines.
C’est dans ce contexte de réel suspense que se tiendra enfin, ce jeudi, le premier débat en français. Il sera d’une importance capitale. Pour les deux partis qui veulent incarner le changement, la victoire passe par le Québec.
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