Je me souviendrai de cette date.
Avant-hier, 23 février 2022, le ministre parrain du Projet de loi no 96, M. Simon Jolin-Barrette, s’est tristement opposé à une proposition d’amendement du PQ, qui eût enfin assujetti les cégeps aux dispositions de la Charte de la langue française en matière d’éducation.
C’est un secret de polichinelle. Tout le monde sait que le jeune ministre était lui-même favorable à cette mesure si indispensable pour la survie, je dis bien la survie, de notre langue nationale à Montréal.
Plusieurs en étaient venus à y croire, jusqu’à prendre les paris. On se disait que M. Jolin-Barrette saurait, oui, convaincre M. Legault et ses collègues de la nécessité d’aller en ce sens, à l’instar de Laurin qui convainquit jadis Lévesque de retenir les éléments les plus « costauds » de sa loi 101.
Ce rare et bref sursaut de foi en notre faculté à sécréter de l’avenir se comprend bien dans les circonstances.
Après tout, le fruit était mûr. Fait inédit, une « majorité claire » de Québécois appuyaient désormais cette solution, y compris chez les jeunes. Dans l’opinion publique, très animée sur cet enjeu, un quasi consensus s’était même dégagé. De grandes figures du Québec, le vénérable Guy Rocher au premier chef, s’étaient prononcées en faveur. De même, une portion significative de notre société civile s’était montrée, sinon enthousiaste à cette idée, du moins parfaitement réceptive. Près d’une dizaine d’associations syndicales de professeurs, dans autant de cégeps français, s’étaient aussi rangées du côté de cette solution.
Grâce aux travaux rigoureux et éloquents de plusieurs chercheurs indépendants, notamment Frédéric Lacroix, tous, ou presque, avaient pris conscience du bilan de santé catastrophique du français dans nos établissements d’éducation supérieure, et plus généralement dans la région métropolitaine. Et devant la gravité de la situation, les objections traditionnelles à l’application de la loi 101 au cégep, dont l’argument spécieux du « libre-choix », ne faisaient plus le poids.
Malgré tout ce qui précède, le ministre aura plutôt choisi de se résigner face à l’aile antinationaliste de son parti. On en retiendra que dans l’entourage du PM, c’est bel et bien ce groupe qui est majoritaire ; c’est lui qui, littéralement, « fait la loi ».
Du reste, il appert que M. Jolin-Barrette sous-estime considérablement la position de force dont il jouit au sein de sa propre formation et, plus globalement, parmi l’élite politique de la nation.
Ministre vedette, leader parlementaire, auteur de plusieurs réformes majeures, il détenait, à lui seul, toutes les clés. Je veux dire que pour accomplir ce qui devait être accompli, il aurait très bien pu mettre son siège en jeu. Il aurait très bien pu faire de la politique, de la belle et grande politique ; brandir le scénario d’une désaffection impensable pour le gouvernement, au nom de l’intérêt national. Ce faisant, peut-être se fût-il hissé au rang de personnalité historique ; un avantage substantiel, s’il en est un, pour une carrière naissante. La nation tout entière l’eût appuyé ou, au moins, tenu en admiration.
Mais... NON. Cette joute n’aura pas eu lieu. Ni même commencé.
M. Jolin-Barrette a préféré l’intérêt de son parti à celui de sa patrie. À moins qu’il ne se ravise in extremis, ce qui paraît improbable, telle est la seule conclusion à laquelle on puisse en arriver.
Dommage pour lui.
Mais en vérité, son échec est avant tout celui, infiniment plus lourd, de tous ces autres élus qui, de QS au PLQ en passant par le caucus caquiste et le PCQ, se sont activement ou passivement opposés au cégep français.
Dommage pour nous tous.
Maxime Laporte, président du Mouvement Québec français.