Dès le jour 1 de la campagne, le premier ministre du Québec a servi un avertissement aux chefs de partis fédéraux. Un événement rare. « Ce que je leur demande, dit François Legault, c’est de s’engager, pas juste pour l’instant, pour de bon, à ne jamais contester la loi qui interdit les signes religieux pour les personnes qui sont en autorité. »
Le chef conservateur Andrew Scheer jurant qu’il respecte la juridiction du Québec, et le chef néo-démocrate Jagmeet Singh ne pouvant prendre le pouvoir, M. Legault visait donc le chef libéral Justin Trudeau. Lequel, plus tôt, avait dit ceci : « Pour l’instant, nous trouvons que c’est contre-productif pour un gouvernement fédéral de s’engager directement dans cette cause ».
Craignant de voir le gouvernement libéral se joindre à des contestations judiciaires contre la loi 21 s’il est réélu, M. Legault ne digère pas ce « pour l’instant ». M. Trudeau n’a pourtant rien dit de nouveau. En juin, son ministre de la Justice, David Lametti, le disait déjà : « Pour l’instant, on va étudier la loi [...] et on va surveiller ce qui se passe sur le terrain ».
Dernier mot
Traduction : parce qu’il y a élection et que la loi 21, de toute manière, est déjà contestée par des citoyens, le fédéral ne fera pas de vague sur cette question sensible, mais pourrait se joindre à des contestations judiciaires lorsqu’elles monteront jusqu’en Cour suprême. Le dernier mot, lui, ira aux juges. Alors, pourquoi ce très sibyllin « pour l’instant » ?
Aux anglophones opposés à la loi 21, M. Trudeau leur laisse l’espoir d’une possible future intervention du fédéral en cour. En même temps, aux électeurs francophones, il se limite à répéter sa réprobation de la loi 21. Son pari est simple. Après tout, les Québécois savent déjà qu’un Trudeau, par nature, ne pourrait jamais approuver une loi passible de contrevenir à la Charte canadienne des droits. Au Québec, c’est du connu qui, en plus, n’empêche pas le PLC d’y mener dans les sondages.
Cela dit, François Legault est tout à fait libre de demander ce qu’il veut à son homologue fédéral. Son problème est qu’il n’a pas le pouvoir de l’obliger à obtempérer. Quand M. Legault lui sert que « c’est aux Québécois de choisir », il a raison, mais seulement en théorie.
Realpolitik
Dans la pratique, comme le rappelait hier mon collègue Joseph Facal, ce sont les juges qui décideront du sort de la loi 21. Qui plus est, des juges nommés par le fédéral. C’est la realpolitik canadienne. À force de répéter ici que le Québec est une « nation distincte », plusieurs oublient qu’en termes constitutionnels, il est une simple province. Pour le Québec, la Charte des droits canadienne ne tient pas compte de cette notion de « nation ».
C’est pourquoi la demande de M. Legault est un coup d’épée dans l’eau. Ce sera donc aux électeurs du Québec de trancher le 21 octobre. Chez ceux qui songent à voter libéral, l’opposition connue de Justin Trudeau à la loi 21 pourrait-elle les empêcher de le faire ? Jusqu’à maintenant, tout au moins, les sondages répondent non.