L’art de ne rien dire

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La peur des mots

Nous assistons à un étrange phénomène. Je l’appellerai le souci de ne rien dire ou l’art de ne pas nommer les choses. Plus simplement, on pourrait parler de la peur des mots. Celle, évidemment, des mots qui fâchent. S’agissant du terrorisme islamiste, qui fait des milliers de morts un peu partout dans le monde, cet art de ne rien dire atteint aujourd’hui, dans nos sociétés démocratiques, des sommets inégalés. Sans le savoir, nous sommes devenus des maîtres ès arts de la circonvolution, des champions olympiques de la périphrase.

Jugez-en par vous-mêmes. À l’occasion de la conférence internationale organisée par l’UNESCO, à Québec, sur Internet et la radicalisation, voici comment on présentait un atelier. Celui-ci devait porter sur « la manière dont la prévention de la radicalisation menant à la violence sur Internet se doit d’être pensée de façon pluridimensionnelle et mobiliser une diversité de partenaires afin de favoriser la création de partenariats multisectoriels et d’ainsi couvrir plus largement les multiples aspects du phénomène ».

On aura compris qu’il s’agissait surtout… de ne rien dire. De peur, probablement, que quelqu’un ou quelqu’une, une minorité ou un groupe, une « communauté », comme on dit aujourd’hui, se sente visée ou, pire, stigmatisée. On pourrait multiplier à satiété les exemples de ce genre, qui visent d’abord et avant tout à noyer le poisson. Que la chose vienne du monde universitaire passe encore. On pourra toujours invoquer le langage abscons de certains spécialistes. Mais qu’elle vienne du monde journalistique, dont la mission est justement de nommer les choses le plus précisément possible pour le plus grand nombre, dépasse l’entendement. Cela fait parfois penser à la fausse pudeur avec laquelle nos curés, dans les années 1950, tentaient maladroitement de parler de la sexualité.

Tout cela pour ne pas nommer un phénomène pourtant parfaitement documenté depuis des décennies : la montée d’un islamisme totalitaire qui, après avoir semé la guerre civile et fait des milliers de morts dans le monde arabo-musulman, rejoint aujourd’hui nos contrées, où il bouscule aussi bien les moeurs, la vie politique que la laïcité. Comme le disait cette semaine, dans nos pages, le chercheur allemand Günther Jikeli, si nous nous interrogeons aujourd’hui sur la « radicalisation », ce n’est pas parce que nous assistons à la montée d’un terrorisme vegan, écolo, nazi ou anarchiste. Si ceux-ci existent, ils demeurent marginaux. C’est plutôt parce que nous sommes devant une forme d’extrémisme musulman qui prêche les idées les plus rétrogrades et qui a fait pas moins de 250 morts en France seulement depuis un an et demi.

Or, à force de périphrases et de ce que l’islamologue Gilles Kepel qualifie de « cécité criminelle », à quoi assistons-nous, sinon au renversement de la charge de la preuve ? Lui-même s’est d’ailleurs retrouvé dans ce cas de figure. Interrogé par des journalistes du Bondy blog, un média sur Internet animé par des jeunes de la banlieue parisienne, il a dû répondre à des accusations permanentes d’islamophobie, au lieu d’expliquer le résultat de ses recherches. Un djihadiste écrase 86 hommes, femmes et enfants sur la promenade des Anglais, à Nice, et, quelques jours plus tard, toute une partie de la presse n’en a que pour la stigmatisation des musulmans. Un peu comme si, après une série de viols avérés, on s’inquiétait d’abord de la stigmatisation des mâles au lieu de rechercher les coupables et de dénoncer une idéologie délétère. C’est le monde à l’envers. Pourquoi ce qui vaut pour le viol ne vaudrait-il pas pour un policier qu’on assassine devant sa famille et un prêtre qu’on égorge dans son église ?
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