La future loi sur l’État et la laïcité provoque un débat politique qui rendrait inconciliables les différents points de vue sur le sujet. L’appui au projet de loi 21 (PL-21) se fait-il toujours pour les bonnes raisons ? Et les critiques envers le projet sont-elles toujours fondées ? Pour certains, il s’agit d’une suite logique de l’histoire du Québec. L’État québécois se donnerait une loi qui lui octroiera une couleur politique distincte en Amérique du Nord tout en permettant d’affirmer sa modernité. Pour d’autres, il s’agirait d’une menace reliée aux désirs d’hégémonie d’une majorité discriminant les minorités religieuses et reproduisant, par le fait même, les schèmes d’une société réactionnaire.
PL-21 a pour objectif de mettre des règles fixes pour certains employés de l’État. C’est — selon la perspective républicaine — ce que l’on nomme le droit de réserve, qui interdit toute forme de symbole politique ou religieux dans la pratique d’un métier de la fonction publique qui implique un rapport d’autorité avec la population. Dans une république, tout représentant de l’État doit refléter une image neutre. Il en irait ainsi de la confiance du public envers les institutions étatiques et du système démocratique dans lequel nous vivons.
Oser la question de la laïcité n’est pas raciste en soi, elle fait partie d’un processus ardu auquel une société moderne doit se confronter. Dans le cas d’un juge par exemple, il est loin d’être anodin d’exiger une neutralité absolue sur le plan des symboles religieux ou politiques. Cette remarque est également valide pour tout métier qui exige le port d’arme. Sur la question des enseignants, le débat reste ouvert… Mais rappelons que l’éducation universelle est, à l’origine, un idéal républicain qui consiste en une séparation nette entre les institutions scolaires et la religion ! L’école républicaine n’a pas pour finalité de mettre en valorisation les croyances religieuses, mais plutôt les valeurs républicaines.
Pour les opposants au projet, les inclusifs, PL-21 deviendrait une loi purement raciste en discriminant les minorités religieuses et irait à l’encontre des chartes canadienne et québécoise. Ainsi, on utilise la charte canadienne — dont Pierre Elliott Trudeau disait, quand il a rapatrié unilatéralement la Constitution, qu’elle serait bonne pour mille ans — pour contester, une fois de plus, le caractère distinct de la société québécoise. Cette critique du projet de loi sur la laïcité n’est pas sans rappeler le débat qui a eu lieu avec la loi 101.
Groupes minoritaires offensés
Selon l’idéologie du multiculturalisme, le projet de loi serait une offense envers les groupes minoritaires, et particulièrement les communautés religieuses. Et si nous osions penser PL-21 au-delà de la question du voile, de la tolérance et du racisme ? Selon les opposants au projet de loi, les femmes voilées deviendraient les principales victimes collatérales de la société québécoise en étant exclues de certains postes de travail dans la fonction publique. Elles seraient ainsi marginalisées en tant que musulmanes, mais également en tant que femmes. Mais dans les faits, le projet de loi n’a pas pour objectif de viser les femmes voilées, malgré ce que prétendent plusieurs personnes qui défendent le projet de loi. Et il est encore moins question de contrer l’immigration de masse.
Et pour les inclusifs et l’idéologie du multiculturalisme, la loi serait de nature discriminatoire, sexiste et raciste ? Mais toute forme de loi est discriminatoire en soi, car de l’ordre de l’interdit. La loi n’a pas pour but de donner des libertés, mais d’encadrer le vivre ensemble, notamment en limitant les libertés individuelles. Il y a donc un fossé entre un projet de loi qui doit encadrer le vivre-ensemble de type républicain et les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. Selon les opposants, les droits et libertés individuelles seraient beaucoup plus fondamentaux qu’une loi encadrant le vivre-ensemble. Mais dire d’une chose qu’elle est fondamentale ne règle aucunement la question et ne rend aucunement caduc l’esprit républicain !
Il faut donc cesser d’aborder la question de la laïcité sous l’angle de l’intolérance. Par conséquent, nous pouvons nous questionner sur la pertinence de recourir à l’idée d’un « indépendantisme non raciste » car, historiquement, le nationalisme québécois a toujours été, à l’exception de quelques mouvances recourant au chauvinisme qui sont demeurées marginales dans la société québécoise, moins prédominant que l’ouverture à l’autre. Comme le nationalisme ethnique (ou identitaire), ce type de « nationalisme » dit inclusif vient contredire l’esprit politique du projet d’indépendance du Québec mis en valeur depuis la Révolution tranquille.
Par la nature discriminatoire du projet de loi sur la laïcité, tant les partisans que les opposants défendent une perspective idéologique et, surtout, mimétique de la chose ! Pour certains, la loi permettrait d’affirmer leur racisme décomplexé (La Meute par exemple). Pour les autres, il s’agirait d’une loi qui mènerait le Québec vers la voie de l’intolérance. Et pourtant, la loi n’a aucunement pour objectif d’interdire le voile sur la place publique. La religion demeure une chose de l’ordre de la sphère privée, et l’État n’a pas à s’ingérer dans les pratiques religieuses.
Mais fondamentalement, PL-21 est un cadeau que nous faisons aux générations à venir, un projet de société qui vient embrasser les aspirations politiques d’un Québec moderne ! Nous ne savons pas de quoi demain sera fait, et ce projet de loi vient en quelque sorte solidifier les valeurs républicaines que nous voulons transmettre, en tant que société, aux générations futures. Et ces valeurs ne sont pas du tout de l’ordre de l’intolérance et du racisme.