« C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. Mais l’important ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. »
— La Haine, Mathieu Kassovitz, 1995, Hubert Koundé
Cinq petits jours après le tsunami politique du 2 mai dernier, l'une des principales préoccupations de Pauline Marois était de signaler publiquement à François Legault qu'il était « toujours le bienvenu au Parti québécois » qui incarne selon elle le « camp du changement ».
Deux jours après la démission de quatre députés péquistes, tout ce que Pauline avait à dire
pour détourner l'attention est « qu'elle était prête à passer l'éponge et à réintégrer les députés indépendants Pierre Curzi, Louise Beaudoin et Jean-Martin Aussant ». Mais pas Lisette Lapointe, qui ne serait « pas bienvenue ». Autrement dit, elle la congédie... après sa démission! Édifiant.
D'un tsunami à l'autre, madame Marois perd des joueurs. Curzi, Beaudoin, Lapointe et Aussant suivent Turp, Legault, Facal et de nombreux organisateurs et militants. D'un sondage à l'autre, ses appuis s'effritent si bien qu'aujourd'hui, près de 40 % des Québécois qui se disent souverainistes ne trouvent plus leur maison assez attrayante pour vouloir s'y installer à la prochaine élection . Sans domicile fixe, sans un parti pour pousser une souveraineté pleine et entière, sans scénario politique stimulant devant eux, ils cherchent une solution. Une fuite en avant. Et depuis longtemps d'ailleurs.
La politique des faits accomplis
Ce n'est pas parce que Bernard Drainville affirme que la crise est passée et que l'unité du parti est refaite que l'unité est refaite. Le contrat entre la ville de Québec et Quebecor ainsi que les tentatives d'écarter toute contestation citoyenne ne sont pas anodins, mais plutôt symptomatiques. Ils cristallisent un malaise profond, une crise de confiance, une crise de la démocratie et des institutions stimulées par madame Marois. En ne consultant pas son caucus avant d'aller de l'avant avec un projet de loi privée, madame Marois n'a que confirmé la tendance selon laquelle elle mène une politique des faits accomplis. Et la suite des choses confirme aussi sa propension naturelle à la politique du ressentiment.
À commencer par son leadership. « Si on me choisit comme cheffe de ce parti, c'est aussi cette orientation-là que l'on choisit », disait Pauline Marois en 2007 pour justifier sa proposition de mettre de côté l'échéancier référendaire. Or, justement, en 2007 seulement 140 personnes sur 56 000 membres ont sacré madame Marois leader, faute de candidatures nouvelles, faute de mieux. Les membres n'ont pas pu, au moment des faits, valider le leadership de Mme Marois, mais ils n'ont jamais non plus pu accepter démocratiquement les objectifs (qui ont d'ailleurs souvent été présentées comme des « conditions ») qu'elle se donnait et donnait du coup au parti.
De 2007 à 2011, Pauline Marois a fait en sorte que les membres n'ont pas pu s'ajuster démocratiquement à son arrivée. En effet, elle a reporté toute condition démocratique à plus tard. En 2009, le Congrès national du parti était censé se réunir, mais, ô beau prétexte, le cahier de propositions n'était pas prêt et l'argent manquait.
À l'époque, on ne pouvait réellement prendre toute la mesure de ce report. Aujourd'hui, c'est une réalité : les membres ont été placés devant des faits accomplis. Ainsi, réduits à un vote de confiance qui s'est déroulé en une très délicate période électorale fédérale, ils n'ont jamais pu choisir ce leadership ni ces orientations... seulement le valider après coup. Dans un contexte où chaque délégué fut soigneusement trié, madame Marois a marchandé des positions. Le principal marchandage (la langue française dans les cégeps) ayant été réalisé dans le dessein d’obtenir l’appui de Pierre Curzi et Louise Beaudoin, qui ont tous les deux aujourd’hui quitté le caucus.
Pour résumer, en 2007, Pauline Marois est devenue leader par défaut. Elle a proposée une stratégie par défaut, la gouvernance souverainiste. Et en 2008, elle a regagnée l'Opposition officielle par défaut, sur les cendres encore chaudes de la déconfiture adéquiste. Elle a gagnée son vote de confiance par défaut, faute d'avoir vraiment débattu de son leadership et de ses orientations. Et elle espère former le prochain gouvernement... par défaut, faute de proposer une souveraineté pleine et entière.
La politique du ressentiment
En plus de la politique des faits accomplis, une politique du ressentiment semble être conduite par madame Marois et son entourage, ce qui ressemble de plus en plus à une chasse aux sorcières.
Le 14 mars 2010, l'exécutif national du Parti québécois a exclu de ses rangs le SPQ-Libre, un club politique de gauche. Motif : prompt à contester Mme Marois, il était devenu un boulet pour elle et le parti.
Plus tard dans l'année, Mme Marois a unilatéralement mis fin à la Mission souveraineté de l'aile parlementaire du Parti québécois (dont les quatre députés démissionnaires étaient membres), où l'on y échangeait de la place de la souveraineté dans la future plate-forme électorale devant être votée... au Congrès 2011! Aucune justification n'a été donnée. Pouf, plus de mission, voilà tout. Et avec sa disparition, plus de discussions.
Le 1er novembre 2010, 50 jeunes ont signé une lettre pour dénoncer le projet de gouvernance souverainiste ainsi que le leadership de Mme Marois. 39 d'entre eux étaient éligibles à devenir délégués au Congrès 2011 et à y voter. Trois d'entre eux seulement ont réussi à se faufiler jusqu'au Congrès d'avril. Pire, la réplique de madame Marois a été cinglante : « Il n'y a rien qui va me faire revenir sur le fait qu'on remette en question la stratégie [de la gouvernance souverainiste] ». Encore une fois, fin de la discussion. La job de réflexion est faite, la discussion est supprimée. Et la politique du fait accompli se poursuit.
Enfin, à la fin de 2010, Mme Marois a posé un geste pour le moins inquiétant au cours d'un caucus à huis clos des députés du Parti québécois. Mécontente de la proposition Crémazie portant sur la mise à jour des études sur la souveraineté et leur suivi via les instances du parti, que présentait la députée Lisette Lapointe, Pauline Marois a lancé : « Au sujet de cette proposition, soit que vous êtes d'accord avec moi, soit que vous êtes contre moi! ». Aussitôt, un lourd et sourd malaise s'est installé autour de la table. Depuis, même ceux qui étaient d'accord avec mme Lapointe se sont tenus cois longtemps. En somme, Mme Marois a fait d'une proposition de contenu une question de confiance... avant même son vote de confiance. Cela a eu pour effet de neutraliser tout débat... à l'approche du Congrès! Et voilà qu’elle recommence avec le projet de loi 204…
Alors, quand on l'entend utiliser ses accès aux tribunes publiques et médiatiques pour reprocher à Lisette Lapointe de n'avoir jamais accepté le rejet de sa proposition de mettre le pied sur l'accélérateur avec la création d'une commission permanente de préparation à la souveraineté, madame Marois sait très bien que c'est elle, en muselant ses députés, qui a crée les conditions du débat menant au Congrès. Elle a poussée cette manie du contrôle et cette politique du ressentiment jusqu’à faire convoquer madame Lapointe et trois membres de son exécutif de circonscription, dont j’étais, dans une séance frisant l’inquisition… à seulement quatre jours du Congrès!
Le devoir de dissidence
Clairement, quelque chose ne fonctionne pas ou ne fonctionne plus au Parti québécois. Il y a eu une brisure en chemin, qui est source de désengagement. Une cassure qui met beaucoup de choses en péril pour ce parti et pour notre option. Est-ce la mise en veilleuse? Une mauvaise compréhension des besoins des Québécois? Le type de nationalisme qui est prôné? Le manque de discussion et l'unilatéralisme? Peu importe, c'est le devoir de tous les membres d'y regarder de plus près et de décider de la suite des choses. Pas seulement aux députés. La poursuite de la lutte et la nécessité évidente de la garder vigoureuse, exige le sens du devoir.
Après Legault, Curzi, Lapointe, Beaudoin et Aussant, qui sera le prochain déserteur à se faire illusoirement rappeler? Manifestement, c’est l’histoire d’une femme qui chute dans l'opinion publique. Au fur et à mesure de sa descente, elle se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien...
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5 commentaires
Archives de Vigile Répondre
10 juin 2011Alors maintenant, chers compatriotes, maintenant que le mur se fend et que les torrents pénètrent... on fait quoi?
Maintenant que la femme tombe et que la fin est inévitable... Qui se relèvera après la chute? Il est grand temps que le PQ redevienne un parti d'idéaux, un parti de vision. Les X et les Y doivent prendre la relève.
Un grand homme à déjà dit qu'il vient un temps où le silence est une trahison. Ce temps, notre temps, c'est maintenant.
(Note: excellent texte Jocelyn, j'adore)
Stéphane Russell Répondre
10 juin 2011Pourquoi appuyer un parti infidèle? Le PQ venait tout juste de donner un puissant vote de confiance à Mme Marois. On voit ce que cette confiance peut valoir.
Pour ma part, je le suis fidèle. Je me suis engagé à voter PQ aux prochaines élections. Mais c'est au PQ de Mme Marois que je le promettais. Je ne lui demande pas d'être un chef parfait et soumise à des gens qui paniquent à cause de la dégelée du Bloc à Ottawa. J'accepte de voter pour un parti social-démocrate même si je suis contre ce système, par ce que je désire appuyer l'indépendance.
Mais voilà que les partisans de la sociale démocratie disent: bye bye Pauline, parce qu'apparament eux n'ont pas à mettre de l'eau dans leur vin souverainiste.
Pour ma part, mon engagement ne tiens qu'avec Mme Marois comme chef, car contrairement à plusieurs, mon appui est indéfectible quand je l'ai donné. Le temps d'un mandat, peut-être deux. Sinon, à quoi bon élire un chef quand c'est un pantin que l'on veut?
Depuis longtemps on se moquent de notre tendance à couper cavalièrement la tête des chefs souverainistes. Avec raison. Comme Vercingétorix qui a perdu une Gaule indisciplinée à Rome, par son incapacité à se laisser gouverner par lui, nous n'irons nulle part avec une telle attitude.
Mais ne me croyez pas, moi je ne suis personne. Voyez donc par vous même, cette bande de gaulois écervelés au travail. Pendez-là dit le colonel Brown. Linchez-là répondent les souverainistes!
Pour ma part, ma loyauté va au chef actuel. Elle a tout ce qui faut pour être élue et mener le Québec, et pour le diriger sûrement vers l'indépendance. Montre-moi que tu sais gouverner ta maison, et je te confierai la mienne. Et quelle maison elle a!
Si donc elle est renvoyée du PQ, mon engagement ne tiendra plus. Je suis fidèle et j'annulerai alors mon vote aux prochaines élections. Je refuse de donner mon vote à des gens qui travaillent dans le dos de leur collègues, et je ne donnerai pas mon vote au pantin qu'il se choisiront.
Archives de Vigile Répondre
9 juin 2011Pour illustrer le texte fort éclairant de Jocelyn Dubé, il y a l'intro de « La Haine » de M. Kassowitz ici :
http://www.youtube.com/watch?v=RLIH4rFJe6s
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Archives de Vigile Répondre
9 juin 2011Comme je ne milite plus au PQ depuis Boisclair et Marois, il y a certains faits qui m'ont échappé. Vous les étalez et c'est très bien.
J'ajoute que Pauline Marois a violé de façon flagrante, dès son arrivée en poste en 2007, l'ordre donné par le Congrès de 2005 de préparer et de présenter à la population un "projet de pays" avec un budget d'un Québec souverain lors de l'élection et de le faire suivre d'un référendum rapide.
En plus, Pauline Marois a été le premier chef à faire modifier l'article 1 du programme (réaliser la souveraineté du Québec) lors d'une réunion du Conseil National en mars 2008, en prévision des élections de décembre 2008.
Elle a été la première dissidente au pouvoir du Parti québécois de façon aussi flagrante entre 2007 et le congrès de 2011. Aujourd'hui, elle refuse toute dissidence malgré le droit à la dissidence inscrit en lettres d'or dans les statuts.
Archives de Vigile Répondre
9 juin 2011Mme Marois a pris le PQ très endetté en 2007 et a réussi à tout payer et à accumuler des fonds au parti avec des campagnes de financement efficaces.
Mme Marois a pris le PQ à 28 % des votes avec 36 députés en 2007 pour l'augmenter à 51 députés avec 36 % des votes en 2008.
Un récent sondage indique que Québec solidaire passe à 17 % pendant que le PQ baisse à 28 %, ce qui fait 45 % d'intentions de votes pour les partis souverainistes, probablement à cause de l'affaire de l'amphithéâtre de Québec avec M. Khadir, très populaire, comme redresseur de torts qui n'a jamais gouverné.
Le PQ et Québec solidaire sont partis pour se nuire mutuellement en s'arrachant les clients "votes".
Un ou une chef de parti ne peut pas contrôler le monde entier. Hitler a tenté la chose qui a mal fini pour lui.