J'attends le réveil

Notre devoir est de se réveiller. Pas d'assassiner des chefs.

30 octobre 1995 - il y a 15 ans

Nous sommes le 30 octobre 2010. Il y a 15 ans, jour pour jour, les Québécois se disaient non une seconde fois. Brutale, l'onde de choc a été ressentie tout ce temps. Si bien qu'aujourd'hui, le discours souverainiste a pris beaucoup de plomb dans l'aile. Analyse.
« Si on laisse tomber la souveraineté, on laisse tomber notre rapport de force avec Ottawa et la meilleure police d'assurance qu'on n’a jamais eue au Québec », écrivait lundi Bernard Drainville. « On a trop utilisé ces dernières années la souveraineté comme une sorte de drapeau, de hochet que de temps à autre on brandit devant les militants pour les tenir tranquilles », disait mercredi l'ex-premier ministre du Québec, Jacques Parizeau. « Le peuple a perdu le goût d'avancer [...] et peut-être même perdu confiance en lui » confiait vendredi l'ex-ministre péquiste Joseph Facal. « Je ne crois pas que le travail militant rende possible un référendum gagnant sur la souveraineté à court terme », ajoutait-il.
Beau résumé des choix qui s'offrent à nous, 15 ans plus tard. Déterminé, Parizeau choisit d'attaquer un problème. Déprimé, Facal choisit la fuite. Contraint au contexte partisan, Drainville choisit la diversion. L'attaque, la fuite, la diversion, c'est tout l'éventail des réactions humaines devant un danger. Au PQ, ça se traduit entre « purs et durs », « déprimés durs » et « durs à suivre ». Excellente synthèse aussi des voies à choisir pour demain : la lutte nationale, l'abandon ou la gouvernance souverainiste?
Du choix qui sera fait, sans doute en avril, découleront peut-être dix à quinze années de notre vie politique, si l'alternance a cours. Un pays pourrait naître. Un mouvement pourrait aussi mourir. Devant un tel carrefour, nous avons parfaitement le droit de nous arrêter un moment et d'y penser comme il faut. De questionner, débattre, même vigoureusement. Aucune chicane de péquistes là-dedans ou d'assassinat de chef, mais une simple et très saine remise en question. Un seul devoir doit nous habiter cependant, celui d'être responsable dans le débat, responsable de notre marche dans l'Histoire.
Le parti auquel j'adhère m'envoie à l'heure actuelle plusieurs signaux. Primo, il semble réduire la portée de la souveraineté à un simple rapport de force. Ça m'embête. Secundo, il se concentre beaucoup sur les raisons circonstancielles de faire l'Histoire et peu sur les raisons fondamentales. À ce sujet, les conférences de l'ABCD de la souveraineté sont éloquentes. La souveraineté y est réduite souvent aux seuls arguments administratifs et économiques (le partage des pouvoirs, le développement économique inégal, la régionalisation économique, le « défavoritisme » des aides fédérales, le CRTC, l'harmonisation des taxes, le déséquilibre fiscal, etc.). Tertio, le parti ne réussit pas tout à fait à capitaliser sur un gouvernement empêtré dans des scandales de corruption et des allégations de favoritisme autant à Ottawa depuis 2000 qu'à Québec depuis 2007.
Je regarde l'appui à l'option souverainiste depuis 1995 et je trouve cela désolant. Les écarts s'accroissent entre l'appui au fédéralisme et à la souveraineté, au profit de la première option. Les fréquences des remontées souverainistes s'étirent dans le temps. Depuis 1997, la souveraineté n'a été en avance qu'une seule fois, pendant les révélations entourant le scandale des commandites. Aujourd’hui, le PQ stagne après une remontée depuis 2007 et la chef est moins populaire que son parti. Notre gouvernement s’empêtre dans tout avec pour toile de fond les gaz de schiste et la corruption, mais le PQ n’arrive pas à capitaliser. Le sentiment d'étiolement est tenace. Dès qu’une ombre plane, qu’une rumeur circule, elle mène les sondages.
Rien d'étonnant sans doute. Quand on ne travaille pas la pâte comme il faut, il ne faut pas s'étonner si elle ne lève pas. À quoi bon jouer les surpris ensuite quand un intrus parle de s'installer dans votre cuisine. Inutile de jouer les Don Quichotte pour défendre le royaume ensuite. On appelle pas les gens à ne pas abandonner le navire lorsqu'on abandonne des pans entiers de notre pensée discursive.
Quinze ans plus tard, je me demande pourquoi on parle aux Québécois comme si c'était un immense fonctionnariat, dont la seule perspective serait de bien huiler la machine de leur état sur le plan administratif et économique. Je me demande quelle souveraineté on vend. Celle du peuple ou de l'état? Il me semble que pour obtenir la seconde il faudrait convaincre le premier. Et aborder toutes les dimensions du projet de pays.
Où sont passées en effet dans notre discours les autres dimensions fondamentales de notre lutte qu'elles soient philosophiques, linguistiques, culturelles, historiques, sociologiques, politiques? Si la langue française est défendue, on ne parle plus autant de la nécessaire égalité entre nos deux peuples, de l'émancipation, la reconnaissance, la protection, la représentativité et la solidarité. Le principe même de la nation n'est plus vraiment évoqué.
Pourquoi on ne parle plus de légitimité? Où est passée la raison constitutionnelle? Après tout, nous vivons encore par acquis dans ce pays. Pas par consentement inscrit dans une loi fondamentale reconnaissant tous les aspects cités plus hauts. Exclus en 1981, ignorés en 1982, rejetés à Meech, rejetant Charlottetown, remis au pas avec la Loi sur la clarté, les Québécois ont vu leur « société distincte » diluée dans la Déclaration de Calgary avec une simple référence au « caractère unique de la société québécoise » et une fausse reconnaissance du gouvernement Harper ensuite. Malgré beaucoup de tentatives nous n'avons jamais été et nous ne serons jamais légitimement reconnus du reste du pays. Alors, pourquoi cesser d’en parler? La crise est toujours là. Pourquoi avoir si peur d'aborder ces questions?
J'écoute sur YouTube un discours datant de 1968 de René Lévesque et un autre de 1971 de Pierre Bourgault et je me demande ce qui nous a brisés dans notre élan. Lévesque et Bourgault faisaient en quelque sorte de la psychologie populaire. Ils insufflaient la confiance, parlaient de raisons fondamentales de faire l'Histoire. En 1968, Lévesque traitait de la peur de l'avenir et appelait les gens à se faire confiance. Il les prenait par la main, leur disait qu'il faut se « regarder en nous-mêmes ». Bien avant Barack Obama, le nous sommes capables émaillait son discours, « nous sommes capables de mener notre barque », « nous sommes capables d'afficher une claire responsabilité de nous-mêmes » et « nous sommes capables de ce libre-choix collectif ». Bourgault, lui, parlait d'audace, de la nécessité pour gagner la confiance des Québécois de se montrer transparents en toutes circonstances. Il disait à juste titre : « À quoi cela nous servirait-il d'avoir les meilleures solutions si toujours nous les retenons pour nous-mêmes de craindre d'effrayer des électeurs ici ou là? À quoi cela nous sert-il d'avoir le meilleur parti si nous n'osons pas, partout à travers le Québec, nous présenter tels que nous sommes sans toujours cacher des idées ou des hommes dans le garde-robe »? Rien, mais absolument rien à voir avec l'ABCD de la souveraineté. Rien non plus à voir avec la gouvernance souverainiste.
Travailler les aspects fondamentaux, emmener les gens à se faire confiance, c'est marcher avec le peuple, c'est avancer dans l'histoire avec lui. Et ça rapporte : de 8 % qu'elle était en 1968, l'option souverainiste a grimpé jusqu'à 42 % en 1980. Un bond spectaculaire que n'a même pas égalé la mort de l'Accord du lac Meech.
À l'heure actuelle, le projet de gouvernance souverainiste, qui fait stagner l'option, nous offre une stratégie passive. Au diable, nous dit-elle, la stratégie ouverte de 1995 avec une date fixe sur un référendum et une démarche claire et limpide, la stratégie qui nous a menées le plus près du pays. La gouvernance souverainiste mise sur un build-up, sur le refus de l'autre à nos projets, refus sur lesquels les stratèges actuels espèrent sans doute bâtir un momentum menant au pays. Mais pourquoi chercher ce refus? Nous l'avons déjà vécu plusieurs fois. Pourquoi s'imposer d'autres insultes? Et pourquoi les adversaires de la nation québécoise lui accorderaient quoi que ce soit de substantiel? C'est tout l'esprit de la fausse reconnaissance de Harper et de la Déclaration de Calgary. C'est comme si le ROC se disait depuis 1995 : « Surtout, ne refusez plus rien, mais ne donnez rien non plus... ou presque rien ». Non, oubliez la moisson de cette gouvernance souverainiste, elle sera mince. Car elle nous propose de construire notre habitation sur une fondation lézardée, en attendant de la refaire.
C'est sur nous qu'il faut miser. Nous voulons un lieu à nous. Un petit ersatz de liberté. Un espace pour fabriquer notre prospérité et notre postérité. Un endroit d'où parler au monde des grands enjeux de notre temps, de notre vision, de ce qui nous préoccupe.
Ce « quelque chose de commun et de public » nous a toujours unis depuis notre arrivée sur ce territoire, un sentiment de grandeur privée. Bien avant 1763, nous formions une sorte de république. Nous étions un « nouvel univers, où le genre humain recommence », écrivait de nous Chateaubriand. Depuis la Révolution tranquille, nous avons transposé cela en réussite économique. De la terre que nous avons défrichée, nous nous sommes mis à élever des cathédrales, à jeter des ponts, ériger des barrages, dresser des chapiteaux. Du travail de la terre, de la patience de nos hivers, nous avons traversé le temps. Nous avons réussi cela, car les individus qui composent notre société sont des gens libres et forts. Notre devoir et en même temps notre lutte avec nous-mêmes est de transformer cette liberté individuelle en liberté collective. Sans quoi, nous risquons d'être en effet « un peuple sans histoire », comme disait lord Durham. Nous risquons en effet de mourir impuissants et frénétiques, comme disait Chateaubriand, parce que nous ne nous logeons pas dans une constitution, dans une assemblée qui nous rend pouvoir, nous munit d'une volonté, nous attache une langue institutionnelle et des bras. Toutes les Amériques sont républicaines, sauf nous. Serons-nous distincts jusqu'à notre mort, où serons-nous libres un jour? Ferons-nous un jour ce pays ou resterons-nous dans cette fausse imitation coloniale?
René Lévesque disait : « Nous sommes peut-être quelque chose comme un grand peuple ». Au pied d'un empire, nous n’avons jamais lâché. Avoisinés par une démographie écrasante, nous tenons encore debout. Conquis puis dominés puis soumis, nous sommes encore là, sans doute « immobile et craintif », nous dirait Dédé Fortin, mais nous sommes bien là. Nous avons résisté au temps, à l'abandon, à deux régimes, trois lois constitutives, un exode massif et une révolution avortée. Face aux vents mauvais, le peuple québécois s'est toujours montré droit comme un I. Je ne vois pas pourquoi, dans la situation, on abandonnerait ou ferait diversion. Pour nous, il ne peut y avoir d'existence sans résistance.
Pierre Bourgault disait : « La respectabilité, ce n'est pas une image. C'est ce à quoi on arrive quand après des années on se retrouve fidèle à ses objectifs du début, fidèle à ses principes du début et fidèle à ses rêves du début. »
Où est passé notre rêve? Il n'y a pas de stratégie ouverte, mais une stratégie passive. On ne mise plus sur nous, mais sur le refus de l'autre. On ne nous parle plus de ce que nous pouvons faire comme peuple, mais de ce que notre état pourrait faire sur le plan administratif ou économique. Une stratégie fait confiance aux gens, l'autre s'en méfie; l'une est transparente, l'autre dissimule; l'une force à s'expliquer, l'autre encourage à en dire le moins possible; l'une provoque les événements, l'autre les attend; l'une a toujours gagné des adhérents, l'autre stagne.
Alors, ne réduisons plus la souveraineté à un simple rapport de force. Remettons-nous à nous parler de nous, à nous insuffler la confiance, à nous en expliquer la lutte très universelle qui est la nôtre. Notre peuple a le droit d’avoir trébuché dans sa marche dans l’Histoire, cela ne fait pas de lui un peuple désintéressé de lui-même. Faisons appel à nos vertus fondamentales, à l'effort, la patience, la responsabilité, le travail, la famille, le devoir, la liberté, l'équité, l'égalité, la justice, la fraternité et l'honneur. Faisons appel au meilleur de nous-mêmes. Après tout, si les habitants du pays le plus puissant du monde ont suivi une personne qui leur disait de se faire confiance, pourquoi nous, qui avons un pays à faire dans l’environnement géopolitique et géolinguistique qui est le nôtre, pourquoi avons-nous cessé de donner confiance.
« Il faut transformer le rêve en projet », affirme Jacques Parizeau. « Il faut retourner à la pédagogie ». Il n'a pas tort. Il nous appartient de se montrer la route collective, de réapprendre ensemble à marcher dans l’Histoire. René Lévesque et d'autres nous ont éveillés à nous-mêmes. Notre devoir est de se réveiller. Pas d'assassiner des chefs.
Alors au diable, le discours actuel. Ce dont nous avons le plus urgemment besoin est un défi de contenus, celui de recentrer notre discours. Au diable, l'administration et l'économie – c'est important certes, mais les véritables conditions gagnantes ne sont pas dans le refus du Canada, ni dans la gouvernance souverainiste, ni dans le rapport de force ou le hochet. Elles sont en chacun de nous. Et dans la confiance que nous placerons en nous-mêmes. Non, le peuple n'a pas perdu le goût, il n'a pas perdu espoir comme Joseph Facal. Il a juste un peu perdu ses moyens depuis 1995.
J'aimerais bien sonner le réveil moi-même. Mais qui suis-je pour y arriver? Alors, j'attends le réveil tout en donnant le meilleur de moi-même. Alors, quelqu'un va-t-il le sonner un jour?
Jocelyn Desjardins
P.-S. Au fait, on a beau pousser des hauts cris lorsqu'un magazine prétend que la corruption est intrinsèquement québécoise. On oublie de rappeler que les scandales récents nous enseignent qu'au Canada, le vice n'a pas de territoire provincial ni de peuple, mais une allégeance.


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    31 octobre 2010

    Monsieur Desjardins
    J'aime beaucoup votre expression "stratégie passive" en parlant de celle du PQ. Ce parti et celui du Bloc auraient avantage à harmoniser ensemble leur stratégie politique qui envoie un message contradictoire aux Québécois lorsque Duceppe dit que nous n'avons plus rien à attendre du Canada tandis que Marois de son côté est prête à négocier des ententes administratives avec le gouvernement fédéral advenant qu'elle prenne le pouvoir à Québec. Qu'ils se branchent ces deux dirigeants politiques afin d'envoyer un message clair au peuple québécois qui n'est pas dupe de leurs manigances politiques afin de maintenir le statu quo actuel qui nous mènera à la longue à notre assimilation et à notre disparition comme peuple. Être ou ne pas être, voilà le problème fondamental !!! Excellent texte! Il m'a fait plaisir.
    André Gignac patriote le 31/10/10

  • Lise Pelletier Répondre

    30 octobre 2010

    Bonsoir M. Desjardins,
    Je me propose de revenir à votre texte bientôt, je peux déjà dire qu'il est très intéressant.
    Pour le moment, je crois qu'il est important de vous dire que le réveil a sonné, le réferendum est maintenant sur la sellette suite au colloque sur l'évolution de la question nationale à Montréal.
    Quelque chose comme un grand peuple
    Inutile de vous dire que j'attends ce moment depuis longtemps, j'en suis très heureuse.
    J.J. Charest a déjà réagi sur les ondes..
    oui le réveil a sonné enfin
    Lise Pelletier

  • Archives de Vigile Répondre

    30 octobre 2010

    Vous avez raison sur la question du changement des questions dans les sondages. Je le savais et j'ai juste oublié de le mentionner.

  • Archives de Vigile Répondre

    30 octobre 2010

    Je partage en grande partie votre réflexion, notamment sur la gouvernance souverainiste, qui, à mon sens, n'est que la prolongation de ce qui se faisait déja du temps de Duplessis ou de Lesage. On se demande pourquoi il faudrait refaire cet exercice encore et encore, plutôt que de passer à la suite logique des choses.
    Votre exposé sur les trois tendances, attaque, fuite et diversion, est brillant, et le choix des personnages pour les incarner est judicieux.
    Vous dites que les sondages sur l'évolution de l'appui à la souveraineté depuis 1995 vous désolent, mais vous affirmez qu'en défendant mal son option, il va de soi que celle-ci suscite moins d'adhésion.
    J'aimerais ajouter quelques éléments là-dessus -- je précise que j'ai beaucoup étudié la tendance dessinée par un éventail exhaustif ces sondages --. Au delà de la façon dont on " vend " l'indépendance, n'est-il pas normal que, lorsqu'une option n'est même pas au menu politique du jour, beaucoup de gens, sans même la juger valable ou non, ne la considèrent pas comme étant un choix pertinent ?
    Du reste, les sondages ne disent pas tout, et je suis d'avis que plusieurs indices tendent à laisser croire que, même mise en veilleuse, l'idée de l'indépendance continue, de façon latente, de faire son chemin dans l'esprit des Québécois, conjointement avec une certaine cristallisation de notre sentiment national.
    Notons aussi que depuis 2006-2007, les principaux sondeurs ne font plus allusion au partenariat dans leurs questions, ce qui, historiquement, a habituellement produit des résultats plus bas pour le OUI. Par ailleurs, les plus récents sondages montrent environ 42% pour la souveraineté, alors que quelques semaines avant le référendum de 1995, la souveraineté-partenariat obtenait ce même score.
    En fait, durant l'année 1995, les sondages sur l'idée de souveraineté pure et simple, sans référence au partenariat, donnaient dans les 35% à 42% au OUI, ce qui est remarqueblement semblable aux chiffres actuels, sinon un peu plus bas.
    Je ne suis donc pas certain que les données de sondages puissent permettre d'affirmer hors de tout doute que l'écart s'agrandit de façon significative entre " fédéralisme " et " souveraineté " depuis une quinzaine d'années.
    Merci de me lire,
    N.P.