L'année 2008 sera-t-elle marquée par l'explosion des publications indépendantes sur Internet? En tout cas, les projets se bousculent.
Le dernier en date, ProPublica, est vraiment au coeur de la réflexion sur le journal de l'avenir, et sur l'information en ligne. Ce projet de journalisme américain d'enquête avait été annoncé l'automne dernier, mais on peut maintenant en connaître plus sur son site Internet temporaire. Le journal doit officiellement être lancé cet hiver.
Le projet n'est pas banal. Il est dirigé par Paul Steiger, un ancien rédacteur en chef du Wall Street Journal, un homme d'expérience très impliqué dans la défense des journalistes et de l'information. Le projet est financé par plusieurs fondations et organismes philanthropiques, dont la Sandler Fondation, au coût total de 10 millions.
ProPublica sera un journal exclusivement diffusé sur Internet, et exclusivement consacré au travail d'enquête, avec une rédaction d'environ 25 journalistes et recherchistes. Pas d'information continue, pas de nouvelles «people», mais plutôt des enquêtes pures et dures, consacrées surtout au monde des affaires et au gouvernement. Des enquêtes qui veulent soulever un débat public.
Les dirigeants de la publication affirment que l'enquête est maintenant vue comme un luxe chez les grandes entreprises médiatiques, plus préoccupées par les profits et les marges bénéficiaires. D'autant plus que l'enquête journalistique demande du temps et de la patience, et qu'elle comporte toujours un risque, puisque des recherches de plusieurs semaines autour d'une piste prometteuse peuvent se terminer en queue de poisson.
Les dirigeants du projet sont également d'avis que très peu des plates-formes de diffusion de l'âge Internet, qui se multiplient, proposent des reportages véritablement originaux (on ne parle pas ici de centaines de milliers de site Internet où c'est l'opinion express et le point de vue tranché qui priment...). «Les sources d'information prolifèrent, mais les sources concernant les faits sur lesquels les opinions sont basées rétrécissent». écrivent-ils. Intéressante citation.
On verra ce que ça donnera à l'usage, mais ce qui me frappe dans cette histoire, c'est aussi la multiplication des nouveaux «journaux» sur Internet, dans le contexte des difficultés économiques vécues par la presse traditionnelle.
On a quelquefois évoqué ici le projet MediaPart, une publication Internet qui doit être lancée d'une semaine à l'autre en France par Edwy Plenel, l'ancien rédacteur en chef du Monde, qui veut regrouper une trentaine de journalistes en réalisant, lui aussi, de grandes enquêtes, et qui se veut une publication véritablement indépendante.
Une rumeur circulait même récemment selon laquelle Jean-Marie Colombani, l'ancien directeur du Monde, songerait lui aussi à créer son propre journal indépendant sur le Web! Un peu partout dans le monde, des journalistes expérimentés veulent faire le saut sur le Web, pour toutes sortes de raisons: nouveaux défis à relever, insatisfaction envers les médias traditionnels, nobles idéaux journalistiques, désir de prendre le train d'Internet en marche et ainsi de suite.
Remarquez que, même si ce phénomène se produit ailleurs, on n'a pas encore entendu parler au Québec de grand site Internet indépendant viable qui serait créé par des transfuges connus du Devoir, de La Presse, de Radio-Canada, de TVA ou d'ailleurs. Ce seront peut-être de jeunes journalistes audacieux qui réussiront, mais on peut gager que la fragilité économique du modèle à mettre en place y est pour quelque chose.
Car tous ces sites tâtonnent entre différents modèles possibles, et oscillent entre l'accès gratuit et l'accès payant, entre la publicité et le financement par le plus grand nombre de groupes ou d'individus.
On présume que ProPublica sera d'accès gratuit, quoique ce ne soit pas encore précisé. MediaPart, lui, tente de recueillir quatre millions d'euros auprès de différents groupes et particuliers et prévoit faire payer un abonnement de neuf euros par mois à ses lecteurs.
Rue89, ce journal créé par quatre anciens de Libération sur Internet, a fait le pari de la gratuité. Pari non encore gagné, même si le site fait sensation chez les internautes: deux campagnes de financement ont permis d'amasser 380 000 euros, mais Rue89 aurait besoin de trouver deux millions pour véritablement se développer et rembourser la mise de fond des fondateurs.
Le modèle demeure fragile chez les indépendants, mais il l'est tout autant chez les grands médias, qui n'arrivent pas, eux non plus, à se brancher clairement entre gratuité et abonnement.
En achetant le Wall Street Journal, Rupert Murdoch avait fait sensation l'année dernière en affirmant son désir de rendre le site gratuit. Tout un revirement vendredi dernier, alors que Murdoch déclarait que le Wall Street Journal en ligne demeurera en partie payant (l'abonnement annuel passerait même à 119 $ en mars), mais sa partie gratuite sera «étendue et améliorée», promet-il. On demeure encore pour un bout de temps dans une période de transition, entre journaux traditionnels en crise budgétaire, et nouvelles publications sur Internet qui ne peuvent pas encore prendre leur plein envol.
pcauchon@ledevoir.com
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