Même s’il n’était pas encore au PQ en 1985, Jean-François Lisée connaît bien son histoire et ses sautes d’humeur. Il sait parfaitement ce qui est arrivé à Pierre Marc Johnson quand Jacques Parizeau l’a accusé d’en avoir fait un « parti de cul-de-jatte » en reniant ses deux principes fondateurs : la souveraineté et la social-démocratie.
À l’époque, M. Johnson avait mal mesuré la précarité de sa situation, alors que le PQ avait été rejoint dans les sondages par le NPD-Québec, qui n’avait pas un seul député à l’Assemblée nationale et qui devait disparaître peu après. M. Lisée n’a pas attendu que le ciel lui tombe sur la tête.
L’espèce de triumvirat qu’il a décidé de former avec Véronique Hivon et maintenant Jean-Martin Aussant est assez inhabituelle politiquement. Partager le pouvoir n’est pas un réflexe naturel, mais cela vaut parfois mieux que de tout perdre.
Convaincre le fils prodigue d’adhérer à son échéancier contre la promesse d’un modeste investissement dans l’actualisation de vieilles études sur la souveraineté constitue une bonne affaire pour le chef du PQ, qui doit d’abord se préoccuper du court terme.
Malgré les réserves de Bernard Landry, qui lui reproche un passé sinueux, le retour de M. Aussant devrait rassurer les souverainistes qui craignent que le PQ oublie sa raison d’être. Cela pourrait permettre d’éviter le pire le 1er octobre, même si l’effet sur l’ensemble de l’électorat risque d’être limité.
Quand M. Lisée avait annoncé sa candidature à la succession de Pierre Karl Péladeau et renvoyé la tenue d’un référendum à un deuxième mandat, M. Aussant s’en était moqué en imaginant sur sa page Facebook le discours loufoque qu’aurait prononcé un candidat à la chefferie du Parti vert : « Nous constatons que la population en général n’est pas au fait de tous les tenants et aboutissants du développement durable. Nous promettons donc de nous limiter à l’informer sur le sujet et de ne pas protéger l’environnement durant un premier mandat. »
M. Aussant se défend d’avoir retourné sa veste. On aurait conclu à tort qu’il était pressé de tenir un référendum. En effet, le programme qu’il avait fait adopter par les militants d’Option nationale en 2012 était encore plus expéditif. Il prévoyait plutôt une élection de type référendaire, suivie dans un deuxième temps d’un référendum sur un projet de Constitution qui aurait simplement consacré un fait accompli.
La foi souverainiste de M. Aussant ne fait aucun doute, mais il a hésité longuement avant de plonger. La photographie publiée en première page du Devoir de vendredi illustrait bien son ton un peu éteint en conférence de presse. Son poing levé mollement n’avait rien à voir avec celui de Pierre Karl Péladeau. L’avenir immédiat ne semble pas lui paraître très emballant.
Ses préoccupations sont à plus long terme. Si le PQ perd l’élection, tout sera remis en question : la chefferie, l’échéancier référendaire, voire l’existence même du parti. De toute évidence, M. Aussant entend participer activement à la discussion et faire partie de la suite des choses. Dans cette perspective, siéger à l’Assemblée nationale serait certainement un avantage. Lui trouver une circonscription où il a de bonnes chances d’être élu fait aussi partie du contrat.
Les circonscriptions relativement sûres pour le PQ ne sont pas légion, surtout dans la région de Montréal, dont M. Aussant ne veut pas s’éloigner pour des raisons familiales. Sa quête commence à ressembler à la tragique errance de David Levine au printemps 2005.
Cette année-là, Bernard Landry croyait avoir réalisé un coup fumant en persuadant M. Levine, juif anglophone, brillant gestionnaire du réseau de la santé, d’entrer au Conseil des ministres sans avoir été élu.
Pendant des semaines, on a tenté sans succès de convaincre des députés de prendre une retraite hâtive pour lui libérer un siège. Après avoir essuyé une demi-douzaine de refus, il s’est présenté à une élection partielle dans Berthier, où il s’est fait battre à plate couture par l’adéquiste Marie Grégoire.
M. Aussant assure qu’il annoncera bientôt son point de chute, mais le plan A, qui consistait à le présenter dans Pointe-aux-Trembles, a échoué. Le président de la SSJB, Maxime Laporte, a pris tout le monde de vitesse et M. Aussant ne voudra pas se présenter à une assemblée d’investiture, où l’appui indéfectible du député bloquiste et président du Bloc, Mario Beaulieu, favorisera lourdement M. Laporte, déjà très présent sur le terrain.
Dans le comté voisin de Bourget, Maka Kotto, a également refusé de céder sa place. Même si plusieurs s’interrogent sur son utilité, il serait impensable de forcer la main du seul député péquiste issu de l’immigration.