Jean-Martin Aussant, ancien chef du parti Option nationale, a quitté le Québec il y a maintenant un an et demi. Il vit à Londres, où il travaille à la City, au cœur du monde de la finance. Mais il s’ennuie « vraiment beaucoup » du Québec. « L’engagement direct me manque », dit-il en sirotant un chocolat chaud au Cartet, dans le Vieux-Montréal. « Et je veux que mes enfants grandissent ici. »
La date du retour au pays n’est pas fixée. Aussant n’est pas pressé. Il veut continuer de savourer les moments passés avec ses deux petits jumeaux de 4 ans, qu’il a bien peu vus durant les deux premières années de leur vie, car il était plongé jusqu’au cou dans la politique. Mais il reviendra, c’est certain, dit l’économiste et ancien député souverainiste de 44 ans.
Aussant était à Montréal la semaine dernière, en vacances. On en a profité pour aller prendre un petit-déjeuner avec lui, histoire de peut-être le cuisiner un peu sur la campagne à la direction du Parti québécois. Mais il refuse gentiment de répondre à ces questions.
UN RÉPIT DE LA POLIQUE
Il ne peut pas faire de politique active dans le cadre de son emploi actuel. Et il ne veut pas jouer les « gérants d’estrade ». L’idée que l’ancien chef d’Option nationale – parti issu des rangs du PQ – donne son opinion le dérange. Va-t-on prendre cela comme une directive, va-t-on croire qu’il veut influencer le cours des choses indûment ? Il salue, en passant, le fait qu’il y a une vraie course et non pas un couronnement. « Ce n’est jamais bon, les couronnements. »
Ce dont il accepte de parler volontiers, cependant, c’est d’actualité, de programme politique, de souveraineté.
L’homme qui lit encore La Presse+ et Le Devoir tous les jours, même à Londres, en plus du Financial Times, s’inquiète des politiques d’austérité du gouvernement actuel.
« Parfois on fait des coupes trop creuses qui représentent des économies à court terme, mais finissent par coûter encore plus cher. » — Jean-Martin Aussant
Il pense notamment aux coupes dans les programmes d’aide économique dans les régions ou aux changements de tarification des services de garde. Selon lui, tout le réseau de l’éducation devrait être gratuit, du CPE au doctorat. « C’est le meilleur investissement possible », dit l’économiste. « Les impôts des gens formés valent beaucoup plus que ce que ça a coûté de les éduquer. Aussi, les sociétés plus éduquées sont moins malades et plus responsables sur le plan environnemental. »
Au sujet de la campagne à la direction du Parti québécois, dont il est issu, Aussant est posé. Il fait attention à ce qu’il dit.
Selon lui, le Parti québécois doit adopter une ligne claire en campagne à l’égard de la souveraineté, pour qu’il n’y ait pas de surprise après l’élection et pour que le parti se démarque. L’idée du « bon gouvernement » péquiste sans objectif souverainiste clair ne l’emballe aucunement. La raison d’être du parti, dit-il, c’est de faire l’indépendance. Ça demeure un projet pertinent. Et il faut en parler. « Il faut que les gens sachent qu’ils votent pour la souveraineté. Il faut que ce soit clair. Qu’il n’y ait pas de mauvaise surprise. »
Encore aussi pertinente et nécessaire, la souveraineté ?
« On n’est pas malheureux au Québec. Mais si on décidait, nous, de tout ce qu’on fait, on aurait une société bien différente. »
« Sur le plan de l’environnement, par exemple, le Québec et le Canada ont des points de vue totalement opposés. En développement industriel aussi. »
Le Québec, note-t-il, mise sur l’hydroélectricité et l’éolien, alors que le reste du pays est axé sur le pétrole et le gaz, ce qui ne nous enrichit pas du tout. Et au sujet des accords de Tokyo, cela a donné lieu à des points de vue opposés. « Dans un Québec souverain, on investirait massivement dans les énergies renouvelables. On a un avantage concurrentiel net dans ce secteur. »
Or le fédéralisme, croit-il, nuit à cet épanouissement. « Ce n’est pas que le fédéralisme nous bloque, c’est qu’il décide à notre place. »
— Jean-Martin Aussant
Aux questions habituelles sur la capacité de se gouverner, sur l’incertitude économique créée par une sécession, Aussant a des réponses calmes, posées.
« Tout ce que le Québec peut faire maintenant, il peut le faire comme pays », note-t-il, avant de préciser que la taille de notre économie est majeure, quelques centaines de milliards de PIB, pas celle d’une chaloupe à la dérive.
« L’incertitude, il y en a dans tous les pays. Elle ne disparaîtra pas, poursuit-il. Oui, il y a de l’incertitude. Mais au moins, tu peux décider tout seul comment tu t’en occupes. »
« Je n’ai pas honte d’être canadien. Ça ne me dérange pas. Mais on serait mieux indépendants, à décider nous-mêmes. »
Aussant voit même un Québec indépendant avec sa propre devise.
BROCHE À FOIN ?
Lorsque je lui dis que, vu d’ici, on semble un peu broche à foin, avec nos problèmes de corruption, etc., il répond que, vues de l’extérieur, toutes les sociétés occidentales sont aussi broche à foin à leur façon. De Londres, il constate que les grands pays européens sont aux prises avec des problèmes tout à fait semblables aux nôtres, que ce soit en matière de santé, d’éducation, etc. On trouve qu’il y a trop d’attente dans les hôpitaux, que les écoles forment mal les étudiants… des rengaines semblables.
Et la Charte des valeurs ?
Aussant est d’avis qu’il faut créer un espace de laïcité absolu, sans signes ostentatoires, dans les sphères d’autorité. Il est flexible pour le reste. Chose certaine, il aurait préféré que cela ne soit pas un sujet électoral et qu’il y ait quête de consensus plutôt qu’affrontement partisan sur la question. Les attentats de Paris, note l’ex-député, ont bien démontré qu’il y avait de réelles questions graves à poser, au-delà de la partisanerie. Cela dit, sur ce sujet aussi, il trouve que le Québec n’est aucunement distinct. Partout ailleurs, les sociétés occidentales débattent, discutent, cherchent des réponses et des solutions viables aux défis posés par les orthodoxies et les extrémismes religieux.
« On n’est pas mal au Québec », note-t-il. « Et j’insiste, je ne me plains pas d’être canadien. »
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