« Un mot a été inventé pour permettre aux aveugles de demeurer aveugles : l’islamophobie. »
La phrase est celle d’un écrivain qui aurait mérité le Nobel de littérature cet automne. Mais qui, à la place, a été victime d’un attentat sauvage le 12 août dernier, dans l’État de New York, au cours duquel il perdit un oeil et l’usage d’une main. C’est d’ailleurs pourquoi, la semaine prochaine, à 75 ans, Salman Rushdie ne fera pas la promotion de son nouveau roman, intitulé Victory City.
Que voulait donc dire l’écrivain maudit lorsque, dans son roman autobiographique Joseph Anton (Plon), il s’interrogeait sur l’« islamophobie » ? Un mot très récent qui a été popularisé après les attentats du 11 septembre 2001. Frappé par une fatwa depuis 1989, Rushdie voulait nous mettre en garde contre l’ambiguïté qu’il charrie. Une ambiguïté d’ailleurs illustrée par la définition du Larousse, qui parle à la fois d’hostilité envers l’« islam » et « les musulmans ».
Rushdie s’en était expliqué en 2012 dans une entrevue au magazine Marianne. Il disait que s’il fallait évidemment condamner les mouvements qui s’en prenaient aux musulmans, il ne fallait pas céder aux tentatives de certains d’éviter toute critique de l’islam. « Ce n’est pas la même chose de défendre des individus et de défendre leurs idées en interdisant de les discuter, disait-il. L’islam n’est pas une race et l’idéologie n’est pas une catégorie ethnique. »
À l’opposé, on trouve en France comme au Québec des militants dont toute la carrière a été fondée sur cette ambiguïté et qui n’ont eu de cesse de l’entretenir et de l’approfondir. La plupart passent leur vie à inventer du racisme, car ils en vivent. C’est le cas de la nouvelle « représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie », Amira Elghawaby, dont personne ne parlerait si elle n’avait multiplié les déclarations destinées à confondre la discrimination à l’égard des musulmans et la critique de l’islam.
C’est ce qu’elle faisait en 2019, dans un texte d’opinion publié dans le Ottawa Citizen, où elle déplorait qu’une majorité de Québécois aient « des opinions négatives envers l’islam ». Pour Mme Elghawaby, il n’y a pas de différence entre se défier de l’islam comme religion, idéologie ou régime politique et exercer une discrimination à l’égard de certains musulmans. Dans les deux cas, c’est du racisme.
Il ne lui viendrait pas à l’idée que ces « opinions négatives envers l’islam » pourraient avoir un fondement réel et des raisons parfaitement légitimes. Depuis quand, en effet, faudrait-il avoir une opinion positive d’une religion prosélyte qui est à la fois une idéologie totalisante et un code juridique, et qui a pris depuis au moins 50 ans un virage radical semant le plus souvent la guerre, la pauvreté et la désolation sur son passage ? C’est peu de dire que l’islam n’a pas inventé la démocratie. Mais il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas s’inquiéter des 210 000 victimes tombées lors des 48 000 attentats islamistes recensés entre 1979 et 2021 par la très sérieuse Fondation pour l’innovation politique. Sans compter la centaine de milliers de morts de la « décennie noire » en Algérie.
De même, les Français ont-ils parfaitement raison de s’inquiéter de ces 65 % de lycéens musulmans qui, selon un sondage de l’IFOP, disent placer l’islam au-dessus des lois de la République. Sans parler du sort réservé aux jeunes filles dans les banlieues françaises où prédomine l’islam. C’est l’écrivain Kamel Daoud qui avait d’ailleurs identifié « cette schizophrénie de l’exilé typique en Occident qui vient y chercher la liberté et y trouve celle d’y reconstruire sa prison et d’incarner ses bourreaux d’autrefois ».
Transformer en préjugé et en racisme l’inquiétude légitime des peuples face à une religion en crise, tel est finalement le grand talent de ces « communicateurs » qui, en France comme au Québec, trouvent souvent à s’élever dans les sphères dirigeantes de l’État. C’est d’ailleurs pourquoi la Commission européenne a récemment jugé bon d’écarter le terme islamophobie et de nommer plutôt une coordonnatrice « pour la lutte contre la haine contre les musulmans ». Une subtilité linguistique qui échappe évidemment au premier ministre canadien.
Il n’empêche que la polémique qui entoure la nomination d’Amira Elghawaby illustre à merveille cette alliance implicite entre le Canada postnational de Justin Trudeau, qui valorise tous les communautarismes, et un islamisme qui pose en victime en instrumentalisant les accusations de racisme. En imposant le respect des frontières, des moeurs et de l’identité des peuples, la nation est un empêcheur de mondialiser en rond. Elle contrarie aussi bien cet homme liquide dont rêve le capitalisme mondialisé que cette oumma qui elle aussi veut transcender les peuples et n’a que faire des identités particulières.
Nul doute qu’il se trouvera bientôt de bonnes âmes pour qualifier d’islamophobe le nouveau roman de Salman Rushdie. Victory City raconte l’histoire d’une jeune poétesse indienne du XIVe siècle qui voulait créer un royaume où les femmes ne seraient « ni voilées ni cachées ». Le roman se conclut sur cette phrase terrible, qui est pourtant au coeur du débat qui est le nôtre : « Les mots seuls sont victorieux. »
Une version précédente de ce texte a été modifiée pour corriger le nombre de victimes et d'attentats islamistes recensés entre 1979 et 2021 par la Fondation pour l’innovation politique.