Ingérence politique et jeux de coulisses au Port de Montréal

L'affaire du Port de Montréal





Port de Montréal
Photo: Luc Lavigne


Une affaire d'ingérence politique et de jeux de coulisses impliquant le bureau du premier ministre Harper, la Ville de Montréal et des hommes d'affaires du milieu de la construction refait surface. Une enquête de Radio-Canada et du Globe and Mail révèle qu'une partie du bras de fer s'est jouée autour de la nomination du PDG du Port de Montréal, en 2007. Un membre du conseil d'administration et l'ex-ministre Michael Fortier brisent aujourd'hui le silence ayant entouré une campagne de persuasion qui a été jusqu'aux menaces.
À la fin de l'année 2006, Dominic Taddeo, qui a été PDG du Port de Montréal pendant 23 ans, confie à ses proches qu'il a l'intention de prendre sa retraite l'automne suivant.
C'est le conseil d'administration du port qui doit choisir le nouveau PDG. Selon la Loi maritime du Canada, les membres du conseil d'administration doivent agir dans les meilleurs intérêts du Port de Montréal. Ils sont donc complètement indépendants des organismes qui les ont nommés au conseil.
Sept personnes siègent au conseil d'administration du port. Quatre d'entre elles sont nommées par les utilisateurs du port. Les trois autres sont nommées respectivement par les gouvernements fédéral et provincial et la Ville de Montréal.
Ces trois membres - Marc Y. Bruneau (fédéral), l'avocat Jeremy Bolger (provincial) et Diane Provost (Montréal) - sont désignés par le conseil d'administration pour former le comité de relève, qui doit étudier les candidatures à la succession de Dominic Taddeo.
Ingérence politique?

Au printemps 2007, ces trois membres du comité de relève sont convoqués au restaurant le Muscadin par l'homme de confiance de Stephen Harper au Québec, Dimitri Soudas. Il était à l'époque attaché de presse adjoint du premier ministre et son conseiller politique pour le Québec.
Selon nos sources, Dimitri Soudas leur a clairement dit que Robert Abdallah, l'ex-directeur de la Ville de Montréal, était le choix du gouvernement fédéral.
Marc Y. Bruneau, l'un des membres du conseil d'administration du port, nous a confié que la rencontre au Muscadin était sans équivoque : « Il y a certainement eu de l'ingérence, parce qu'ils nous ont rencontrés spécifiquement sur la nomination du nouveau président. »
Dimitri Soudas se défend de toute ingérence
Réagissant à ces nouvelles révélations, Dimitri Soudas a indiqué que le gouvernement conservateur, tout comme la Ville de Montréal, a exprimé sa préférence pour la candidature de Robert Abdallah, mais a nié toute ingérence dans le processus de nomination. Il a rappelé que c'était au conseil d'administration de faire un choix, lequel « nous avons accepté et soutenu ».
M. Soudas a fait remarquer que le « conseil d'administration [du Port de Montréal] a choisi finalement un autre candidat, qui a démissionné quelque mois plus tard ».
Pour ce qui est de la rencontre avec les membres du C.A., M. Soudas a précisé que celle-ci avait porté sur les « priorités du port » et que la question de la désignation d'un nouveau PDG avait été évoquée « très brièvement ».
Dans le cadre de notre enquête, l'ex-ministre Michael Fortier, qui était à l'époque le responsable de la région de Montréal dans le gouvernement de Stephen Harper, a accepté de revenir sur ces événements.
Il nous a confié qu'il a eu vent de la rencontre de Dimitri Soudas avec les trois membres du conseil.

« On m'avait rapporté, à mon bureau, que des membres du conseil d'administration du Port de Montréal avaient été approchés par des personnes qui prétendaient parler au nom du premier ministre, et qui auraient suggéré [...] à ces membres du conseil que M. Harper préférait M. Abdallah », raconte l'ancien ministre.
Michael Fortier a même cru bon de rappeler aux membres du conseil d'administration du port qu'ils pouvaient voter en toute liberté.
Pourtant, en 2008, en comité parlementaire, Dimitri Soudas a nié avoir rencontré les membres du conseil d'administration au sujet de la candidature de Robert Abdallah.
Marc Y. Bruneau nous a également relaté un appel qu'il a reçu après la rencontre avec Dimitri Soudas. Cette personne, qu'il n'a pas voulu identifier, lui a laissé entendre qu'il pourrait ne pas être renommé au conseil d'administration à la fin de son mandant s'il ne votait pas pour Robert Abdallah. M. Bruneau n'a pas voulu nommer cette personne parce qu'il lui apparaissait évident qu'elle ne faisait que transmettre un message. Il nous a dit qu'il s'agissait d'une personne de l'appareil politique, mais à un niveau inférieur de la hiérarchie.
Robert Abdallah, le candidat de la Ville de Montréal
Robert Abdallah était aussi le candidat de la Ville de Montréal. Selon des documents judiciaires, la notaire Diane Provost, membre du conseil du port, a été menacée de perdre son poste si elle ne votait pas pour lui. Elle avait été nommée au conseil d'administration du Port de Montréal à la suggestion de Claude Dauphin, l'un de ses amis d'enfance. Selon son interrogatoire sur affidavit, dans le cadre d'une procédure en Cour supérieure, elle se souvient d'avoir reçu deux appels de Claude Dauphin pendant l'été 2007.
Il lui aurait mentionné : « Écoute, Frank Zampino voulait t'appeler. Je lui ai dit : "laisse faire, je la connais bien Diane, moi je vais l'appeler". [...] Écoute, je veux que tu saches que nous, à la Ville, on supporte M. Abdallah. »
Le deuxième appel de Claude Dauphin était plus direct, selon le témoignage judiciaire de la notaire : « Diane, voici le message que j'ai pour toi : "Ou tu votes pour notre candidat, ou tu t'abstiens de voter ou, sinon, demain, on réunit l'exécutif et on te récuse pour cause" ».
La Ville a finalement mis ses menaces à exécution et a révoqué la nomination de Diane Provost. L'administration portuaire de Montréal s'est adressée à la Cour supérieure et a obtenu gain de cause. Diane Provost a été réintégrée dans ses fonctions.
Claude Dauphin, que nous avons interrogé la semaine dernière alors qu'il était plongé dans la tourmente à l'Hôtel de Ville de Montréal, nous a dit qu'il a fait ces appels à la demande de ses patrons de l'époque : le maire Gérald Tremblay et Franz Zampino, qui était président du comité exécutif de la Ville de Montréal.
« L'administration, M. Tremblay, M. Zampino, m'avaient demandé : « Pensez-vous que Mme Provost pourrait nous appuyer pour supporter la candidature de M. Abdallah?" »
Le réseau d'hommes d'affaires de la construction

Une autre campagne discrète en faveur de la candidature de Robert Abdallah a été orchestrée quelques mois avant les pressions du gouvernement fédéral et de la Ville de Montréal. Les hommes d'affaires Tony Accurso et Bernard Poulin, président du groupe de génie-conseil SM, appuyaient aussi Robert Abdallah. Selon nos sources, ils avaient l'intention de faire passer leur message à Dimitri Soudas par Léo Housakos, alors collecteur de fonds du Parti conservateur. Léo Housakos, qui a été nommé sénateur, a nié avoir discuté de la candidature de Robert Abdallah avec quiconque. Tony Accurso et Bernard Poulin nous ont donné la même réponse.
Malgré toutes ces pressions, les membres du conseil d'administration ont plutôt choisi Patrice Pelletier pour remplacer Dominic Taddeo à la tête du Port de Montréal.
Robert Abdallah a quant à lui été embauché par Gastier, une entreprise de Tony Accurso qu'il a quittée l'automne dernier. Maintenant semi-retraité, Robert Abdallah nous a dit que si des pressions ont été faites en faveur de sa candidature, elles l'ont été entièrement à son insu. Pour lui, le fait qu'il n'ait pas été nommé constitue la meilleure preuve qu'il n'y a pas eu d'influences indues.
M. Abdallah admet qu'il connaît Tony Accurso, Bernard Poulin et Léo Housakos, mais dit qu'il n'a jamais discuté de sa candidature au Port de Montréal avec ces personnes.
Nous avons également tenté de joindre Frank Zampino qui, selon toutes nos sources, a joué un rôle central dans cette affaire. Il n'a pas répondu à nos appels. Frank Zampino a été au coeur du scandale des compteurs d'eau à la Ville de Montréal lorsque La Presse a révélé qu'il avait séjourné sur le bateau de Tony Accurso.
Selon une enquête conjointe de Marie-Maude Denis, de Radio-Canada, et de Daniel Leblanc, du Globe and Mail.


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