La fin de semaine dernière, Konrad Yakabuski signait une chronique dans Le Devoir concernant les intentions du gouvernement Trudeau d’augmenter drastiquement les seuils d’immigration pour accueillir plus de 1,2 million de personnes d’ici 3 ans. Naturellement, les impacts d’une telle décision seraient majeurs pour le Québec, qui devrait alors augmenter ses seuils pour atteindre 95 000 immigrants par année d’ici 2023 afin de conserver son poids démographique au sein du Canada. Sachant que nous en accueillons présentement plus ou moins 45 000 présentement, il s’agirait essentiellement de doubler le nombre annuel de nouveaux arrivants au Québec.
Le Québec devrait donc augmenter massivement ses seuils d’immigration pour garder la même proportion de sièges à la Chambre des communes, sans quoi « le Québec continuera à rapetisser, alors que le Canada voit grand. » Pourtant, au-delà de notre place au Canada, une question est ici occultée, et non la moindre : le poids de la majorité francophone au sein même de l’État québécois.
Le seul État que nous possédons
La Révolution tranquille tout entière s’est bâtie sur une idée centrale : le Québec est le seul État dont disposent les francophones en Amérique du Nord, et il faut l’utiliser à plein pour protéger le fait culturel particulier qui y existe. « Maîtres chez nous », c’était justement la volonté des francophones de s’approprier l’État québécois pour qu’il serve leurs intérêts, face à un État canadien qui sera toujours dominé une majorité anglophone. René Lévesque ne disait-il pas, dans Option Québec, que le Québec est « le seul endroit où il nous soit possible d’être vraiment chez nous »?
La Révolution tranquille tout entière s’est bâtie sur une idée centrale : le Québec est le seul État dont disposent les francophones en Amérique du Nord, et il faut l’utiliser à plein pour protéger le fait culturel particulier qui y existe.
Or, l’enjeu de l’immigration est crucial parce qu’il remet justement en question la place des francophones au Québec. Ce n’est pas un hasard si la CAQ a été élue en promettant de baisser les seuils d’immigration pour des raisons d’abord culturelles. L’intégration et la régionalisation sont présentement déficientes, de telle manière que l’anglicisation de Montréal et de Laval s’empire d’année en année, ce qui a des impacts politiques majeurs. Combien de circonscriptions jadis gagnables pour le PQ sont désormais acquises aux libéraux dans la région métropolitaine en raison de l’action combinée de seuils d’immigration trop élevés et d’une absence d’intégration décente? Une augmentation comme celle que veut imposer Justin Trudeau aurait des conséquences drastiques sur la capacité même des francophones de contrôler le seul État qui soit le leur, d’où l’importance de la traiter avec lucidité.
Plus important que notre place au Canada
L’enjeu la place des francophones est mille fois plus important que celui de la place du Québec au sein du Canada, car ce sont ici les acquis de la Révolution tranquille qui sont remis en question. De trop hauts seuils d’immigration compromettent nos capacités à franciser et à intégrer les nouveaux venus, c’était précisément la logique derrière la promesse du gouvernement Legault de baisser temporairement l’immigration, laquelle était massivement populaire chez les Québécois, qui voient bien que quelque chose cloche avec l’intégration depuis des années. Si la CAQ a coupé de 20% les seuils dès son arrivée au gouvernement, ce n’était assurément pas pour les doubler avant la fin du mandat. Afin d’échapper à la logique multiculturaliste du cloisonnement et des ghettos et d’intégrer les nouveaux venus, le nombre constitue, qu’on le veuille ou non, une donnée fondamentale.
Il y a là quelque chose de bien plus consternant qu’une perte de poids au sein de l’ensemble canadien : la fin du « maîtres chez nous », faute d’un « nous » partagé par suffisamment de citoyens unis par une culture commune forte.
Face à une proposition aussi extrême du gouvernement fédéral, l’essentiel doit prévaloir, c’est-à-dire la capacité du Québec d’intégrer correctement les immigrants à la culture commune et ainsi sauvegarder un des plus précieux acquis de la Révolution tranquille : une nette majorité de francophones capables de dire « nous » ensemble. Force est d’admettre qu’en doublant ainsi les seuils d’immigration depuis Ottawa, cette condition sine qua non à l’affirmation des Québécois se verrait remise en question, alors que déclinerait inévitablement le pouvoir des francophones sur leur propre État-nation. Il y a là quelque chose de bien plus consternant qu’une perte de poids au sein de l’ensemble canadien : la fin du « maîtres chez nous », faute d’un « nous » partagé par suffisamment de citoyens unis par une culture commune forte.
Une question fondamentale
Quiconque se dit aujourd’hui nationaliste ne peut ignorer cet éléphant dans la pièce : il s’agit de la possibilité même de l’expression politique de la nation québécoise au sein de son propre État. Alors qu’en 2018, 51% des Québécois souhaitaient une baisse des seuils d’immigration contre seulement 7% désirant une hausse, il y a certainement une demande pour un parti fédéral qui souhaiterait abandonner cette augmentation forcée et donner au Québec plus de pouvoir en immigration, comme le demande le gouvernement caquiste depuis son élection. Cet enjeu majeur représente certainement une belle occasion pour Erin O’Toole de démontrer aux Québécois ce qu’il pourrait faire pour eux une fois au pouvoir, d’autant plus que la base conservatrice ne serait sans doute pas réfractaire à un tel discours.
S’il fallait choisir entre être maîtres chez nous et notre place dans le Canada, parions que le choix serait clair pour nombre de « fédéralistes mous » d’abord attachés au caractère français du Québec…
Cependant, si tous les partis fédéralistes d’Ottawa se montrent sourds aux demandes légitimes du Québec en immigration, qui commencent par un meilleur contrôle sur le nombre et non par une augmentation annuelle forcée de 100%, il y a un capital politique monstre à faire sur cette question pour les indépendantistes. N’oublions pas que la première cause du Brexit selon nombre d’observateurs était une immigration incontrôlée et le refus de l’Union européenne de laisser les Britanniques la limiter selon leur volonté majoritaire. Dans le contexte québécois, il en va de la capacité de l’État québécois à continuer d’être le seul État-nation francophone en Amérique du Nord. S’il fallait choisir entre être maîtres chez nous et notre place dans le Canada, parions que le choix serait clair pour nombre de « fédéralistes mous » d’abord attachés au caractère français du Québec…