Au G20, Harper a gagné. Il a réussi à intégrer dans le communiqué conjoint l’engagement d’une réduction de moitié des déficits des pays riches d’ici 2013 puis de leur endettement global à compter de 2016.
Son alliée dans la pièce était Angela Merkel, la chancelière allemande, qui impose à ses compatriotes un remède de cheval pour réduire son déficit.
Pour un certain nombre d’économistes, comme Paul Krugman du New York Times, ou Eloi Laurent de Harvard et Étienne Fervaque de Lille qui participent cette semaine à l’école d’été du CÉRIUM Le capitalisme en crises ?, cette décision collective de sabrer dans les dépenses publiques alors que l’économie mondiale n’est pas sortie de la récession équivaut à « coordonner la dépression ».
Certes, comme l’a montré la Grèce, les problèmes d’endettement sont gravissimes. Mais la volonté de rassurer les prêteurs en coupant budgets et salaires, donc en retirant de l’argent dans l’économie, donc en déprimant davantage l’activité économique, ne rassure nullement les prêteurs. Au contraire, la Grèce paie ses emprunts plus chers aujourd’hui qu’avant l’imposition de son régime minceur. Idem pour l’Irlande. Krugman écrit ce matin :
« C’est comme si les marchés financiers savaient quelque chose que les décideurs ne semblent pas comprendre: que si la rigueur financière à long terme est important, couper les dépenses dans le milieu d’une dépression empire cette dépression. »
L’endettement massif, privé et public, accumulé avant la crise et décuplé depuis le début de la crise de 2008 est évidemment intenable à moyen et long terme — et, pour les plus endettés, à court terme.
Il est évident qu’il faudra s’y attaquer mais, comme l’indiquait à l’automne l’économiste du Financial Times Martin Wolf, seulement lorsque le secteur privé aura pris le relais des mesures de relance, lorsque la reprise sera durable, donc à même de générer des sommes suffisantes pour s’attaquer au déficit et à la dette. Et cela, pays par pays. L’idée d’une date de réduction des déficits, donc de frein à la relance, pour tous en 2013 est donc, en soi, anti-économique.
Où peut-on commencer à resserrer ? Ici !
Où donc ces conditions sont-elles réunies ? En Chine, en Inde, au Brésil, certainement. Mais dans les pays industrialisés, il n’y a guère qu’au Canada (et encore plus au Québec, le premier du pays à avoir récupéré tout le terrain perdu depuis le début de la crise) où la reprise semble solide. Que Harper et Charest nous engagent sur la voie d’un meilleur équilibre budgétaire — si cela est fait intelligemment et équitablement, ce qui n’est pas le cas — il y a là une séquence économique logique et saine.
Mais que Harper, par pure idéologie conservatrice, fasse pression sur des pays qui n’ont pas retrouvé leur tonus, cela est un acte économiquement pyromane.
Son intervention est particulièrement malvenue face aux Américains. Le secrétaire au Trésor, Tim Geithner, avertissait juste avant le G20, comme il le fait depuis un an, que les pays industrialisés ne doivent pas faire la même erreur que leurs prédécesseurs de la grande crise. Après avoir financé la relance économique de 1930 à 1937, Roosevelt céda aux sirènes du retour rapide à l’équilibre budgétaire, coupa les dépenses, et replongea les États-Unis dans une récession qui dura jusqu’à la guerre.
Aujourd’hui, aux États-Unis, la reprise est anémique. Les chiffres de l’emploi sont décevants. Le contexte idéologique, dans cette année électorale, empêche l’administration de réussir à faire voter par le congrès un simple supplément pour permettre aux chômeurs de longue durée d’obtenir un prolongement de leurs prestations et aux États de ne pas mettre à pied des centaines de milliers d’employés. Le débat dure depuis huit semaines et depuis maintenant un mois, 1,2 millions de chômeurs sont sans revenu, chiffre qui montera à deux millions dans une semaine.
Dans la lettre qu’il a adressé à ses collègues avant la rencontre, Obama réclamait l’exact contraire de ce qui fut décidé par le groupe:
Notre plus importante priorité à Toronto doit être de protéger et de renforcer la relance. Nous avons déployé un effort extraordinaire pour rétablir la croissance, nous ne pouvons la laisser s’évanouir ou perdre de la force. Cela signifie que nous devrions réaffirmer notre volonté commune d’offrir le soutien de politiques publiques nécessaire [...] En fait, si notre confiance en la résilience de nos reprises économiques devait diminuer, nous devrions nous montrer prêt à répondre encore aussi rapidement et aussi fortement que possible pour éviter un recul économique.
Obama souscrivait à la réduction de son propre déficit selon l’échéancier avancé, quoiqu’on puisse douter du réalisme de cet engagement. Mais l’idée de pousser toutes les nations en ce sens en même temps est un non sens.
En vendant son prêche anti-déficits au G20, Harper a rendu la tâche d’Obama plus difficile. Celle de son collègue français aussi.
Car en France, Nicolas Sarkozy est également réticent à suivre ses voisins dans une course à la rigueur, alors même que les indicateurs économiques restent incertains — et le seront encore plus du fait de la réduction de l’activité économique chez les allemands et les britanniques qui pratiquent le resserrement au moment où il faudrait faire le contraire.
Mais Sarko est prisonnier de Merkel qui fait maigrir son État à vitesse grand V, également par choix idéologique, nourri par un souvenir collectif allemand qui craint l’inflation et une attitude selon laquelle, puisque ça va mal, tous doivent souffrir.
(Et on comprend Sarko d’avoir été irrité et de s’être vengé en affirmant que son G20 couterait dix fois moins cher que celui de Harper !)
Le torpilleur ?
Bref, dans cette spirale folle qui nous conduit à ce que Krugman appelle « une nouvelle longue dépression » (moins dure que celle des années 1930 mais au moins aussi longue), Harper est celui qui n’a aucune excuse.
Que son économie, plus régulée que l’américaine, donc ayant mieux résisté à la crise, lui permette, avant les autres, de s’attaquer au réel problème de l’endettement est une chose. Mais qu’il utilise le perchoir du G20 pour pousser des pays qui ne sont aucunement encore dans sa situation à adopter des politiques contre-cycliques, pour rendre la vie difficile à ceux qui tentent d’empêcher leurs économies à sombrer plus avant et à créer, ainsi, une plus grande misère humaine, cela doit être mis à son passif.
Il est en train de torpiller les efforts de ceux qui veulent relancer l’économie, comme il a torpillé le projet d’une taxe internationale sur les banques, comme il a participé au torpillage, en décembre, du sommet de Copenhague sur le climat.
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