Frédéric Lemaître - Ouf, le monde va mieux. S'il n'en fallait qu'une preuve, l'échec du sommet du G20 de Toronto nous l'apporte sur un plateau. Finies les réunions de crise comme à Washington (novembre 2008) ou Londres (avril 2009) où chaque ligne de la déclaration finale nous faisait miroiter une nouvelle communauté des nations à laquelle personne ne croyait vraiment. Adieu les envolées lyriques sur la gouvernance mondiale supposée nous faire oublier qu'au Fonds monétaire international (FMI) la Belgique pèse encore davantage que l'Inde.
Toronto, c'est le retour du business as usual et donc du chacun pour soi. C'est aussi le remake de Copenhague appliqué à l'économie : des réunions plénières aux allures de grands-messes inutiles et des rencontres bilatérales qu'on suppose plus décisives entre Barack Obama et les Asiatiques.
Signes qui ne trompent pas : notre président qui n'aime rien tant que sauver la planète s'y est ennuyé ferme, dit-on, et Lula, qui aurait dû y commencer sa tournée d'adieux, n'a pas fait le déplacement. Et comme d'habitude, les dirigeants chinois, dont le goût pour la concertation n'est plus à démontrer, ont pris soin de divulguer leurs décisions quelques jours auparavant : la fin annoncée de la suprématie du dollar en 2009, une (légère) réévaluation du yuan cette année.
Donc, le monde va mieux (les lecteurs européens auront rectifié d'eux-mêmes : le reste du monde va mieux) mais cela ne devrait pas forcément durer. C'est un des constats auxquels devaient parvenir ce week-end le gratin des économistes français et leurs invités lors des 10e Rencontres d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
Certes, les désaccords entre eux n'ont rien à envier à ceux du G20. Si Olivier Pastré, professeur d'économie à l'université Paris-VIII, juge que "la crise, contrairement à ce que disent certains pour être cultivés, n'a rien à voir avec la crise de 1929 ", Michel Aglietta, conseiller scientifique au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), estime, lui, que "de multiples processus dépressifs sont actifs : la contraction du crédit aux ménages, la baisse du pouvoir d'achat de la masse salariale, la montée des dettes publiques qui provoque les surenchères dans l'austérité budgétaire annoncée. Bref, le cocktail d'ingrédients qui a fait sombrer le bloc or à partir de 1932, rechuter les Etats-Unis, en 1937, et qui a enfoncé le Japon dans la stagnation, en 1997, est à nouveau réuni". Allez comprendre !
Néanmoins, rares sont les économistes optimistes. Pourquoi ? Parce que rien n'a changé (constat établi notamment par Eric Lombard, PDG de BNP Paribas Assurance). La finance continue de dominer le monde et les efforts pour la faire rentrer dans la boîte sont restés vains. Les actifs financiers représentent plusieurs fois le produit intérieur brut (PIB) de la planète et la crise grecque "illustre que la protection de l'économie réelle contre les interférences déstabilisatrices générées dans la sphère financière est loin d'être un résultat acquis" (Catherine Lubochinsky, professeur d'économie à Paris-II).
En ces temps troublés, même un homme pondéré comme l'ancien patron de l'Insee, Jean-Michel Charpin, ose un crime de lèse-majesté : "Finalement, peut-être verra-t-on, avec le recul, les interventions publiques de 2008-2009 comme des prolongements tardifs et maladroits de la politique menée avec brio par l'ex-président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan, pendant presque vingt ans, attentive à noyer sous la liquidité tous les départs d'incendie et rétive à tout encadrement des marchés." Faire de Nicolas Sarkozy (et de ses homologues) le mauvais élève de maître Greenspan : jusqu'ici, Jean-Claude Trichet lui-même, le président de la Banque centrale européenne, n'a pas osé.
Bon, mais Aix-en-Provence, en juillet, n'incite guère à la déprime. C'est pourquoi, nos économistes ont préféré se lancer "à la recherche de la nouvelle croissance", thème officiel des rencontres. En langage savant cela donne : "Depuis 2007, face à la crise mondiale, il fallait être keynésien. Pour survivre sur le long terme face aux nouveaux compétiteurs, il faut devenir schumpétérien (Joseph Aloïs Schumpeter, économiste autrichien du XXe siècle) en privilégiant l'innovation, la R&D (recherche et développement), l'éducation, la compétitivité des entreprises..." (Christian de Boissieu, président du Conseil d'analyse économique). Les professionnels de l'éducation, des industries pharmaceutiques et des technologies numériques n'ont pas de raison d'être pessimistes. Schumpeter est avec eux. Quels que soient les scénarios, ils devraient être les principaux piliers (et bénéficiaires) de la croissance de demain. Pour les autres, en revanche, rien n'est moins sûr.
Patrick Artus (directeur de la recherche et des études chez Natixis) pose une question essentielle : "La croissance durable est-elle compatible avec une économie de qualité ?" Réponse : malheureusement non. Ses arguments : une économie de qualité (offrant des emplois qualifiés et bien rémunérés et s'accompagnant de conditions de logement satisfaisantes) suppose une réindustrialisation des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Or celle-ci entraînerait une augmentation de la consommation de matières premières, d'énergie et donc d'émissions de CO2. Il serait en effet naïf de ne miser que sur les nouvelles technologies ou les "services verts" : l'expérience américaine montre que ces secteurs créent trop peu d'emplois qualifiés pour éviter un accroissement des inégalités et susciter des gains de productivité qui permettent de financer les besoins sociaux essentiels.
Pourtant, dans cette compétition, les Européens disposent peut-être de plus d'atouts qu'ils ne le croient. Analysant le commerce de 5 000 produits (entre 200 pays), Lionel Fontagné, conseiller scientifique au Cepii, conclut que pour les produits de haute technologie notamment, l'Union européenne a mieux défendu sa base industrielle que les Etats-Unis ou le Japon, "en raison d'une spécialisation favorable et du réservoir de compétitivité que constituent les nouveaux Etats membres". Un constat sans doute dû... à notre voisin allemand. Irritant, non ?
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Frédéric Lemaître
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