Le premier ministre, François Legault, a appelé à la prudence les défenseurs d’un impôt sur le revenu des géants du Web à sa sortie du quartier général de Google, en Californie, mardi.
« Je leur ai dit […] : « Nous, ce à quoi on s’attend à faire avec les pays de [l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)], en 2020, c’est de trouver un moyen de taxer la partie de leurs activités qui est faite au Québec », a-t-il déclaré à la presse, tout en pointant le Googleplex, où il avait rencontré quelques minutes auparavant des patrons de la multinationale. « Il faut être prudents. Il faut le faire ensemble », a-t-il poursuivi, demandant de « ne pas prendre de risques inutiles ».
Or, le gouvernement fédéral compte rapidement imiter la France, qui prélèvera un impôt sur les revenus bruts des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), et ce, au grand déplaisir de Donald Trump.
Le Parti libéral du Canada a promis d’instaurer une taxe de 3 % sur les revenus au-delà de 50 millions de dollars générés au Canada par les médias sociaux, les moteurs de recherche et les marchés en ligne dont les revenus mondiaux excèdent 1000 millions. Ottawa pourrait engranger des revenus de quelque 500 millions en 2022-2023, a indiqué le Directeur parlementaire du budget.
Le Québec réclamera sa « part » de ces recettes, soit la « même » que ce qu’il tire de l’impôt sur les sociétés, a précisé M. Legault. « Disons que c’est [environ] moitié-moitié », a-t-il dit.
« Est-ce que M. Trudeau veut agir seul ou il attend l’OCDE pour ce qui est de l’impôt sur les revenus bruts, pour compenser le manque d’impôts sur les bénéfices des sociétés GAFA ? » a-t-il demandé aux journalistes. Le premier ministre québécois aura l’occasion de poser lui-même la question à son homologue fédéral, Justin Trudeau, lors de leur première rencontre postélectorale, à Montréal vendredi.
D’ici là, il propose à M. Trudeau de s’affairer à percevoir la taxe sur les produits et services (TPS) sur les ventes des GAFAM.
François Legault a souligné à gros traits mardi que le Québec exporte davantage de biens et de services aux États-Unis qu’il en importe. « Donc, on aurait beaucoup à perdre s’il y avait des représailles contre le Québec ou contre le Canada », a-t-il dit, avant d’ajouter : « Par contre, c’est vraiment injuste présentement que les impôts des compagnies GAFA soient seulement payés aux États-Unis. »
D’ailleurs, M. Legault a dit avoir « senti » de la part des dirigeants de Google « une ouverture à dire : il y a une partie des impôts qui seraient payés dans les pays où on a des activités plutôt que de payer tous nos impôts sur les profits aux États-Unis ». Immanquablement, le fisc américain devra faire une croix sur ses recettes fiscales, selon lui.
C’est le vice-président principal aux affaires mondiales de Google, Kent Walker, qui l’avait accueilli à Mountain View. Les deux hommes ont échangé une poignée de main devant un immense écran où la formule de salutation « Bienvenue premier ministre François Legault » et un fleurdelisé ont rapidement cédé la place au logo de la compagnie.
Les géants du Web, qui sont basés dans la Silicone Valley, sont vus comme les principaux responsables de la crise financière frappant les entreprises de presse québécoise.
Le premier ministre se trouvait dans le sud de la baie de San Francisco afin de discuter de « projets très intéressants pour créer des emplois très bien payés au Québec » sur la table à dessin de Google. « Je ne peux malheureusement pas vous en dire plus », a-t-il répété en boucle à la presse.
M. Legault n’hésitait pourtant pas la veille à dire à haute voix sur le site de The Walt Disney Company, devant les statues des souris Mickey et Minnie, qu’il pouvait raisonnablement espérer des dépenses supplémentaires de centaines de millions de dollars de la part des studios cinématographiques et télévisés de Los Angeles au Québec. À Mountain View, il s’était donné comme consigne de rester « motus et bouche cousue ».
Le convoi de VUS du premier ministre s’est ensuite ébranlé vers Palo Alto, où M. Legault et sa garde rapprochée ont échangé sur le financement des technologies vertes. Le chef de gouvernement a cherché par la suite à en savoir plus sur la recette du succès de la Silicon Valley auprès du président de l’Université Stanford, Marc Tessier-Lavigne, ainsi que de membres de la communauté universitaire pour qui les jeunes pousses n’ont plus de secrets. Il en a retenu des enseignements pour déployer son projet Saint-Laurent : une « Silicone Valley du Nord où nos universités seraient plus proches de nos entrepreneurs ― dans certains secteurs comme l’ingénierie ou les technologies de l’information ―, pour innover, et puis développer de nouveaux services, de nouveaux produits ». Après un lunch avec un savant aréopage, il a suivi la directrice du Laboratoire en intelligence artificielle, Erika Strandberg, dans une salle de classe où une dizaine d’investisseurs japonais, tous plus souriants les uns que les autres, l’attendaient.
Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.