« La campagne référendaire a déjà débuté », lance Jacques Parizeau après s’être assis pour la première fois sur le siège réservé au chef du gouvernement dans la salle du Conseil des ministres du « Bunker » de la Grande-Allée, le 28 septembre 1994.
Même si le Parti québécois n’avait obtenu que 13 744 voix de plus que le Parti libéral du Québec, le gouvernement Parizeau se met en tête de demander aux Québécois de se prononcer sur leur avenir politique dans un horizon de huit à dix mois. Bref, au printemps de 1995. « Entre nous, l’urgence référendaire doit être constamment présente », mentionne le vice-premier ministre Bernard Landry lors d’un premier tour de table. Friand de métaphores aériennes, le numéro deux du gouvernement promeut l’instauration d’un « mécanisme pour faire avorter le décollage [de la campagne référendaire] si les résultats des sondages ne sont pas au rendez-vous ». M. Landry appréhende un nouvel écrasement du camp du Oui près de 15 ans après la tenue d’une première consultation populaire sur l’indépendance du Québec. « Le Québec ne peut se permettre de perdre ce référendum », soutient-il, appelant ses consoeurs et ses confrères à « livrer cette bataille pour la gagner et démontrer que le peuple québécois est un vrai peuple ».
Pour Guy Chevrette, le gouvernement péquiste ne doit d’aucune façon donner le signal qu’il est disposé à reporter le référendum à l’automne 1995 — ce qu’il fera. « Il faut s’en tenir à l’horizon choisi jusqu’à la dernière minute », fait valoir le nouveau ministre des Affaires municipales. « C’est d’ailleurs la façon de négocier en matière de relations de travail lorsqu’une date de grève a été fixée », mentionne-t-il au passage.
La question référendaire est au coeur des mémoires des délibérations du gouvernement Parizeau consultés par Le Devoir à l’expiration du délai de 25 ans prévu à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics.
Le moindre enjeu est analysé à travers ce prisme, à commencer par le projet d’aménager un casino en Outaouais. « Le premier ministre souligne que tous les projets susceptibles de créer un nombre d’emplois aussi élevé sont les bienvenus dans une perspective référendaire », peut-on lire dans le procès-verbal de la séance du 5 octobre 1994.
Offensive fédérale
L’horizon référendaire est rapidement assombri par le gouvernement canadien. En effet, le ministre fédéral Lloyd Axworthy annonce une réforme de la sécurité sociale visant à « imposer des normes nationales » pour les programmes de soins de santé et d’éducation tout en réduisant les transferts aux provinces. La ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, Louise Beaudoin, y voit « un coup de force constitutionnel » du même calibre que le rapatriement de la Constitution sans l’accord du Québec. Il s’agit de « la grande offensive préréférendaire du gouvernement fédéral », dit Bernard Landry.
12 octobre 1994 Le projet de mettre sur pied des corps de police autochtones dans les communautés cries n’échappe pas au filtre indépendantiste du Conseil des ministres. Le ministre de la Sécurité publique d’alors, Serge Ménard, propose qu’une entente soit signée « lors d’une cérémonie qui revêtira un certain éclat ». Son collègue Bernard Landry renchérit. Il suggère d’en faire l’annonce à l’étranger. Il veut ainsi redorer l’image d’Hydro-Québec entachée par les propos tenus deux semaines plus tôt par une employée de l’ambassade du Canada à Tokyo, qui avait à tort accordé la paternité d’une publicité raciste à la société d’État québécoise. La pub « Avec Super Écono, plus besoin d’habiter à Kahnawake pour pas payer cher de chauffage ! » avait dans les faits été produite par une compagnie d’huile de chauffage privée.
26 octobre 1994 Les finances publiques sont à sec. Le déficit anticipé frôle dangereusement le seuil des 5 milliards de dollars. Dépassé, le Conseil du trésor propose d’éliminer l’essentiel des sommes destinées à l’implantation de « l’autoroute de l’information » ; l’Internet, quoi ! Le premier ministre sexagénaire met son poing sur la table et rappelle que « le projet d’autoroute de l’information constitue une priorité centrale » de son gouvernement.
2 novembre 1994 M. Landry plaide la nécessité de « travailler dans le cadre fédéral actuel ». « Si le Québec était souverain, le gouvernement pourrait tout revoir en profondeur. Ce que l’on fait actuellement, c’est de voir ce qu’on peut réaliser à l’intérieur d’un bateau qui coule », soutient-il autour de la table ovale de la salle du Conseil des ministres.
Jacques Parizeau profite de la rencontre hebdomadaire du Conseil des ministres pour avertir les autres membres du gouvernement qu’il habitera la capitale, contrairement à Robert Bourassa et à Daniel Johnson. « Il se faisait peu de travail au bunker de Québec à l’époque où nos prédécesseurs étaient au pouvoir. De fait, le siège du gouvernement était à Montréal », mentionne-t-il.
9 novembre 1994 Le Conseil des ministres se questionne sur l’établissement d’une liste électorale permanente, qui doit, selon Guy Chevrette, entraîner des économies de 34 millions de dollars. La présidente du Conseil du trésor, Pauline Marois, exprime son scepticisme. « Il serait cependant possible de vendre nos listes électorales afin de financer le nouveau système », rétorque sans détour Guy Chevrette. Prudent, son collègue Jean Garon sollicite un droit de parole pour rappeler qu’« une telle commercialisation est contraire à la Loi d’accès à l’information ».
À la fin de l’année 1994, 45 % de la population s’est rangée derrière le Oui.