Dans une capsule vidéo qui circule sur les médias sociaux ces temps-ci, le chef de la CAQ, François Legault, explique qu’il a fait son deuil de la souveraineté – une souveraineté dont il fut longtemps un partisan ardent, nous le savons.
En gros, nous dit-il, l’indépendance n’arrivera pas, il faut s’y résoudre – ceux qui s’acharnent dans la quête du pays enfermeraient même les Québécois dans un fantasme idéologique politiquement contre-productif. C’est une lecture possible de la situation politique du Québec à ce moment de son histoire et on doit y répondre par des arguments et non par un simple cri d’indignation, comme le font trop de souverainistes qui traitent Legault comme un traître. Il est possible, dans la vie politique d’un homme, de changer d’idée, simplement parce que le contexte historique lui-même a changé. François Legault s’y résout au point de nous dire qu’il s’est réconcilié avec le Canada et que c’est désormais dans le cadre de la fédération qu’il sera nationaliste, puisque telle est notre réalité et qu’il vaut mieux l’accepter plutôt que de vivre dans une fiction mentale. Certains verront là du simple bon sens. En gros, on cherche une autre manière de poursuivre l’aventure québécoise, en renonçant à un projet qu’au fond d’eux-mêmes, les Québécois n’endossent plus.
Mais il faut revenir sur le propos de Legault car il est loin d’être aussi clair qu’il ne le croit: lorsqu’il nous dit s’être réconcilié avec le Canada, que veut-il dire? S’est-il réconcilié avec le Canada des deux peuples fondateurs, celui auquel les Québécois ont historiquement adhéré et qui reposait sur l’idée d’un pacte entre les deux nations? Mais ce Canada n’existe plus depuis longtemps et on est en droit de se demander s’il n’a jamais existé, autrement qu’à la manière d’un fantasme québécois ou d’une possibilité inaccomplie dans l’histoire de la fédération. François Legault pense-t-il qu’un Robert Stanfield nouveau genre l’attend dans les provinces anglaises? Ce serait surprenant. S’agit-il alors du Canada de 1982, qui consacre le multiculturalisme comme doctrine officielle et qui repose justement sur la négation de la nation québécoise? Dans ce Canada, la différence québécoise est pourtant pensée comme une forme de suprémacisme ethnique à combattre, comme on l’a encore vu récemment avec la réaction suscitée par la loi 62. Le primat de l’identité québécoise au Québec apparait comme un privilège inadmissible qu’il faut combattre et qui est combattu. Dans le Canada de 1982, quoi qu’on en pense, l’autonomie québécoise est condamnée au ratatinement politique. On devine que François Legault le sait. Veut-il alors se réconcilier avec le Canada en soi tout en combattant le régime de 1982?
Le problème de la CAQ est le suivant: la réconciliation canadienne qu’elle nous propose repose essentiellement sur une illusion. Le Canada tel qu’il est et tel qu’il restera est fondamentalement inhospitalier à la nation québécoise, qu’il ne peut tout simplement reconnaître, puisque cette reconnaissance serait contradictoire avec la nature même du régime qui s’est mis en place en 1982. Il n’y a pas de place pour le Québec dans le Canada sauf s’il content à se définir comme une province comme les autres, soumise au multiculturalisme d’État, et consentant à la soumission graduelle mais inévitable de l’esprit de la loi 101 à celui de la loi fédérale sur les langues officielles, qui réduit le français au statut d’une langue sur deux sur notre territoire national. Si François Legault veut se réconcilier avec le Canada, souhaite-t-il aussi que le Canada se réconcilie avec le Québec et lui accorde enfin la reconnaissance et les pouvoirs nécessaire à la protection de son identité? Ou la réconciliation du Québec avec le Canada est-elle à sens unique, comme si les Québécois, après quelques décennies de nationalisme militant, se rendaient compte qu’ils avaient eu tort de critiquer le Canada et qu’il leur suffisait de faire la paix mentalement avec lui pour que tout se passe bien désormais?
Est-ce que François Legault croit que la question nationale, finalement, reposait sur la mentalité chicanière des nationalistes, et qu’il suffit de s’en délivrer pour vivre heureux dans un pays qui nous voit quand même comme une minorité ethnique intolérante n'acceptant pas de prendre son trou? Il serait intéressant de le savoir.