Où en sont les rapports entre la France et le Québec, ces deux pays français séparés par l’histoire mais rapprochés par l’origine, la langue et les moyens de communication modernes ? Le discours du président Sarkozy devant l’Assemblée nationale du Québec, dont j’ai été témoin le 17 octobre, dans lequel il exaltait la fraternité entre les deux peuples et prônait entre eux des « relations privilégiées » et un « dialogue d’égal à égal », pouvait laisser penser que les Français et les Québécois n’avaient jamais été si proches les uns des autres. Cependant, une heure auparavant, il avait rencontré le Premier ministre canadien, S. Harper, à la Citadelle de Québec, presque voisine de l’Assemblée et lieu emblématique de la domination politique anglaise sur la Nouvelle-France et le Québec. En réponse à la question d’un journaliste portant sur le Québec, M. Sarkozy a déclaré que le monde actuel n’a pas « besoin d’une division supplémentaire ». Cela pouvait être interprété – et le fut d’ailleurs immédiatement par la presse écrite et parlée – comme prenant parti dans le débat qui oppose depuis quelque 40 ans les fédéralistes et les indépendantistes québécois.
Les propos tenus à la forteresse fédérale et ceux dont il avait gratifié l’Assemblée ont en effet paru contradictoires aux observateurs. De surcroît, ils ont été la source d’explications ou commentaires malaisés de la part de ministres et d’hommes politiques qui accompagnaient le Président, qui n’ont pas peu contribué pendant plusieurs jours à accroître la confusion au sujet de la portée exacte de ses paroles et à nourrir une controverse parfois acerbe entre les protagonistes canadiens et québécois. Cela à peine quatre jours après une élection fédérale (pan canadienne) qui a vu le Bloc Québécois, parti de la souveraineté, obtenir les deux tiers des sièges de députés du Québec à Ottawa. Peut-on évaluer les retombées de cet imbroglio pour les relations futures entre la France et le Québec ?
Le Président s’éloignait-il de l’attitude de ses prédécesseurs, fondée sur le principe « ni ingérence ni indifférence », proposé naguère par Alain Peyrefitte et considéré comme « équilibré » par la plupart des observateurs ? On est alors témoin d’une série d’explications de texte de la part des accompagnateurs de Nicolas Sarkozy. A. Joyandet, Secrétaire d’État, déclare que les propos présidentiels sur la « division » s’inscrivaient dans le contexte de la crise financière internationale et non dans celui des rapports canado-québécois. Le Premier ministre, François Fillon, s’efforce à son tour de désamorcer la réaction des Québécois, « très vifs à réagir », dans une entrevue à TV5 au cours de laquelle il déclare que les propos du Président « ont dû dépasser sa pensée ».
Vient ensuite Jean-Pierre Raffarin qui rappelle qu’il avait au mois de mars prédit le virage que Nicolas Sarkozy s’apprêtait à imprimer à la politique française du « ni-ni » à l’endroit du Canada et du Québec. Selon l’ex-Premier ministre, le Président souhaitait « maintenir cette relation privilégiée [avec le Québec], mais évidemment dans une stratégie de non-opposition au Canada ».
La presse québécoise, avide d’explications, rappelait également les propos tenus par Alain Juppé au lendemain d’une autre déclaration du Président, cette fois sur les champs de bataille de Normandie, que des journalistes avaient interprétées comme « une véritable déclaration d’amour » à l’endroit du Canada. M. Juppé avait tenu à préciser que « le Canada est un, pays ami avec lequel nous avons intérêt à avoir des liens extrêmement étroits, mais, ajoutait-il, pour moi les Québécois sont un peu plus que des amis, ce sont des frères ». Cet intérêt de la France, écrit-on dans les journaux, tient à quelques grands projets d’investissements au Canada, notamment dans l’installation de centrales nucléaires et dans les sables bitumineux de l’Ouest canadien. Rien là qui ne soit légitime de la part de Paris, mais on comprend la perplexité de plusieurs devant la métaphore de M. Juppé.
De toute manière, c’est aux Québécois que revient le droit de décider de leur avenir et non à Nicolas Sarkozy de l’exercer pour eux. Chez la plupart des indépendantistes, on admet que la France puisse légitimement éviter de hérisser inutilement Ottawa et le monde anglo-américain. Après tout, voilà déjà deux fois, en 1980 et 1995, que les Québécois hésitent à se prononcer en faveur de la souveraineté-association ou la souveraineté-partenariat. S’ils ont le droit de disposer d’eux-mêmes en tant que nation distincte, encore faut-il qu’ils l’exercent effectivement. Il paraît plus que probable que la France ne demeurerait pas indifférente devant un choix exprimé démocratiquement en faveur de l’indépendance du Québec, comme elle l’a fait dans les Balkans.
En attendant, il faut tenir compte de la manière tout à fait concrète dont se développent les liens entre la France et le Québec. Non seulement est-ce la première fois qu’un Président français prend la parole devant l’Assemblée nationale du Québec, mais il a signé lui-même, immédiatement après son discours, la nouvelle « Entente entre le Québec et la France en matière de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles ». Celle-ci porte sur la mise en place « dans les meilleurs délais » de mesures législatives, réglementaires et administratives, de part et d’autre, en vue de la reconnaissance mutuelle effective des formations donnant accès à la plupart des professions et métiers réglementés. Un Comité bilatéral établi par les Parties doit veiller à la conclusion d’arrangements entre quelque 70 entités et procurer un « recours effectif » en cas de refus de reconnaissance.
Cette signature vient consolider la pratique désormais bien assise qui confère au Québec la faculté de signer des accords internationaux dans tous les domaines relevant de sa compétence constitutionnelle, sans ingérence du gouvernement fédéral. Quelques centaines d’ententes ont été conclues de la sorte depuis 1965, la plupart du temps entre des ministres ou des personnes dûment habilitées de part de d’autre ; cette fois, c’est le Président de la République et le Premier ministre du Québec qui signent cet engagement ; cela constitue une autre première. La perplexité ressentie par plusieurs devant les propos apparamment contradictoires du Président Sarkozy ne doit pas faire oublier les liens qui continuent de se tisser entre les deux pays « frères ». Ce rapprochement très concret entre nos deux sociétés est sans doute la meilleure garantie qu’elles puissent se donner mutuellement devant l’avenir.
Jacques-Yvan Morin
Professeur émérite de droit international public
ancien Vice-premier ministre du Québec
France-Québec selon le président Sarkozy : est-ce la « rupture » ?
France-Québec : fin du "ni-ni"?
Jacques-Yvan Morin7 articles
ministre de l’Éducation de 1976 à 1981
Professeur émérite de droit international public
ancien Vice-premier ministre du Québec
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