Quand Sarkozy enterre de Gaulle

En déboulonnant l'édifice construit par ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy a réussi à cumuler "ingérence et indifférence"

France-Québec : fin du "ni-ni"?

Texte intégral sur le site du CÉRIUM
Texte publié dans Le Devoir du 25 octobre 2008
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C'était plus fort que lui. Il ne pouvait pas se taire. C'est en répondant à un journaliste et en affirmant son amitié constante envers le Canada que le président français a affirmé que, "franchement, s'il y a quelqu'un qui vient me dire que le monde aujourd'hui a besoin d'une division supplémentaire, c'est qu'on n'a pas la même lecture du monde". Une division supplémentaire, donc l'indépendance du Québec. Lâchant le morceau, se libérant du carcan diplomatique que lui avaient imposé ses conseillers et son aile gaulliste, il a précisé que la France "est un pays qui rassemble et non pas qui divise". Avant d'ajouter : "Je ne dois pas être le seul à penser ce que je viens de vous dire."

Pourquoi faire ce commentaire ? Le gouvernement québécois du libéral Jean Charest, seul habilité à déclencher un référendum, est procanadien et en début de mandat. La question de l'indépendance n'est donc pas d'actualité. Malgré les agitations de son entourage, visiblement embarrassé par la controverse, et le tact de la chef des indépendantistes, l'ex-vice-premier ministre, Pauline Marois, qui a voulu lui donner le bénéfice du doute, le président est en colère. En colère contre la presse québécoise plutôt que contre son propre écart, nous rapporte-t-on. Il aurait pourtant pu clore le débat en affirmant lui-même, avant de quitter le sol québécois, avoir été mal compris. Il aurait fallu qu'il jette du lest en reprenant la formule de ses prédécesseurs voulant qu'évidemment, la France accompagnerait le Québec dans ses choix.
A la décharge de ses conseillers, il faut dire qu'il n'était nullement question que le président aille aussi loin. Dans le texte qui lui avait été savamment préparé par Henri Guaino pour son allocution devant l'Assemblée nationale québécoise, il allait multiplier les déclarations d'amour pour le Québec, affirmant la nature "fraternelle" des rapports entre les peuples français et québécois, plus liants donc que la nature "amicale" de la relation franco-canadienne. La formule satisfaisait à l'avance les indépendantistes, qui savaient qu'on atteignait probablement avec cette riche nuance la limite de ce qu'ils pouvaient espérer.
Le président avait tout de même placé deux allusions transparentes dans le texte qu'il a livré aux parlementaires québécois. Devant une Assemblée dont la politique d'immigration est plus généreuse que la sienne, il a insisté sur l'erreur que constitue "le repliement sur soi". Il est clair qu'il s'imaginait parler des indépendantistes qui, pendant leurs dix-sept années au pouvoir, ont pourtant été les principaux vecteurs de la présence internationale et du métissage du Québec. La relation entre la France et le Québec, avait ensuite conclu le président, ne peut être féconde qu'à "une condition, c'est qu'on la tourne vers l'avenir, cette alliance, et pas vers le passé." Que de Gaulle se le tienne pour dit.
Aucun reproche en revanche au premier ministre canadien et à son pays, dont la Constitution réduit depuis un quart de siècle l'autonomie québécoise, notamment en matière d'éducation et de langue, contre le voeu et sans la signature de tous les gouvernements québécois successifs. Ceci n'expliquant pas cela, le verdict du président français, rendu plus tôt dans la journée, avait été net : le Canada est un grand pays qui, "par son fédéralisme, a décliné un message de respect de la diversité et d'ouverture".
Le Québec a donc goûté à la méthode Sarkozy en affaires internationales. Un mélange d'impulsivité et d'opinions nourries par ses amis des milieux d'affaires. Une propension à sacrifier les équilibres stratégiques à long terme au profit du gain tactique immédiat. Car le remplacement du "Vive le Québec libre !" du général de Gaulle par le "non à la division du Canada" de Nicolas Sarkozy s'est produit alors que ce dernier tentait de convaincre son hôte, le premier ministre conservateur Stephen Harper, de se joindre à lui dans son projet de sommet mondial sur la refondation du capitalisme. C'était sa tâche du moment. Les états d'âme du Québec ne faisaient pas le poids dans la balance.
Amant, comme il l'a dit devant l'Assemblée nationale québécoise, de "la rupture", M. Sarkozy a en effet rompu avec une tradition patiemment entretenue depuis quarante ans. Après de Gaulle, les chefs d'Etat français n'avaient plus voulu affirmer de préférence sur la question du statut politique du Québec, érigeant d'abord l'utile coupe-feu de la "non-ingérence". Ils l'avaient complété par la "non-indifférence", euphémisme suggérant une affinité politique avec le parcours québécois.
Puis, devant la menace croissante qu'un choix québécois pour l'indépendance se heurte à un refus de reconnaissance par le Canada, Valéry Giscard d'Estaing et ses successeurs ont poussé la non-indifférence jusqu'à indiquer quelle serait la posture française dans cette hypothèse. La France, ont-ils dit, "accompagnerait le Québec dans ses choix". Le test serait survenu au soir du référendum de 1995, si les Québécois avaient voté majoritairement oui à l'indépendance du Québec ; ils furent 49,4 % à le faire. On sait maintenant que le premier ministre canadien aurait refusé de reconnaître ce choix, mais que le président Chirac aurait, par voie de communiqué, reconnu la décision québécoise, donc "accompagné le Québec dans ses choix".
On voit l'importance de cette police d'assurance. Elle donne du poids au Québec, même s'il décide de ne pas quitter le Canada. D'autant que sa position démographique au sein du pays est en train de se réduire et que le premier ministre canadien actuel propose des réformes institutionnelles qui diminueront son poids politique dans la fédération. En déboulonnant l'édifice construit par ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy a réussi à cumuler "ingérence et indifférence", comme le titrait le lendemain le chroniqueur du quotidien Le Devoir, Michel David.
Le leader historique du mouvement indépendantiste, l'ancien premier ministre Jacques Parizeau, notait très justement que, en exprimant sa préférence, le président Sarkozy, l'élu le plus puissant du monde francophone, était allé plus loin dans le rejet de l'indépendance du Québec que ne l'avait fait le président Bill Clinton, l'élu le plus puissant du monde anglophone. Pendant la campagne référendaire de 1995, M. Clinton avait certes fait l'éloge du Canada mais, préservant l'avenir et résistant aux pressions d'Ottawa, il s'était gardé de dénoncer le projet indépendantiste. Surtout, il avait affirmé ce que M. Sarkozy a omis d'ajouter : que la décision revenait aux Québécois.
Mais, l'essentiel, pour le président, n'était pas que le Québec soit "libre" ou plus simplement "libre de ses choix". L'essentiel était que Nicolas Sarkozy soit libre et soulagé de donner son opinion, quelles qu'en soient les conséquences pour le peuple du Québec.
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Jean-François Lisée est directeur exécutif du Centre d'études et de recherches internationales de l'université de Montréal, ancien conseiller diplomatique des premiers ministres indépendantistes du Québec, Jacques Parizeau et Lucien Bouchard.

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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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