Feu vert à Enbridge

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Sur l'opportunité de renoncer au pétrole, elle a raison. Mais son fédéralisme inconditionnel la rend suspecte de récupération du vote vert pour diviser les appuis au PQ

Résumons. Une consultation de dernière minute. Menée par des députés sans expertise en la matière. Où certains groupes environnementaux ont d’abord été exclus et où le principal intéressé, le transporteur pétrolier Enbridge, qui accuse 610 déversements depuis 10 ans, n’a su ni rassurer sur l’état de son oléoduc (datant de 1975) ni démontrer qu’il disposait des ressources nécessaires en cas de déversement majeur. Ce qui n’a pas empêché le ministre de l’Environnement, Yves-François Blanchet, de déclarer son « préjugé favorable » tout de go.

Ce qui n’a pas empêché Enbridge de se moquer du gouvernement Marois, non plus, la compagnie albertaine étant peu intéressée à se plier aux directives du Québec. Elle aurait déjà les mains pleines avec l’Office national de l’énergie, dit-elle. Vlan dans les gencives ! En passant, acheminer le pétrole albertain par oléoduc ne réduira pas le transport ferroviaire pour autant. Bref, un déversement comme celui qui s’est produit au Michigan en 2010 (4 millions de litres répandus à partir de l’oléoduc Enbridge 6B, très semblable au 9B) ou encore, des wagons de train qui déraillent en pleine municipalité, ne sont pas à exclure à l’avenir. On n’arrête pas le progrès. Ou, du moins, l’envie féroce de faire tourner l’économie à coups de pétrodollars.

Dans le contexte actuel, où l’on ne peut plus ignorer les ravages des gaz à effet de serre, où les glaciers fondent, les mers montent, les forêts disparaissent, les tempêtes se succèdent, les abeilles, les monarques, les bélugas, les ours blancs, pour ne nommer que ceux-là, disparaissent, le feu vert à l’importation de bitume est un geste irresponsable de la part d’un gouvernement qui dit vouloir réduire notre dépendance au pétrole, notamment.

La source no 1 des problèmes environnementaux, l’émission de carbone est directement liée à la production de pétrole. On le sait. Or, de tous les gisements de pétrole sur la planète, le Canada a l’insigne honneur de posséder un des plus polluants et, aussi, des plus vastes. Selon le Scientific American, « si nous consommons tout le bitume albertain disponible, nous connaîtrons une hausse de température qui équivaut à la moitié de ce qui a déjà été enregistré sur Terre ». Seulement à cause de l’Alberta. Notez que depuis 2005, la production albertaine de bitume a augmenté de 64 % et les émissions de CO2, de 75 %. D’ici 2020, on prévoit les augmentations suivantes : bitume, 90 % ; CO2, 105 %.

La tête dans le sable

Alors que l’opposition face à Keystone XL, autre projet d’oléoduc de pétrole albertain, s’organise, le gouvernement Marois, lui, fait la carpette face à Enbridge. On est en droit de s’étonner, non seulement à cause des risques environnementaux, mais parce que ce projet fait aussi le bonheur de Stephen Harper. L’occasion était pourtant belle, pour un parti qui ne demande rien de mieux que de se démarquer des conservateurs, de se montrer un peu plus original. Quand on sait que les inquiétudes concernant le réchauffement climatique rejoignent aujourd’hui Wall Street, bastion conservateur s’il en est, on se demande ce qu’attend le gouvernement Marois.

Les investisseurs en Bourse sont de plus en plus inquiets de la dévaluation des produits de ressources naturelles, vu, justement, l’opposition au pétrole. Tentant de calmer le jeu, l’entreprise d’analyse financière Bloomberg LP, la compagnie derrière l’ex-maire de New York Michael Bloomberg, vient tout juste de lancer un outil permettant de mesurer les risques associés aux problèmes environnementaux (Carbon Risk Valuation Tool). En d’autres mots, on est en train d’accrocher un « pensez-y-bien » aux investissements liés aux ressources naturelles. Un investisseur avisé, après tout, en vaut deux.

Autre signe que le vent tourne, une étude commandée par la pétrolière Suncor, celle-là même qui exploite le pétrole albertain depuis 1967 et qui a pignon sur rue dans l’est de Montréal, avertit qu’il faut désormais contrer l’opposition aux sables bitumineux, sans quoi « on pourrait voir le mouvement de contestation le plus important de la décennie ». Diffusée grâce à WikiLeaks, l’étude démontre que les pétrolières sont passées en quelques années d’une attitude où elles ignoraient tout simplement les groupes environnementaux « dépourvus de pouvoir politique », à celle où elles sentent le besoin de les déjouer. D’ailleurs, l’autre grande pétrolière albertaine, TransCanada, instruisait plus tôt cette année les autorités du Nebraska sur la façon de poursuivre les opposants à leur projet Keystone XL.

Le combat pour l’environnement s’annonce comme celui qui marquera, plus que tout autre, le XXIe siècle. Dommage que le gouvernement Marois ait choisi de se mettre la tête dans le sable, bitumineux en plus.


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