Fava contre Bellemare: le choc des versions

Commission Bastarache


Québec — Franco Fava a non seulement nié catégoriquement hier, devant la commission Bastarache, avoir fait pression auprès de Marc Bellemare dans la nomination de trois juges, mais l'avocat et collecteur de fonds libéral a contredit l'ensemble du témoignage que l'ancien ministre a livré fin août.
«Ils sont tombés sur la tête, stie»: c'est, au dire de Franco Fava, la première phrase qui lui est venue à l'esprit, en avril, lorsqu'il a pris connaissance dans les médias des allégations de M. Bellemare.
Michel Simard, Marc Bisson, Line Gosselin-Després: ces trois juges, promus et nommés prétendument sous une «pression colossale» par Marc Bellemare, étaient inconnus du collecteur de fonds avant que l'ancien ministre formule ses allégations. «Je ne les connais pas, ces juges-là. Je ne les ai jamais rencontrés, je ne les ai jamais vus», s'est impatienté M. Fava, hier, lors de son témoignage. «Et si vous ne me croyez pas, faites-les venir et posez-leur la question à savoir s'ils me connaissent ou pas. Comment voulez-vous que je vous prouve que je ne les connais pas? Posez-leur la question et ils vont vous le dire!» a ajouté le collecteur de fonds.
À des années-lumière
Les versions respectives de MM. Bellemare et Fava sur les événements de l'été 2003 sont à des années-lumière l'une de l'autre. Alors que l'ancien ministre soutient que M. Fava a commencé à lui parler des trois juges à l'été 2003 lors «de dîners», d'«appels téléphoniques», le collecteur a répliqué hier, sous serment, qu'il n'avait rencontré le ministre «pour vrai» qu'une seule fois, le 12 décembre 2003, lors d'une réunion au bureau du ministre, pour discuter du projet de réforme de la justice administrative, le projet de loi 35. M. Fava était à l'époque représentant patronal au conseil d'administration de la CSST. Il aurait en plus, à l'automne 2003, croisé le ministre à trois ou quatre reprises tout au plus, a-t-il noté: une fois au fameux restaurant Michelangelo (où ils n'ont pas mangé ensemble) et à d'autres reprises lors d'événements partisans. Quant à la rencontre du 12 décembre, elle aurait eu lieu à la demande de M. Bellemare, a souligné M. Fava, qui a 60 ans.
M. Fava prétend n'avoir «jamais» de sa propre initiative fait un appel téléphonique auprès de M. Bellemare. L'ancien ministre, au contraire, a affirmé fin août que le collecteur de fonds le joignait non seulement au bureau, mais aussi à la maison. «Il y a eu des appels téléphoniques assez nombreux, des rencontres [...], je dirais peut-être... juillet-août 2003 avec monsieur Fava, peut-être... quatre, cinq rencontres et peut-être une dizaine de téléphones.»
M. Fava a toutefois reconnu avoir mangé avec le sous-ministre à la Justice Georges Lalande le 8 juillet 2003, au restaurant Michelangelo. Mais il a nié ce que M. Lalande a rapporté en début de semaine, soit qu'ils aient discuté de nomination de juges. M. Fava a soutenu que Georges Lalande n'a pas pris de notes lors de ce dîner. Il aurait été question de la volonté du ministre Bellemare d'en finir avec le paritarisme à la Commission des lésions professionnelles (CLP); paritarisme qui, au sens de Marc Bellemare, garantit une main mise des syndicats et du patronat sur cet important tribunal d'appel. M. Fava a soutenu avoir averti M. Lalande que sa réforme de la CLP, comme les précédentes, échouerait.
Selon M. Fava, l'ancien ministre a beaucoup exagéré ses liens avec le premier ministre. Non, il n'était pas avec Jean Charest le soir de la victoire électorale de 2003. Non, il ne se rend pas souvent au bureau du premier ministre, ce que tendent à confirmer les parties de registres d'entrée à l'édifice Honoré-Mercier pour 2003-2004, déposées en preuve à la commission Bastarache. En fait, le nom de M. Fava n'y apparaît à aucune reprise. Il dit n'avoir jamais téléphoné à Jean Charest et soutient le rencontrer exclusivement lors d'événements partisans et officiels. À la Saint-Jean Baptiste, au Musée de la civilisation, «je fais partie du troupeau» que vient saluer le premier ministre, a-t-il illustré.
Débat juridique à venir?
En suggérant de convoquer à la commission les trois juges au coeur des allégations de Marc Bellemare, M. Fava a, peut-être sans le savoir, provoqué un débat juridique complexe: dans quelle condition une commission d'enquête peut-elle convoquer un juge en exercice? Le porte-parole de la commission, Guy Versailles, l'a reconnu hier soir. Marc Bellemare lui-même pourrait aussi provoquer ce débat puisque, comme des sources l'ont déclaré au Devoir hier, il n'exclut pas d'assigner un des trois juges à témoigner devant la commission. Une avocate représentant la Conférence des juges du Québec, Chantal Chatelain, n'a pas nié la possibilité que son client s'oppose à une telle demande. (L'arrêt de la Cour suprême Mackeigan c. Hickman (1989) pourrait alors être invoqué. Le tribunal y soutient que le principe de «l'indépendance judiciaire» permet à un juge de refuser de répondre à certaines demandes provenant d'une commission d'enquête.)
Bastarache menace
Avant 15h, c'est le grand ami de Franco Fava, lui aussi collecteur de fonds au PLQ, Charles Rondeau, 68 ans, qui a fait l'objet d'un contre-interrogatoire incisif de la part de l'avocat de Marc Bellemare, Jean-François Bertrand (comme l'écrivait Le Devoir hier, le criminaliste Rénald Beaudry n'interrogera plus les témoins). Les avocats du gouvernement, de Jean Charest et du PLQ ont multiplié les objections au fur et à mesure que progressait le contre-interrogatoire. Ils soutenaient que les questions de Me Bertrand, portant sur le financement du PLQ et le rôle de Chantal Landry, s'éloignaient trop du mandat de la commission, la nomination des juges. Le commissaire Michel Bastarache leur a donné raison à plusieurs reprises et après quelques avertissements, avant la pause du midi, a perdu patience. D'abord, il a refusé net une demande de Me Bertrand qui exigeait que M. Rondeau produise ses factures de restaurant de l'été 2003. Il a ensuite accusé Me Bertrand de harceler le témoin, pour enfin le menacer d'ordonner la fin du témoignage, voire de l'expulser si ce dernier ne communiquait pas au préalable sa liste de questions au procureur en chef, Giuseppe Battista.
En début d'après-midi, M. Bastarache avait changé son fusil d'épaule: il a permis à M. Bertrand — même si ce dernier avait refusé de présenter sa liste de questions à Me Battista — de poser les questions qu'il souhaitait, mais pendant une demi-heure seulement. M. Rondeau quant à lui a tenu à nier qu'il y ait eu quelque échange d'argent liquide douteux au Michelangelo.


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