Exclue des commémorations de la guerre en Pologne, la Russie rappelle que l'URSS a vaincu le nazisme

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Varsovie n'a pas tout à fait tort : c'est Hitler qui brise le pacte germano-soviétique et non Staline


La commémoration des 80 ans de l'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie a donné lieu à de nouvelles tensions diplomatiques entre Moscou et Varsovie sur fond d'histoire et de géopolitique. La Russie a rappelé son rôle dans la chute du nazisme.


Le 1er septembre 2019, dès 4h30 du matin, le président polonais Andrzej Duda célébrait en grande pompe le lancement des commémorations des 80 ans de l'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie, premier acte de la Seconde Guerre mondiale. Pour l'occasion, des représentants de près de 40 pays, dont la France (représentée par le Premier ministre Edouard Philippe), l'Allemagne (représenté par le président Frank-Walter Steinmeier) et les Etats-Unis (représentés par le vice-président Mike Pence), étaient conviés. 


 

Parmi ce gratin, un grand absent s'est pourtant fait remarquer : la Russie. Et pour cause, malgré le fait que l'URSS ait libéré la Pologne du joug nazi, et accessoirement éliminé la plus grande partie de l'armée du IIIe Reich, les dirigeants nationalistes polonais n'ont pas jugé bon de convier le président russe, avançant des motifs très politiques, par la voix du président Duda.


«Ces temps derniers nous voyons, y compris en Europe, le retour des tendances impérialistes, des tentatives de modifier les frontières par la force, d'attaques contre des Etats, de saisie de terres, de soumission de citoyens», a-t-il déclaré dans son discours, cité par l'agence de presse AP. S'il n'a pas explicitement mentionné la Russie, il a évoqué l'intervention russe en Géorgie en 2008 et le rattachement de la Crimée en 2014.


«Fermer les yeux n'est pas une bonne recette pour préserver la paix. C'est une bonne méthode pour encourager des personnalités agressives, pour donner de facto le feu vert pour de nouvelles attaques», a-t-il ajouté dans la même veine, dans une comparaison à peine voilée entre la Russie et l'Allemagne nazie.


La semaine précédente, un représentant de la diplomatie polonaise, Szymon Szynkowski vel Sęk, avait déclaré que le président russe Vladimir Poutine n'avait pas été convié à l'événement en raison de critères «modernes».



Il existe différentes manières d'interpréter les choix diplomatiques soviétiques du début de la Seconde Guerre mondiale



Le choix de la Pologne, s'ajoutant à un contexte de plus en plus tendu entre Moscou et Varsovie, n'a pas manqué de provoquer l'indignation de la diplomatie russe. 


Moscou rappelle que l'URSS a vaincu le nazisme


«Il existe différentes manières d'interpréter les choix diplomatiques soviétiques du début de la Seconde Guerre mondiale, mais on ne peut nier que c'est en effet l'Union soviétique qui a vaincu le nazisme, libéré l'Europe et sauvé la démocratie européenne», a réagi le ministère russe des Affaires étrangères sur Twitter. 


La diplomatie russe a par ailleurs dénoncé une volonté de «souiller la Russie contemporaine», en faisant «porter la responsabilité de cette catastrophe mondiale sur un pied d'égalité à l'Allemagne hitlérienne et à l'Union soviétique», en raison du pacte germano-soviétique, désormais incontournable dans le récit occidental de cette période.  


«C’est pour cette raison qu’il est si important de s’appuyer sur des faits concrets et des documents historiques, qui caractérisent la complexité de la situation d’avant-guerre, et révèlent les véritables relations de causalité qui ont conduit le monde à ce cataclysme tragique», a par ailleurs souligné le ministère. 


Autre indésirable lors des commémorations en Pologne, la Serbie, dont le président Aleksandar Vučić a estimé que son pays «devait être puni parce qu'il est un allié de la Russie». Précisant qu'il se rendrait aux commémorations sur la place Rouge à Moscou, le président serbe a ajouté : «Je serai avec ceux qui ont souffert le plus. Avec les Russes, les Juifs, les Biélorusses et les Polonais, les Serbes ont souffert le plus.»


Les pactes de la honte 


Le pacte germano-soviétique, conclu le 23 août 1939 entre Joachim von Ribbentrop , ministre des Affaires étrangères nazi (pendu en 1946 après son procès à Nuremberg) et son homologue soviétique Viatcheslav Molotov, est devenu un élément incontournable du récit occidental du début de la Seconde Guerre mondiale. La Pologne ne manque pas de le rappeler pour tenter de renvoyer dos à dos les nazis et l'URSS dans le déclenchement du conflit. 


Deux semaines après le début de la campagne d'annexion de la Pologne le 1er septembre 1939 par l'Allemagne, le 17 septembre, l'Armée rouge a annexé une partie du territoire polonais, principalement des territoires conquis précédemment par la Pologne au cours de la guerre soviéto-polonaise (1919-1921), en vertu de l’accord passé avec les nazis. 


En 2009, invité pour les commémorations des 70 ans de l'invasion de la Pologne, Vladimir Poutine, à l'époque Premier ministre russe, avait qualifié les pactes conclus avec les nazis entre 1934 et 1939 de «moralement inacceptables», condamnant ainsi l'accord Ribbentrop-Molotov... mais aussi les accords signés par les autres puissances de l'époque avec les nazis.  


«Nous devons admettre ces erreurs. Notre pays l'a fait. Le Parlement russe a condamné le Pacte Molotov-Ribbentrop. Nous sommes en droit d'attendre la même chose des autres pays qui ont également conclu des accords avec les nazis», avait-il déclaré. 


La Pologne a en effet signé un pacte de non-agression avec l'Allemagne nazie en 1934, et a joué un rôle dans les Accords de Munich (1938), signés par la France, le Royaume-Uni et l'Italie avec le IIIe Reich. La conséquence de ce traité a été le démembrement de la Tchécoslovaquie, dont la région contestée de Zaolzie a été envahie et annexée par la Pologne.


Le président polonais Lech Kaczynski avait qualifié en 2009 cet épisode de l'histoire de son pays d'«erreur et de pêché», non sans lancer une pique... à la Russie : «Nous, en Pologne, nous savons reconnaître une erreur sans chercher des justifications». 


Récits divergents


Si certains historiens analysent le pacte germano-soviétique comme une alliance de circonstance entre deux régimes totalitaires et expansionnistes, d'autres voix, notamment en Russie, insistent sur le contexte ayant mené au traité Ribbentrop-Molotov.


Selon cette conception, l'URSS ne parvenait pas à conclure d'alliance militaire avec la France et le Royaume-Uni, ni à obtenir des régimes autoritaires anticommunistes au pouvoir en Pologne et en Roumanie de droit de passage pour l'Armée rouge en cas d'attaque coordonnée sur l'Allemagne. 


Face à l'échec des négociations, et devant l'expansion du IIIe Reich, le Kremlin n'aurait eu d'autre choix que de céder aux sollicitations de Berlin pour s'octroyer un sursis et une zone tampon lui permettant de rester en position de force avant l'affrontement inévitable, qui finira par arriver en 1941 à l'initiative d'Hitler. 



La Pologne ne voit pas de menace provenant de l'Allemagne nazie. La priorité est d'isoler l'Union soviétique



En 2009, la Russie a rendu publiques des archives soviétiques dépeignant une Pologne d'avant-guerre très hostile à l'URSS et plus favorable à l'Allemagne nazie. L'ambassadeur de Pologne à Washington aurait ainsi déclaré en 1937 au cours d'une réunion avec un haut responsable du département d'Etat américain : «La Pologne ne voit pas de menace provenant de l'Allemagne nazie. La priorité est d'isoler l'Union soviétique.»


Le pays aurait aussi, toujours selon ces documents, tenté d'attiser, via des agents, des révoltes de minorités ethniques d'URSS pour provoquer sa dislocation. 


La Russie revendique au nom de l'URSS la plus importante contribution dans la victoire contre le nazisme. Au cours de la guerre totale que se sont livré les deux puissances, 26 millions de Soviétiques ont perdu la vie, dont 8,6 millions de soldats de l'Armée rouge dans le plus grand affrontement militaire de l'histoire de l'humanité. Selon les estimations, entre 75 et 80% des effectifs du IIIe Reich ont été engagés et défaits par l'Armée rouge sur le front de l'Est. 


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Lucas Léger