Haut symbole de la présence canadienne-française en Nouvelle-Angleterre, l’église de Fall River, dessinée par Napoléon Bourassa, père du fondateur du Devoir, doit fermer ses portes définitivement le 25 novembre. Avec ses dimensions de quasi-cathédrale, elle fut longtemps un coeur battant de l’importante communauté canadienne-française du Massachusetts.
Située à 100 kilomètres au sud de Boston, à la frontière de l’État du Rhode Island, l’église Sainte-Anne témoigne encore d’un temps où Fall River résistait à une campagne d’assimilation accélérée appuyée par une partie du clergé.
Évêque actuel du diocèse, Edgar da Cunha, 65 ans, a décidé de mettre définitivement la clé sous la porte de l’église Sainte-Anne. Il a invité, par voie de communiqué, ses derniers paroissiens à se joindre à la dernière célébration, dimanche, en sa présence.
Manque de moyens
L’église se dégrade depuis de nombreuses années, faute de moyens pour l’entretenir. En mai 2015, sa portion supérieure a été fermée après qu’un mur de plâtre se fut effondré, au beau milieu d’une messe. « Selon l’évaluation d’un bureau d’architectes, il faudrait compter au moins 5,5 millions de dollars pour la remettre minimalement en état et 13,5 millions pour la restaurer complètement », explique au Devoir John Kearns, le porte-parole de l’évêque da Cunha.
« L’évêque a clairement indiqué qu’il ne souhaitait pas que l’église soit démolie, indique son porte-parole. L’église Sainte-Anne va rester un point de repère majeur de la ville, mais il va falloir lui trouver une autre vocation. »
Le porte-parole de l’évêque da Cunha indique que la paroisse visée par cette fermeture ne compte plus que 300 fidèles alors que son église fut conçue, au XIXe siècle, pour en accueillir plus de 2000. « Pour les messes, il n’y a plus en moyenne que 126 paroissiens présents. » Depuis longtemps d’ailleurs, le français n’y est plus parlé. Et pourtant.
Un combat
Au XIXe siècle, les Canadiens français de Fall River n’acceptent pas que la tête du clergé catholique leur envoie des prêtres irlandais, même quand ceux-ci se débrouillent dans la langue de Molière. L’évêque, Mgr Hendricken, s’entête pourtant à ne pas accorder de prêtres canadiens-français à cette communauté. L’historien Yves Roby rapporte ses paroles : « Pourquoi voulez-vous un prêtre français ? Dans dix ans, tout le monde parlera l’anglais dans vos paroisses. »
L’historien Martin Pâquet de l’Université Laval, spécialiste lui aussi de l’histoire des Franco-Américains, explique au Devoir que l’évêque, un Irlandais, « avait permis la création de deux paroisses francos au Massachusetts. En 1880, on jugeait néanmoins que ces dernières avaient eu le temps de s’habituer à la réalité anglophone de la Nouvelle-Angleterre » et qu’il n’y avait donc pas à se casser la tête pour leur trouver des prêtres francophones.
Martin Pâquet explique la position des Irlandais catholiques : « La communauté irlando-catholique est relativement bien implantée et il y a une ferme volonté de ne pas faire de vagues, pour éviter tout tumulte avec les protestants. »
Mais pour les Canadiens français, partis nombreux vivre aux États-Unis, il n’est pas question de faire l’impasse sur leur langue.
Les paroissiens de Fall River vont s’organiser pour rendre la vie impossible aux curés qui ne sont pas de leur nationalité. Et le clergé craint que toutes les paroisses canadiennes-françaises, à l’exemple de Fall River, ne réclament bientôt un des leurs comme prêtre, comme s’il s’agissait d’un droit. Mgr Hendricken va aller jusqu’à fermer l’église de Fall River en 1886 pour faire taire les opposants… Mais les paroissiens s’entêtent. Et Mgr Hendricken aussi. Tant et si bien que ceux-ci vont faire appel directement à Rome contre celui-là.
« Rome admet qu’Hendricken est dans son droit, mais lui propose discrètement de nommer un curé français plutôt que canadien », explique Martin Pâquet. Les Canadiens français vont donc apprendre à la dure, malgré une certaine compréhension de Rome, que leur réseau institutionnel français, hors du Québec, n’est pas un droit mais un privilège. La fragilité de leurs institutions en sol américain, découvrent-ils, tient aussi à l’Église même à laquelle ils sont attachés.
Mgr Hendricken va renommer un Irlandais mais, quelque temps plus tard, ce sera un Canadien français, Mgr Joseph Laflamme, qui prendra le relais. Les militants vont crier victoire et Fall River constituera un précédent « dont le souvenir va mobiliser les Franco-Américains par la suite ».
Ensemble exceptionnel
Exceptionnels, les bâtiments religieux de cette paroisse du Massachusetts, au centre de laquelle trône l’église Sainte-Anne, sont inclus depuis 1983 au Registre national des lieux historiques. L’église, l’ancienne école paroissiale dominicaine et l’ancien presbytère, construits en 1894, constituent un ensemble exceptionnel qui témoigne de la vie des expatriés canadiens-français.