C’est à une vraie révolution du droit et, in fine, de la société que l’actuel garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, veut soumettre les Français. Dans un entretien accordé au magazine Elle, il annonce le dépôt d’un projet de loi visant ni plus ni moins à la destruction de l’état civil français et, partant, la consécration de l’exception comme règle commune.
Aujourd’hui, pour changer de nom de famille, il faut faire une demande spécifique et motivée auprès du service du Sceau du ministère de la Justice, après en avoir assuré la publication au Journal officiel et dans un journal d’annonces légales. Le service du Sceau instruit le dossier, demande éventuellement au procureur de la République une enquête, et parfois, quand l’affaire est complexe, l’avis du Conseil d’État. Si la demande est acceptée, un décret relatif au changement de nom paraît au Journal officiel. Le demandeur peut ensuite s’adresser au procureur de la République pour faire modifier son état civil. Cette démarche prend des mois, voire des années. La communication gouvernementale évoque une simplification administrative pour les changements de patronymes.
Mais la longueur et les différentes étapes d’une telle procédure marquent bien l’importance, la solennité et l’extrême rareté d’une telle démarche. Le patronyme est ce qui rattache le Français à sa lignée, à son terroir, à son pays. Le patronyme est, pour ceux qui n’ont plus rien, le seul patrimoine inaliénable qu’ils possèdent et qu’ils peuvent transmettre. Le patronyme, le nom du père, est constitutif de l’identité familiale, sociale, nationale. Selon la généalogiste Marie-Odile Mergnac, interrogée par Le Figaro le 19 décembre, « en 2020, seuls 18 % des enfants portent les noms de leurs deux parents, et 5 % le nom de leur mère ». 82 % des Français portent donc le nom de leur père.
Dans les délires pseudo-progressistes d’un gouvernement obsédé par la destruction de la famille et désireux d’accélérer la mise en place d’une société liquide et atomisée qui ne serait plus qu’une agrégation d’individualités, il convenait donc de s’y attaquer. C’est le député LREM Patrick Vignal qui va présenter cette loi, ardemment soutenue par Éric Dupond-Moretti.
Pour notre garde des Sceaux, le nom de famille, « cela peut être un problème. Je pense à la mère qui élève seule son enfant. Cela peut être aussi un regret quand on ne peut plus transmettre son nom et qu’il va s’éteindre. Ce peut être une souffrance parfois. Je pense en particulier à l’enfant qui porte le nom d’un homme qui n’a pas été un père mais un géniteur qui a oublié ses devoirs. » Il ne fait que se couler dans la tendance lourde actuelle de toutes les lois sociétales, à savoir consacrer et multiplier dans le marbre de la loi les exceptions. Notons au passage que cette inflation législative ne fait qu’accentuer la faiblesse de l’État, fragilise la force de la loi : trop de lois tuent la loi.
Révolution anthropologique
Concrètement, cette législation du cas particulier, ce sentimentalisme législatif, notre garde des Sceaux l’exprime clairement dans l’entretien accordé au magazine féminin. S’agissant des mineurs, par exemple, il déclare : « Une maman élève seule son enfant qui porte le nom de son père. Quand elle veut l’inscrire à la cantine ou au judo, on lui demande s’il s’agit bien de son fils ou de sa fille. Elle doit alors justifier de sa maternité et exhiber son livret de famille. Il y a quelque chose d’humiliant (sic !) dans cette démarche. La loi permettra que l’enfant puisse porter, à titre d’usage, le nom de la mère, soit en ne portant que son nom, soit on adjoindra le nom de la mère à celui du père, soit on modifiera l’ordre des noms de famille. Il faudra la validation des deux parents […] J’ajoute que cela concerne tous les parents, qu’ils soient parfois deux papas ou deux mamans. »
Et pour les personnes majeures, « plutôt qu’une procédure longue et humiliante […] il suffira désormais d’une déclaration CERFA à l’état civil de votre mairie. Cette déclaration sera lourde de conséquence mais je considère que le ministère doit arrêter de demander à des personnes de se mettre à nu pour lui démontrer pourquoi ils aiment ou non leur mère ou leur père. L’intime n’a pas à être dévoilé à l’État. »
Si cette loi est adoptée, elle consacrera l’irruption définitive du sentimentalisme, du subjectif, du relatif dans la loi, mais aussi, et surtout, dans l’identité française. L’homme social, depuis la nuit des temps, est défini par ses liens, avec ses parents, ses frères et sœurs (avec la nouvelle loi, ceux d’une même fratrie pourront ne pas porter le même nom), ses ancêtres et ses enfants. En substituant l’individualité à l’appartenance, la prépotence de l’ego sur la filiation, l’État macronien entérine une révolution anthropologique aux conséquences incalculables sur la société française.