Jeudi dernier, Gwendoline Delbos-Corfield, rapporteur d'un texte voté au Parlement européen, tranchait dans le vif : « La Hongrie n’est plus une démocratie. Il était fondamental pour le Parlement de prendre cette position, compte tenu de l’urgence et de la gravité des attaques contre l’État de droit en Hongrie. En plus de reconnaître la stratégie autocratique du Fidesz, une grande majorité des députés soutient cette position, ce qui est une première au Parlement européen. Cela devrait être un signal d’alarme pour le Conseil et la Commission. »
Ce rapport, adopté par 433 voix pour, 123 contre et 28 abstentions, faisait suite à la procédure de l’article 7 déclenchée en 2018. La résolution de 2018 enjoignait le Conseil de l’Europe de constater le risque grave de dérives de l’État de droit en Hongrie. Elle rappelait dans ses attendus les avertissements précédents du Parlement européen : en 2017, 2015, 2013 et 2012. En clair, depuis l’accession au pouvoir de Viktor Orbán en 2010, les instances européennes n’ont eu de cesse d’essayer menaces et ingérence dans des matières qui sont de la compétence des États. Entendons-nous bien : Viktor Orbán a été chaque fois réélu non par acclamation publique mais par un processus démocratique basique - cela s’appelle le vote. Malgré cela, la Hongrie est, depuis jeudi dernier, un régime hybride : autocratique mais électoral. Le principe de non-contradiction vole une fois de plus en éclats.
Une plongée dans les textes fondamentaux de l’Union européenne rappelle à quel point cette structure supra-étatique empiète sur la souveraineté des États : ainsi, la résolution prise en 2012 contre la Hongrie stipule que son champ d’application ne se limite pas aux traités mais « que l’Union peut apprécier l’existence d’un risque clair de violation grave des valeurs communes dans des domaines relevant des compétences des États membres ».
L’État de droit contre le droit de l’État…
Quelles sont ces valeurs communes ? « Les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes » (article 2).
Aujourd’hui, quelles sont les principales préoccupations du Parlement européen ? Il s’agit, par exemple, « du fonctionnement constitutionnel et du système électoral, de l’indépendance de la justice, de la corruption, des conflits d’intérêts, de la liberté d’expression, incluant le pluralisme des médias. La liberté académique, la liberté religieuse, la liberté d’association, l’égalité de traitement, incluant les droits des personnes LGBTIQ, les droits des minorités ainsi que ceux des migrants, demandeurs d’asile, réfugiés posent également problème en Hongrie. » Le déclenchement de cette procédure en 2018 a donc connu une nouvelle étape, jeudi dernier, par ce vote au Parlement européen.
Et dès dimanche dernier, les choses sérieuses pouvaient commencer, « enfin ! » comme ont titré nombre de médias de la bien-pensance. Il s’agit maintenant de frapper réellement la Hongrie au portefeuille en appliquant le principe de conditionnalité : les fonds européens, soit 35 milliards d’euros entre 2021 et 2027, sont suspendus car les infractions de la Hongrie au regard de l’État de droit peuvent mettre en péril le budget de l’Union européenne. C’est aujourd’hui un versement de 7,5 milliards d’euros qui est suspendu si, d’ici le mois de novembre, Viktor Orbán n’a pas mis en œuvre des réformes profondes et structurelles - dont son gouvernement a déjà présenté le projet -, notamment une réforme de la Justice et de l’attribution des marchés publics.
Déjà, la Hongrie est le seul pays qui n’a pas reçu ses fonds européens pour la relance post-Covid de 7,2 milliards d’euros. Dans le même temps, rappelons que la Commission de Bruxelles a saisi, en juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne lorsqu’une loi de protection des mineurs, interdisant dans les écoles la présence de contenus évoquant l’homosexualité ou le changement de sexe, a été votée par le Parlement hongrois.
En clair, c’est une multiplicité de procédures et de sanctions financières conjointes qui visent à frapper la Hongrie de Viktor Orbán. Il paie là une politique résolument conservatrice, une indépendance revendiquée vis-à-vis de l’Union européenne en matière régalienne et sans doute le refus d’appliquer les sanctions européennes envers le gaz et le pétrole russes, dont son pays dépend à 90 %.
Ce lundi, Judith Varga, ministre de la Justice d’Orbán, a tweeté : « Aujourd’hui, la tâche principale des conservateurs est de protéger les communautés naturelles comme la famille, les églises historiques, les nations et la coopération régionale. Ce sont les fondements de l’Europe et ce sont les valeurs que nous devons tous préserver. »
Le langage que tiennent les conservateurs en Europe, aujourd’hui en Hongrie et demain peut-être en Italie, est à l’exact opposé des « valeurs » d’un État de droit qui n’est, pour reprendre la formule de Ghislain Benhessa, auteur de Le Totem de l’État de droit. Concept flou, conséquences claires (L’Artilleur), « que l’illusion d’une perfection juridique et rien de plus que la somme des principes que l’on choisit de lui injecter ». À savoir, pour l’Union européenne, les valeurs du progressisme le plus débridé.